Andy Sears – Souvenirs, souvenirs

Origine : Royaume-Uni
Style : rock / prog
Composition : Andy Sears (chant, claviers)
Dernier album : Souvenir (2011)

Rescapé de la vaguelette néo-progressive des années quatre-vingt, Twelfth Night sort lentement de l’oubli, après avoir raté de peu la marche de la reconnaissance il y a un quart de siècle. Le stakhanovisme de son batteur Brian Devoil et de quelques fans de la première heure ont permis diverses rééditions d’albums, la sortie d’un livre et l’exhumation d’images et de concerts oubliés. Mais depuis 2007, Twelfth Night a également retrouvé la scène – avec en apothéose un passage au Night of The Prog 2010 – et laissé quelques témoignages de ce retour. Alors qu’un nouvel album ne semble guère se dessiner pour le moment, le chanteur Andy Sears revient sur sa tournée solo en première partie de Pendragon et sur son histoire personnelle, avec lucidité et sans concession.

Chromatique : Je suppose que tu n’as pas tourné aussi longuement depuis des lustres. Pour commencer, parle-nous donc de ce tour avec Pendragon qui s’est achevé au mois de mai. Quels sont les meilleurs moments que tu as vécus ? Qu’est-ce que ça fait de participer à une si longue aventure ?
Andy Sears
: Il est difficile de citer les meilleurs moments, vraiment. Chaque public a son histoire particulière. Je n’exagère pas en disant que j’ai reçu un merveilleux accueil à chacun des trente-cinq concerts lors desquels j’ai joué, dans les douze pays que nous avons visités, même lorsque par deux fois, des problèmes techniques ont rendu quasi impossible la tenue du spectacle sous la forme que je souhaitais. Je me suis moi-même amusé à fond, j’ai donné 110% et reçu 200% en retour.
A vivre comme le treizième membre dans le bus de tournée pendant presque deux mois, on connaît également de grands moments. Surtout lorsqu’en tant qu’artiste solo, on est le seul membre de son « équipe ». Cela dit, l’entourage de Pendragon m’a apporté un soutien énorme ; il régnait une philosophie d’échanges de bons procédés, ce qui est la seule manière de faire lorsque tant de gens vivent dans la promiscuité pendant une si longue période. J’aime à penser que certaines amitiés durables se sont forgées, et lorsque Chop, le chauffeur du bus s’est garé la dernière nuit à Rotherham, je pense pouvoir affirmer que ce fut un triste moment pour chacun de nous, qu’il s’agisse des musiciens ou du reste de l’équipe.
Nous avons eu quelques moments à la Spinal Tap, et des tonnes de rigolades. A Poznán, en Pologne, à cause du manque d’espace sur scène, j’ai dû utiliser le matériel de Clive Nolan, et pour cette soirée seulement, la pédale à sustain s’est mise en grève. J’ai dû interrompre le concert après deux titres seulement. Quelques chaises ont volé dans les coulisses. Oui, je peux faire ma diva aussi bien qu’un autre ! Le public polonais a néanmoins été très enthousiaste, et le peu qu’il a entendu a eu l’air de très bien passer. Puis il y a eu Mezzago, en Italie, où le son de la fosse a été coupé pour ne pas déranger la séance de cinéma de l’étage au-dessus ! Oui : un cinéma ! J’ai décidé de jouer tout de même envers et contre toute cette mauvaise volonté. Ceux qui le pouvaient se collaient aux retours placés sur scène. Chacun faisait des efforts pour éviter tout bruit inutile, pendant que je jouais aussi fort que possible pour éviter que le son ne soit noyé par le cliquetis des touches provenant des retours ! Et malgré ce manque de chance, on a passé un bon moment. Le public italien s’est vraiment impliqué ce soir-là et m’a énormément soutenu. Si tu peux communiquer avec les spectateurs dans de telles conditions, alors tu peux donner un bon spectacle même avec un banjo et une lampe de chevet. Par ailleurs, j’ai vendu plus de produits ce soir-là qu’à n’importe quel autre concert ! Ce dont on se souvient en fin de compte, c’est des gens. Les difficultés techniques font partie des aléas d’une tournée. Il faut avoir beaucoup de chance pour faire trente-cinq dates sans incidents, mais un bon public peut aussi transformer un désastre en quelque chose dont on se souviendra. Chaque soir a son énergie propre, chaque pays sa culture différente et sa façon de réagir. Tu ne sais jamais à quoi t’attendre quand tu montes sur scène. C’est aussi ce qui fait monter l’adrénaline, la drogue à laquelle tous les interprètes, dont je fais partie, sont accros.
Il n’y a eu que ces deux « moments de crise ». Ceci mis à part, tout s’est fait en douceur. Les concerts ont été excellents, ma voix s’est maintenue en grande forme et le Jack Daniels a coulé à flots. Je considère la tournée comme un grand succès pour Pendragon, mais aussi pour moi. Elle a été très enrichissante. Ce fut une occasion privilégiée de toucher un large public en Europe. Et en tant qu’artiste solo, cela m’a donné une bonne base sur laquelle je pourrai construire à l’avenir. Je lève mon verre à Nick, Clive, Peter et Scott pour m’avoir invité. Et, bien sûr, j’ai pu voir quelques très belles villes et de magnifiques paysages !

Tu as joué en France (à Lyon, Paris et Bordeaux). T’étais-tu déjà produit dans ce pays auparavant ?
Malheureusement non. De manière générale, ma plus grande frustration avec Twelfth Night a été le faible nombre de fois où nous nous sommes produits en dehors du Royaume-Uni. C’est une chose à laquelle j’aurais aimé remédier, et pour laquelle j’ai beaucoup travaillé. Lyon a été vraiment réjouissant, le concert figure sans aucun doute dans le top 10. Dans l’ensemble, le public français est vivant et tonitruant, et discute volontiers musique après le spectacle. Je papotais encore avec des gens cinq minutes avant le départ du bus. Merci à Nicolas et Thierry du groupe Silver Lining de m’avoir rejoint sur scène pour l’une des chansons. J’ai réussi à me prendre une heure ou deux pour visiter la plupart des villes, et la France n’y a pas fait exception. Les trois cités dans lesquelles nous avons joué sont impressionnantes : Paris, Lyon, Bordeaux. Bordeaux a été particulièrement une grande soirée. Là aussi, tout sonnait bien sur scène, et les gens étaient d’humeur joyeuse, bien qu’il m’ait fallu décliner un rappel car je n’avais pas assez de temps. Le public parisien quant à lui était en voix, et m’a soutenu pendant le concert, tout spécialement sur « First New Day ». J’y suis revenu après la tournée, car ce jour-là, je n’avais pas pu voir grand-chose, excepté la Tour Eiffel et le Moulin Rouge. J’avais eu une petite expérience précédemment en France, mais j’espère y passer plus de temps à l’avenir.

Je n’ai malheureusement pu te voir en concert, mais sur MMX, j’ai trouvé ta voix plus puissante et lyrique que jamais. Quelle est ton opinion à ce sujet ?
Merci. Je ne pense pas que ma voix ait tellement changé, mais peut-être suis-je moi-même trop subjectif. Bien sûr, j’espère que ma technique et mon timbre se sont améliorés au fil des années. Je chante probablement de façon aussi passionnée, mais peut-être avec un contrôle que je n’avais pas lorsque j’étais un jeune furieux de vingt et quelques années. J’ai eu de très bons retours placés sur la scène ce soir-là à Wath, et j’ai pu ainsi m’entendre chanter. En tant que chanteur actif, il est crucial de disposer d’un bon retour où que je me trouve. Par le passé, j’ai souvent été contraint de maltraiter mon larynx toute la soirée, pour simplement pouvoir discerner ma voix au milieu de la soupe qu’on entend sur scène, et c’est là la pire chose que tu puisses faire en tant que chanteur. C’est comme maltraiter ta guitare toute la soirée et être étonné qu’une corde te lâche. J’ai parfois des nodules au larynx, ce qui peut être très douloureux lorsque tu dois te battre pour te faire entendre. Pour l’instant, l’évolution n’a pas encore doté la voix d’un chanteur d’un pré-ampli et d’un contrôle de volume ; le « 11 » n’existe pas pour moi ! En ce qui concerne MMX, la majorité des CD/DVD de concerts sont réenregistrés et trafiqués. C’est devenu la norme. Dans bien des cas, ils ne sonnent plus comme des enregistrements publics. Sur MMX, la voix et le piano sont scrupuleusement identiques à ce qu’ils étaient ce soir-là – il n’y a ni réenregistrement, ni falsification, ni arrangement d’aucune sorte. Pour parler clairement, tu as ce qui est écrit sur la boîte ! Le reste est dû au joli mixage de mister Mitten.

Qu’as-tu fait depuis la fin de Twelfth Night. As-tu chanté et joué de la musique depuis ?
Pendant mes vingt ans « sabbatiques » sans Twelth Night, j’ai été impliqué dans un assez grand nombre d’activité parallèles, bien qu’il m’ait fallu un temps assez long pour me sentir à nouveau à l’aise avec la musique. Je n’étais pas vraiment ce qu’on peut appeler un joyeux luron lorsque j’ai décidé d’arrêter. Aucun de nous ne l’était. Je pense que nous étions tous plus ou moins dans le même état d’esprit, bien que le dialogue était alors très réduit entre les membres du groupe. Nous avions tous travaillé durement pour amener le groupe là où il en était à ce moment-là. Le sentiment de déception provoqué par la tournure des événements a eu des effets très négatifs sur les relations entre les membres. J’étais anéanti, physiquement et psychologiquement. Au moment où je suis parti, j’étais anorexique, et je tenais grâce aux amphétamines. J’étais crâmé, désenchanté, trahi. Il faut du temps pour se remettre de ces choses-là.
Les premières années, j’ai vécu reclus, en essayant de me remettre sur les rails et de trier ce que j’avais dans la tête. Le bon côté des choses, c’est que j’ai eu le temps d’aller à l’université. C’est une chose à laquelle je n’aurais même pas songé lorsque je faisais partie du groupe – tu te consacres entièrement à la musique ou tu te trouves autre chose à faire : les demi-mesures n’ont jamais été le genre de la maison. J’ai décliné une offre de l’une des facultés de l’Université d’Oxford, pour choisir la LSE (London School of Economics) où j’ai obtenu une licence en sciences sociales. Durant cette période, j’étais plutôt content de ne plus penser à la musique, et à la place, j’ai eu un regain de passion pour le théâtre. Je me suis beaucoup impliqué en tant qu’acteur et metteur en scène dans la University Drama Society.
J’ai commencé à travailler sérieusement dans la musique suite à une série de rencontres fortuites à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, toutes centrées autour de mon ancien appartement de Maida Vale à Londres, que je conservais en le louant comme chambre d’amis. Mon premier colocataire fut le claviériste, compositeur et aujourd’hui producteur Alex Soos. Alex est l’auteur le plus déterminé et le plus prolifique que je connaisse, et il a certainement contribué à reconstruire ma confiance en moi et m’a fait voir la valeur de ma propre musique, un peu comme ce que nous avions accompli avec Twelfth Night. Il reste l’une de mes plus importantes références lorsque j’ai besoin d’un avis particulier sur un projet que je développe.
Un autre bon ami bavarois, Christian Kelnberger, est également apparu sur la scène en ce temps-là. Excellent guitariste classique, il a passé du temps à l’appartement lorsqu’il était à Londres. Il travaillait sur une thèse et nombreux ont été les matins où je me réveillais en compagnie de Villa Lobos ou de Benjamin Britten tandis que Christian s’exerçait. Ce genre de luxe n’a pas de prix ! De Christian, j’ai appris des tas de choses sur l’harmonie et le phrasé en écoutant ses récitals et ses répétitions, ou pendant des conversations à base de vins et fromages. Un homme de goût !
A cette époque, j’ai commencé à traîner avec le guitariste d’UPO et ex-Guns’n’Roses, Chris Weber, que j’ai rencontré sur le réseau local de l’ouest de Londres. Il était le colocataire de Francis, à l’époque. Cet aspect du réseau au tournant des années quatre-vingt-dix, c’était génial. C’était une époque où les egos étaient moins importants que la musique, le « quoi » était plus important que le « qui ». A l’appartement, où Chris restait quelques jours par ci par là, on passait des heures à parler des idées de l’autre et à les jouer. Je continue de penser qu’il a la rythmique la plus sexy qui puisse exister à la guitare. Chris et moi cherchions tous deux à nous remettre en course et je suppose que nous nous sommes rencontrés à des carrefours similaires de nos vies, essayant tous deux de quitter la Route de la Désillusion pour regagner l’autoroute.
Bref, je suppose que je me suis réconcilié avec la musique en fréquentant d’excellents amis musiciens. Mon banquier n’a pas dû trop apprécier. Pendant un court moment, il y a eu la possibilité d’un nouvel album de Twelfth Night. J’avais quelques idées qui s’impatientaient, et avec Clive, on caressait l’idée de faire quelque chose de neuf. Brian voulait laisser tomber la batterie et endosser le rôle du manager. Ça a fait long feu, et peu de temps après, j’ai émigré en Espagne et Clive en Australie.

Souvenir, ton nouveau disque, « n’est pas un album solo complètement formé, mais une collection de demos, de travaux en cours et de réarrangements de chanson de Twelfth Night ; un souvenir pour le public de tournée ». Est-ce une façon pour toi de te présenter à un nouvel auditoire, une sorte de carte de visite pour ceux qui ne te connaissent pas ou seulement à travers Twelfth Night ?
Souvenir est sans doute une façon de dire « Je suis là, je travaille sur de nouvelles compos ». Je ne me préoccupe pas tant de l’âge de ceux qui me suivent que du fait qu’ils prennent du bon temps ou non. Bien sûr, on a toujours envie de jouer pour un public plus large et de voir de nouvelles têtes dans la foule, mais c’est aussi bien s’il s’agit d’une jeune personne, d’un vieux ou d’un zombie. Je n’avais sérieusement pas pensé à sortir quoi que ce soit pour la tournée, il a fallu qu’on me force un peu la main pour que je sois d’accord. Je suis perfectionniste, ce qui est handicapant parfois, parce que tu considères toujours que ce n’est pas assez bon. Le sentiment de mettre sur la place publique quelque chose d’inachevé me fait froid dans le dos. Au final, j’ai accepté une sorte de compromis.
Souvenir, c’est exactement ce qui est écrit sur la boite : quelque chose à rapporter d’un concert. Le disque comporte quelques titres tirés de la set-list de la tournée européenne, bien qu’à l’époque où nous passions par la Pologne, j’ai commencé à en réécrire certains. Pour le fun, j’ai ajouté quelques classiques de Twelfth Night que j’avais également retravaillés (je suis un accro de la réécriture !). « This City » a été complètement refondue, avec des paroles supplémentaires, et des passages tirés d’idées sur lesquelles je travaille. Je donne ainsi des indices cachés de ce qui figurera peut-être sur l’album The Dragon Inside.
J’ai été agréablement surpris par le nombre de critiques positives que Souvenir a reçues compte tenu de sa nature et de ma réticence à ce qu’il soit chroniqué. Pour cette fois, je pardonne à Brian de l’avoir envoyé aux critiques ! Il est très décourageant de s’autocensurer ainsi, surtout avec la carte de visite que représentait Twelfth Night. Je veux bien faire les choses, ou du moins essayer.

C’est un album calme, presque atmosphérique parfois, basé sur ta voix et sur les claviers. En tant que compositeur, quels artistes t’influencent le plus ? Quel genre de musique écoutes-tu actuellement ?
Il est vrai que récemment j’ai utilisé des claviers, et surtout le piano, pour composer. Mais ce ne sont que des idées de travail, et je n’en suis pas encore à l’étape où je compose les lignes des autres instruments. Le produit final comportera bien davantage de guitares là où ce sera nécessaire. Je passe par différentes phases lorsque je compose, de la guitare au piano, selon mon humeur. Par-dessus tout, je recherche l’ombre et la lumière dans ce que je fais. Il y a tant d’albums qui semblent bidimensionnels, soit tout en puissance, soit tout en tranquillité. J’essaie toujours d’éviter cette dichotomie dans mon propre travail. Je ne sais pas si cela parle à d’autres ou non, et ça n’a pas d’importance. En définitive, j’écris pour moi-même, et si j’aime ce que je fais, j’en suis satisfait. Et si d’autres aiment également, j’en serai bien sûr extrêmement heureux.
Je ne suis pas tant influencé par des artistes que par des chansons. J’ai toujours été ainsi. Je n’écoute pas volontairement un tas de choses, je préfère recevoir des conseils d’amis, de collègues ou d’autres personnes. Actuellement, j’écoute beaucoup de groupes contemporains appartenant au domaine du rock. J’ai la chance aujourd’hui de côtoyer Mark Hughes, notre archiviste, un connaisseur en musique s’il en est. Il écrit quotidiennement des chroniques et comme moi il possède une palette musicale variée. Il y a donc de la musique en permanence chez moi, je dispose donc d’un flot constant de nouveautés de groupes récents ou anciens, ainsi que de vieilles perles que j’avais presque oubliées ! Lorsque j’entends un titre qui me plaît, je lui demande simplement ce que c’est et j’en prends note mentalement. Je lui ai posé des tonnes de questions ces derniers temps ! Il existe tellement de groupes actuellement que c’est une façon efficace de filtrer, de faire diminuer le nombre de disques dans lesquels je devrais probablement investir.
J’aime également la musique classique, et plus particulièrement Rachmaninov, Ravel, Chopin, Prokoviev, Bach et Schubert pour n’en citer que quelques-uns. J’apprécie le blues et le jazz, et la plupart des genres, excepté ceux dont la dénomination ne sert qu’à les distinguer d’une marque de liquide vaisselle. Actuellement, j’écoute des vieilleries. C’est bon de revenir aux racines parfois, et de prendre du recul sur les choses. Ne bouge pas, pendant que je remplace Mogwai par Queen II.
Je pense que je suis avec la musique comme je suis avec le sport. Je préfère faire quelque chose plutôt que de regarder quelqu’un d’autre le faire. C’est pourquoi je préfère me prendre un mois pour marcher mille kilomètres – ce que je fais fréquemment – que de passer quatre-vingt-dix minutes à regarder d’autres taper dans un ballon. En gros, je préfère jouer qu’écouter. J’adore jouer en concert, mais je déteste me retrouver dans une foule, je deviens claustrophobe. J’ai passé environ 80% de ma vie avec moi-même, j’aspire donc à la paix et la tranquillité, à des conversations à deux. En conséquence, je vais donc rarement voir des concerts.

Tu enregistres actuellement un album solo, The Dragon Inside. Peux-tu nous en dire plus sur ce disque ? Quels sont les musiciens qui t’accompagnent ? Comment définis-tu ta musique ? A-t-elle encore un rapport avec le rock progressif ?
Après trente ans de réflexion sur le sujet, je ne suis pas le mieux placé pour te dire ce qu’est le prog. Niveau définition, je suppose que cela la progression a quelque chose à voir avec une « avancée » et/ou le développement de la musique rock en soi. Et non le choix ou l’ordre d’une série d’accords. Dans ce cas, c’est une bonne chose, non ? S’il s’agit de mesures symétriques ou de construction d’accords bizarres, alors le jazz s’en est déjà occupé.
Le titre The Dragon Inside a une connotation psychologique, en référence à mon expérience personnelle de la notion de grandir. C’est quelque chose qui n’est pas achevé, et que je ne suis pas pressé d’achever ! Pour parler un peu sérieusement, j’ai eu une imagination assez prolifique. En tant qu’enfant adoptif vivant à la campagne, j’étais assez solitaire, à la maison comme socialement. Je suppose que je le suis toujours. J’avais envie de quitter la vie ennuyeuse du village, et j’avais besoin d’une motivation pour passer à l’acte. Quoi qu’il en soit, j’avais en moi une énergie erratique, comme un lapin Duracell en surcharge. Si je marchais le long d’une route, il pouvait m’arriver de subitement me mettre à courir. J’aimais imaginer que quelque chose me poursuivait, cela me donnait l’élan pour courir plus vite. Je pouvais parfaitement me paniquer moi-même ! Arrivé sain et sauf, je claquais la porte d’entrée derrière moi. En sachant que « ça » m’attendrait dehors. Peut-être la fois prochaine ! Mûr pour la maison de fous ou simplement très motivé ? Si vous trouvez la réponse, tenez-moi au courant.
Quoi qu’il en soit, j’ai fait un rêve il y a quelques mois dans lequel je me voyais courir vers la maison le long de rues obscures, me glisser par la porte d’entrée et la claquer derrière moi. Je me suis réveillé en sursaut, dans l’air froid de la pièce. Je réalisai que la chose qui me poursuivait, c’était moi. Comme si je tentais d’échapper à moi-même. Ou simplement je me poussais en avant, pour être sûr de ne jamais m’arrêter de courir, de ne jamais rester immobile. The Dragon Inside fait référence à cette sensation, cette force impulsive que nous essayons de contenir, mais qui doit finalement s’exprimer. Cette énergie me guidait jeune enfant, pendant mon adolescence, m’accompagne aujourd’hui encore dans ma vie d’adulte, et se manifeste au moment où je m’y attends le moins.
Tout ce que je souhaite, c’est que The Dragon Inside sonne comme je le souhaite et fasse une impression, bonne ou mauvaise, selon l’auditeur. Peu importe qu’il l’adore ou le déteste, bien que je préférerais clairement la première proposition. Tout ce qui compte est que je sois heureux du résultat. Et concernant ceux qui figureront sur l’album, j’ai eu quelques belles propositions de la part d’amis et d’autres gens, et je suis actuellement en discussion avec eux. Je ne citerai personne tant que je n’aurais pas de certitude absolue, mais je cherche à introduire du sang neuf.

Y a-t-il de nouveaux titres en écriture dans Twelfth Night ?
Actuellement, les autres membres du groupe sont trop impliqués dans leurs vies personnelles ou familiales pour consacrer du temps à un nouvel album. Tout ce que je peux dire, c’est que les choses pourraient changer dans le futur. Je suis aussi ouvert pour écrire de nouveaux titres que je l’ai été lors de la réunion du groupe pour les concerts de 2007-2010. D’ici là, je continuerai à composer seul.

Penses-tu qu’il y ait encore une place pour un groupe comme Twelfth Night ?
La musique d’un groupe est pertinente tant qu’il y a des gens qui veulent l’entendre. Je pense qu’une grande partie de notre musique passe l’épreuve du temps, bien que les techniques d’enregistrement aient énormément progressé depuis la fin des années quatre-vingt. Néanmoins, je pense que la seule façon de rester dans la course est de produire de nouvelles compositions. Et bien qu’il apparaisse que Twelfth Night ne sera plus un groupe de tournée, il est essentiel qu’on produise un nouvel album si nous ne voulons pas devenir notre propre groupe hommage. Et cela n’est pas une route que je souhaite emprunter. Une fois mon album solo terminé, j’aurais le temps de considérer les différentes options qui se présentent. Je n’ai aucune intention de quitter Twelfth Night, mais j’aimerais reprendre la route, en solo et avec le groupe. Grâce à la tournée, j’ai gagné de nouveaux supporters. Bien que certains d’entre eux soient des fans de Twelfth Night, la majorité ne connaissait pas le groupe. C’est dû bien sûr à notre manque de présence en Europe. En tant que formation, on pourrait capitaliser sur l’intérêt qu’a généré la tournée, ou au moins donner quelques concerts en Europe pour offrir à ceux qui nous ont soutenus une chance de nous voir en live. Le festival Lorelei de l’année dernière correspondait seulement à la seconde fois à laquelle nous nous produisions en un lieu accessible à la majeure partie du public européen. La fois d’avant, c’était à Marburg… en 1984.

Le rock progressif lui-même a-t-il un avenir ?
Toute musique a un avenir, aussi longtemps qu’elle vit et qu’on lui permet de le faire. Il a été accusé par le passé d’avoir des vues étroites, d’être un peu trop dédaigneux envers les autres formes de musique, et un tantinet puritain. Le rock progressif, quoi qu’il fût, est construit des mêmes briques que toute la musique occidentale. Tous les genres devraient tenter de « progresser » dans le vrai sens du terme : remettre en forme les connaissances acquises, apprendre du passé plutôt que d’essayer de le reproduire, ce qui reviendrait à être du rock régressif. Mais tu ne peux briser les règles si tu es coincé derrière des barreaux ! Tout genre a un avenir, tant qu’on ne montre pas du doigt les musiciens qui tentent de nouvelles choses, qui sortent du rang. Les tendances se répètent, mais elles apportent toujours quelque chose de neuf. Le prog’ a surmonté les épreuves et apparemment a survécu. Pourquoi cela ne continuerait-il pas ? Donc : le changement, l’inventivité, et plus important encore, la tolérance, l’acceptation de toute forme de musique. Chaque génération de peintres voit la même coupe de fruits que ces prédécesseurs. Mais une imagination créative peut donner une forme nouvelle à un concept ancien. C’est la même chose avec la musique. Les briques n’ont pas vraiment changé, mais avec un peu d’imagination les possibilités sont infinies.

L’industrie du disque est en crise aujourd’hui. Quel est ton regard sur les maisons de disques ? Avec internet et les nouvelles technologies, penses-tu qu’un artiste dispose de plus de liberté ? Un label est-il toujours nécessaire ?
Tout ce qui compte, c’est le profit, n’est-ce pas ? Tout le monde connait le triste état de l’industrie du disque, et les artistes plus que tout le monde : ils suent sang et eau pour produire de la bonne musique, mais se retrouvent devant ceux qui pensent qu’un dieu leur a donné le droit de télécharger leur dur labeur gratuitement. Si un professionnel repeignait ma maison, je pense qu’il souhaiterait être payé ! Je suppose que ces gens seraient ulcérés si leur patron décidait de ne pas leur verser leur salaire mensuel. Ah, mais c’est différent, n’est-ce pas ? Je ne dis rien de neuf, et rien n’a changé. Avec l’avènement de l’iPod et la tendance générale qui néglige la copie physique, il ne reste plus de moyen efficace pour protéger les droits des artistes. De nombreux amoureux de la musique soutiennent les artistes en payant pour ce qui est, finalement, un produit de consommation, bien qu’il ne s’agisse plus vraiment d’un produit physique. Mais bien plus nombreux sont ceux qui ne se mettent pas à la place des artistes qu’ils écoutent. Ils veulent qu’on passe notre vie à faire de la musique, mais refusent de passer à la caisse pour cela.
L’utilisation d’un studio d’enregistrement est devenue dans l’ensemble inutile, les logiciels d’enregistrement étant maintenant très abordables. Les maisons de disques ne sont plus nécessaires. La copie physique appartient au passé, et la lutte contre le piratage est perdue d’avance. Donner des concerts est pratiquement devenu la seule façon de gagner un peu d’argent. Mais la concurrence est rude et la bulle saturée des festivals semble être sur le point d’éclater. Résultat : il est impossible pour les musiciens de ne vivre que de leur musique. D’après Shakespeare, la musique est la nourriture de l’amour. Mais tu as besoin d’autre chose que d’amour pour acheter ta nourriture, et la musique n’y pourvoit pas. Il est tout simplement impossible pour la plupart des groupes de survivre uniquement grâce à leur art. Même si les maisons de disques ont une capacité de promotion, une assise financière à offrir pour un retour sur investissement réaliste, quel est l’intérêt de signer ? Et quel est leur intérêt ? Le rôle d’un intermédiaire n’en a pas si les produits d’un artiste ne peuvent être commercialisés puisqu’apparemment, la musique est gratuite !
Résultat : les progrès dans le domaine de l’enregistrement à domicile ont sans aucun doute aidé les artistes à être plus indépendants, mais les musiciens professionnels ont toujours plus de mal à survivre financièrement. La musique n’est pas gratuite, y compris pour ceux qui la créent. Cela demande du temps, de l’investissement, beaucoup de travail, et du dévouement. Comme pour tout produit, c’est une création à partir de rien. Ce n’est pas que les artistes « peuvent » être indépendants aujourd’hui ou « devraient » l’être davantage. Ils « doivent » l’être pour survivre.

Un dernier mot pour les lecteurs de Chromatique ?
Merci pour votre soutien, sans lequel tout ceci serait un peu vain. Je vais travailler dur pour terminer The Dragon Inside, en espérant le sortir au début de l’année prochaine. Peut-être que je jouerai de nouveaux titres dans quelques concerts à confirmer. Merci à tous ceux qui sont venus me voir sur la tournée, qui ont acheté Souvenir, ou qui m’ont simplement écrit pour me souhaiter bonne chance. J’espère vous voir tous quelque part, dans un futur pas trop lointain. Et par-dessus tout, merci de soutenir la musique ostensiblement, quel qu’en soit le genre !
Tolérance, amour et paix.


Un mot sur Souvenir

Ce Souvenir, de l’aveu du principal intéressé, n’est pas un vrai album, mais une collection de demos, de travaux en cours et de réarrangements de chansons du répertoire de Twelfth Night. La dimension rock du groupe a disparu au profit d’atmosphères travaillées, patiemment développées, plus proches de la personnalité du chanteur. Redécouverte sur le récent MMX, sa voix puissante et lyrique n’a plus à souffrir d’aucune comparaison.

« Satellite  » et « Carapace  » rappellent d’ailleurs qu’il n’est pas qu’un interprète mais aussi un compositeur de talent. Par de nouveaux arrangements, très éloignés de ceux des versions originales, basés sur les claviers et particulièrement le piano, Sears se rapproprie « This City  » et donne une nouvelle dimension à « First New Day  » (enregistré en public) et « The Craft  », dépouillée de ses paroles pour l’occasion. Quelques vidéos, dont une interview, complètent ce plaisant apéritif. Si noter ce galop d’essai n’a guère de sens, on peut néanmoins être fort optimiste quant à la qualité de l’album à venir, The Dragon Inside. Et si cela pouvait donner des idées à ses camarades de jeu…


Site officiel : http://www.twelfthnight.info/

Origine : Royaume-Uni
Style : rock / prog
Composition : Andy Sears (chant, claviers)
Dernier album : Souvenir (2011)

Rescapé de la vaguelette néo-progressive des années quatre-vingt, Twelfth Night sort lentement de l’oubli, après avoir raté de peu la marche de la reconnaissance il y a un quart de siècle. Le stakhanovisme de son batteur Brian Devoil et de quelques fans de la première heure ont permis diverses rééditions d’albums, la sortie d’un livre et l’exhumation d’images et de concerts oubliés. Mais depuis 2007, Twelfth Night a également retrouvé la scène – avec en apothéose un passage au Night of The Prog 2010 – et laissé quelques témoignages de ce retour. Alors qu’un nouvel album ne semble guère se dessiner pour le moment, le chanteur Andy Sears revient sur sa tournée solo en première partie de Pendragon et sur son histoire personnelle, avec lucidité et sans concession.

Chromatique : Je suppose que tu n’as pas tourné aussi longuement depuis des lustres. Pour commencer, parle-nous donc de ce tour avec Pendragon qui s’est achevé au mois de mai. Quels sont les meilleurs moments que tu as vécus ? Qu’est-ce que ça fait de participer à une si longue aventure ?
Andy Sears
: Il est difficile de citer les meilleurs moments, vraiment. Chaque public a son histoire particulière. Je n’exagère pas en disant que j’ai reçu un merveilleux accueil à chacun des trente-cinq concerts lors desquels j’ai joué, dans les douze pays que nous avons visités, même lorsque par deux fois, des problèmes techniques ont rendu quasi impossible la tenue du spectacle sous la forme que je souhaitais. Je me suis moi-même amusé à fond, j’ai donné 110% et reçu 200% en retour.
A vivre comme le treizième membre dans le bus de tournée pendant presque deux mois, on connaît également de grands moments. Surtout lorsqu’en tant qu’artiste solo, on est le seul membre de son « équipe ». Cela dit, l’entourage de Pendragon m’a apporté un soutien énorme ; il régnait une philosophie d’échanges de bons procédés, ce qui est la seule manière de faire lorsque tant de gens vivent dans la promiscuité pendant une si longue période. J’aime à penser que certaines amitiés durables se sont forgées, et lorsque Chop, le chauffeur du bus s’est garé la dernière nuit à Rotherham, je pense pouvoir affirmer que ce fut un triste moment pour chacun de nous, qu’il s’agisse des musiciens ou du reste de l’équipe.
Nous avons eu quelques moments à la Spinal Tap, et des tonnes de rigolades. A Poznán, en Pologne, à cause du manque d’espace sur scène, j’ai dû utiliser le matériel de Clive Nolan, et pour cette soirée seulement, la pédale à sustain s’est mise en grève. J’ai dû interrompre le concert après deux titres seulement. Quelques chaises ont volé dans les coulisses. Oui, je peux faire ma diva aussi bien qu’un autre ! Le public polonais a néanmoins été très enthousiaste, et le peu qu’il a entendu a eu l’air de très bien passer. Puis il y a eu Mezzago, en Italie, où le son de la fosse a été coupé pour ne pas déranger la séance de cinéma de l’étage au-dessus ! Oui : un cinéma ! J’ai décidé de jouer tout de même envers et contre toute cette mauvaise volonté. Ceux qui le pouvaient se collaient aux retours placés sur scène. Chacun faisait des efforts pour éviter tout bruit inutile, pendant que je jouais aussi fort que possible pour éviter que le son ne soit noyé par le cliquetis des touches provenant des retours ! Et malgré ce manque de chance, on a passé un bon moment. Le public italien s’est vraiment impliqué ce soir-là et m’a énormément soutenu. Si tu peux communiquer avec les spectateurs dans de telles conditions, alors tu peux donner un bon spectacle même avec un banjo et une lampe de chevet. Par ailleurs, j’ai vendu plus de produits ce soir-là qu’à n’importe quel autre concert ! Ce dont on se souvient en fin de compte, c’est des gens. Les difficultés techniques font partie des aléas d’une tournée. Il faut avoir beaucoup de chance pour faire trente-cinq dates sans incidents, mais un bon public peut aussi transformer un désastre en quelque chose dont on se souviendra. Chaque soir a son énergie propre, chaque pays sa culture différente et sa façon de réagir. Tu ne sais jamais à quoi t’attendre quand tu montes sur scène. C’est aussi ce qui fait monter l’adrénaline, la drogue à laquelle tous les interprètes, dont je fais partie, sont accros.
Il n’y a eu que ces deux « moments de crise ». Ceci mis à part, tout s’est fait en douceur. Les concerts ont été excellents, ma voix s’est maintenue en grande forme et le Jack Daniels a coulé à flots. Je considère la tournée comme un grand succès pour Pendragon, mais aussi pour moi. Elle a été très enrichissante. Ce fut une occasion privilégiée de toucher un large public en Europe. Et en tant qu’artiste solo, cela m’a donné une bonne base sur laquelle je pourrai construire à l’avenir. Je lève mon verre à Nick, Clive, Peter et Scott pour m’avoir invité. Et, bien sûr, j’ai pu voir quelques très belles villes et de magnifiques paysages !

Tu as joué en France (à Lyon, Paris et Bordeaux). T’étais-tu déjà produit dans ce pays auparavant ?
Malheureusement non. De manière générale, ma plus grande frustration avec Twelfth Night a été le faible nombre de fois où nous nous sommes produits en dehors du Royaume-Uni. C’est une chose à laquelle j’aurais aimé remédier, et pour laquelle j’ai beaucoup travaillé. Lyon a été vraiment réjouissant, le concert figure sans aucun doute dans le top 10. Dans l’ensemble, le public français est vivant et tonitruant, et discute volontiers musique après le spectacle. Je papotais encore avec des gens cinq minutes avant le départ du bus. Merci à Nicolas et Thierry du groupe Silver Lining de m’avoir rejoint sur scène pour l’une des chansons. J’ai réussi à me prendre une heure ou deux pour visiter la plupart des villes, et la France n’y a pas fait exception. Les trois cités dans lesquelles nous avons joué sont impressionnantes : Paris, Lyon, Bordeaux. Bordeaux a été particulièrement une grande soirée. Là aussi, tout sonnait bien sur scène, et les gens étaient d’humeur joyeuse, bien qu’il m’ait fallu décliner un rappel car je n’avais pas assez de temps. Le public parisien quant à lui était en voix, et m’a soutenu pendant le concert, tout spécialement sur « First New Day ». J’y suis revenu après la tournée, car ce jour-là, je n’avais pas pu voir grand-chose, excepté la Tour Eiffel et le Moulin Rouge. J’avais eu une petite expérience précédemment en France, mais j’espère y passer plus de temps à l’avenir.

Je n’ai malheureusement pu te voir en concert, mais sur MMX, j’ai trouvé ta voix plus puissante et lyrique que jamais. Quelle est ton opinion à ce sujet ?
Merci. Je ne pense pas que ma voix ait tellement changé, mais peut-être suis-je moi-même trop subjectif. Bien sûr, j’espère que ma technique et mon timbre se sont améliorés au fil des années. Je chante probablement de façon aussi passionnée, mais peut-être avec un contrôle que je n’avais pas lorsque j’étais un jeune furieux de vingt et quelques années. J’ai eu de très bons retours placés sur la scène ce soir-là à Wath, et j’ai pu ainsi m’entendre chanter. En tant que chanteur actif, il est crucial de disposer d’un bon retour où que je me trouve. Par le passé, j’ai souvent été contraint de maltraiter mon larynx toute la soirée, pour simplement pouvoir discerner ma voix au milieu de la soupe qu’on entend sur scène, et c’est là la pire chose que tu puisses faire en tant que chanteur. C’est comme maltraiter ta guitare toute la soirée et être étonné qu’une corde te lâche. J’ai parfois des nodules au larynx, ce qui peut être très douloureux lorsque tu dois te battre pour te faire entendre. Pour l’instant, l’évolution n’a pas encore doté la voix d’un chanteur d’un pré-ampli et d’un contrôle de volume ; le « 11 » n’existe pas pour moi ! En ce qui concerne MMX, la majorité des CD/DVD de concerts sont réenregistrés et trafiqués. C’est devenu la norme. Dans bien des cas, ils ne sonnent plus comme des enregistrements publics. Sur MMX, la voix et le piano sont scrupuleusement identiques à ce qu’ils étaient ce soir-là – il n’y a ni réenregistrement, ni falsification, ni arrangement d’aucune sorte. Pour parler clairement, tu as ce qui est écrit sur la boîte ! Le reste est dû au joli mixage de mister Mitten.

Qu’as-tu fait depuis la fin de Twelfth Night. As-tu chanté et joué de la musique depuis ?
Pendant mes vingt ans « sabbatiques » sans Twelth Night, j’ai été impliqué dans un assez grand nombre d’activité parallèles, bien qu’il m’ait fallu un temps assez long pour me sentir à nouveau à l’aise avec la musique. Je n’étais pas vraiment ce qu’on peut appeler un joyeux luron lorsque j’ai décidé d’arrêter. Aucun de nous ne l’était. Je pense que nous étions tous plus ou moins dans le même état d’esprit, bien que le dialogue était alors très réduit entre les membres du groupe. Nous avions tous travaillé durement pour amener le groupe là où il en était à ce moment-là. Le sentiment de déception provoqué par la tournure des événements a eu des effets très négatifs sur les relations entre les membres. J’étais anéanti, physiquement et psychologiquement. Au moment où je suis parti, j’étais anorexique, et je tenais grâce aux amphétamines. J’étais crâmé, désenchanté, trahi. Il faut du temps pour se remettre de ces choses-là.
Les premières années, j’ai vécu reclus, en essayant de me remettre sur les rails et de trier ce que j’avais dans la tête. Le bon côté des choses, c’est que j’ai eu le temps d’aller à l’université. C’est une chose à laquelle je n’aurais même pas songé lorsque je faisais partie du groupe – tu te consacres entièrement à la musique ou tu te trouves autre chose à faire : les demi-mesures n’ont jamais été le genre de la maison. J’ai décliné une offre de l’une des facultés de l’Université d’Oxford, pour choisir la LSE (London School of Economics) où j’ai obtenu une licence en sciences sociales. Durant cette période, j’étais plutôt content de ne plus penser à la musique, et à la place, j’ai eu un regain de passion pour le théâtre. Je me suis beaucoup impliqué en tant qu’acteur et metteur en scène dans la University Drama Society.
J’ai commencé à travailler sérieusement dans la musique suite à une série de rencontres fortuites à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, toutes centrées autour de mon ancien appartement de Maida Vale à Londres, que je conservais en le louant comme chambre d’amis. Mon premier colocataire fut le claviériste, compositeur et aujourd’hui producteur Alex Soos. Alex est l’auteur le plus déterminé et le plus prolifique que je connaisse, et il a certainement contribué à reconstruire ma confiance en moi et m’a fait voir la valeur de ma propre musique, un peu comme ce que nous avions accompli avec Twelfth Night. Il reste l’une de mes plus importantes références lorsque j’ai besoin d’un avis particulier sur un projet que je développe.
Un autre bon ami bavarois, Christian Kelnberger, est également apparu sur la scène en ce temps-là. Excellent guitariste classique, il a passé du temps à l’appartement lorsqu’il était à Londres. Il travaillait sur une thèse et nombreux ont été les matins où je me réveillais en compagnie de Villa Lobos ou de Benjamin Britten tandis que Christian s’exerçait. Ce genre de luxe n’a pas de prix ! De Christian, j’ai appris des tas de choses sur l’harmonie et le phrasé en écoutant ses récitals et ses répétitions, ou pendant des conversations à base de vins et fromages. Un homme de goût !
A cette époque, j’ai commencé à traîner avec le guitariste d’UPO et ex-Guns’n’Roses, Chris Weber, que j’ai rencontré sur le réseau local de l’ouest de Londres. Il était le colocataire de Francis, à l’époque. Cet aspect du réseau au tournant des années quatre-vingt-dix, c’était génial. C’était une époque où les egos étaient moins importants que la musique, le « quoi » était plus important que le « qui ». A l’appartement, où Chris restait quelques jours par ci par là, on passait des heures à parler des idées de l’autre et à les jouer. Je continue de penser qu’il a la rythmique la plus sexy qui puisse exister à la guitare. Chris et moi cherchions tous deux à nous remettre en course et je suppose que nous nous sommes rencontrés à des carrefours similaires de nos vies, essayant tous deux de quitter la Route de la Désillusion pour regagner l’autoroute.
Bref, je suppose que je me suis réconcilié avec la musique en fréquentant d’excellents amis musiciens. Mon banquier n’a pas dû trop apprécier. Pendant un court moment, il y a eu la possibilité d’un nouvel album de Twelfth Night. J’avais quelques idées qui s’impatientaient, et avec Clive, on caressait l’idée de faire quelque chose de neuf. Brian voulait laisser tomber la batterie et endosser le rôle du manager. Ça a fait long feu, et peu de temps après, j’ai émigré en Espagne et Clive en Australie.

Souvenir, ton nouveau disque, « n’est pas un album solo complètement formé, mais une collection de demos, de travaux en cours et de réarrangements de chanson de Twelfth Night ; un souvenir pour le public de tournée ». Est-ce une façon pour toi de te présenter à un nouvel auditoire, une sorte de carte de visite pour ceux qui ne te connaissent pas ou seulement à travers Twelfth Night ?
Souvenir est sans doute une façon de dire « Je suis là, je travaille sur de nouvelles compos ». Je ne me préoccupe pas tant de l’âge de ceux qui me suivent que du fait qu’ils prennent du bon temps ou non. Bien sûr, on a toujours envie de jouer pour un public plus large et de voir de nouvelles têtes dans la foule, mais c’est aussi bien s’il s’agit d’une jeune personne, d’un vieux ou d’un zombie. Je n’avais sérieusement pas pensé à sortir quoi que ce soit pour la tournée, il a fallu qu’on me force un peu la main pour que je sois d’accord. Je suis perfectionniste, ce qui est handicapant parfois, parce que tu considères toujours que ce n’est pas assez bon. Le sentiment de mettre sur la place publique quelque chose d’inachevé me fait froid dans le dos. Au final, j’ai accepté une sorte de compromis.
Souvenir, c’est exactement ce qui est écrit sur la boite : quelque chose à rapporter d’un concert. Le disque comporte quelques titres tirés de la set-list de la tournée européenne, bien qu’à l’époque où nous passions par la Pologne, j’ai commencé à en réécrire certains. Pour le fun, j’ai ajouté quelques classiques de Twelfth Night que j’avais également retravaillés (je suis un accro de la réécriture !). « This City » a été complètement refondue, avec des paroles supplémentaires, et des passages tirés d’idées sur lesquelles je travaille. Je donne ainsi des indices cachés de ce qui figurera peut-être sur l’album The Dragon Inside.
J’ai été agréablement surpris par le nombre de critiques positives que Souvenir a reçues compte tenu de sa nature et de ma réticence à ce qu’il soit chroniqué. Pour cette fois, je pardonne à Brian de l’avoir envoyé aux critiques ! Il est très décourageant de s’autocensurer ainsi, surtout avec la carte de visite que représentait Twelfth Night. Je veux bien faire les choses, ou du moins essayer.

C’est un album calme, presque atmosphérique parfois, basé sur ta voix et sur les claviers. En tant que compositeur, quels artistes t’influencent le plus ? Quel genre de musique écoutes-tu actuellement ?
Il est vrai que récemment j’ai utilisé des claviers, et surtout le piano, pour composer. Mais ce ne sont que des idées de travail, et je n’en suis pas encore à l’étape où je compose les lignes des autres instruments. Le produit final comportera bien davantage de guitares là où ce sera nécessaire. Je passe par différentes phases lorsque je compose, de la guitare au piano, selon mon humeur. Par-dessus tout, je recherche l’ombre et la lumière dans ce que je fais. Il y a tant d’albums qui semblent bidimensionnels, soit tout en puissance, soit tout en tranquillité. J’essaie toujours d’éviter cette dichotomie dans mon propre travail. Je ne sais pas si cela parle à d’autres ou non, et ça n’a pas d’importance. En définitive, j’écris pour moi-même, et si j’aime ce que je fais, j’en suis satisfait. Et si d’autres aiment également, j’en serai bien sûr extrêmement heureux.
Je ne suis pas tant influencé par des artistes que par des chansons. J’ai toujours été ainsi. Je n’écoute pas volontairement un tas de choses, je préfère recevoir des conseils d’amis, de collègues ou d’autres personnes. Actuellement, j’écoute beaucoup de groupes contemporains appartenant au domaine du rock. J’ai la chance aujourd’hui de côtoyer Mark Hughes, notre archiviste, un connaisseur en musique s’il en est. Il écrit quotidiennement des chroniques et comme moi il possède une palette musicale variée. Il y a donc de la musique en permanence chez moi, je dispose donc d’un flot constant de nouveautés de groupes récents ou anciens, ainsi que de vieilles perles que j’avais presque oubliées ! Lorsque j’entends un titre qui me plaît, je lui demande simplement ce que c’est et j’en prends note mentalement. Je lui ai posé des tonnes de questions ces derniers temps ! Il existe tellement de groupes actuellement que c’est une façon efficace de filtrer, de faire diminuer le nombre de disques dans lesquels je devrais probablement investir.
J’aime également la musique classique, et plus particulièrement Rachmaninov, Ravel, Chopin, Prokoviev, Bach et Schubert pour n’en citer que quelques-uns. J’apprécie le blues et le jazz, et la plupart des genres, excepté ceux dont la dénomination ne sert qu’à les distinguer d’une marque de liquide vaisselle. Actuellement, j’écoute des vieilleries. C’est bon de revenir aux racines parfois, et de prendre du recul sur les choses. Ne bouge pas, pendant que je remplace Mogwai par Queen II.
Je pense que je suis avec la musique comme je suis avec le sport. Je préfère faire quelque chose plutôt que de regarder quelqu’un d’autre le faire. C’est pourquoi je préfère me prendre un mois pour marcher mille kilomètres – ce que je fais fréquemment – que de passer quatre-vingt-dix minutes à regarder d’autres taper dans un ballon. En gros, je préfère jouer qu’écouter. J’adore jouer en concert, mais je déteste me retrouver dans une foule, je deviens claustrophobe. J’ai passé environ 80% de ma vie avec moi-même, j’aspire donc à la paix et la tranquillité, à des conversations à deux. En conséquence, je vais donc rarement voir des concerts.

Tu enregistres actuellement un album solo, The Dragon Inside. Peux-tu nous en dire plus sur ce disque ? Quels sont les musiciens qui t’accompagnent ? Comment définis-tu ta musique ? A-t-elle encore un rapport avec le rock progressif ?
Après trente ans de réflexion sur le sujet, je ne suis pas le mieux placé pour te dire ce qu’est le prog. Niveau définition, je suppose que cela la progression a quelque chose à voir avec une « avancée » et/ou le développement de la musique rock en soi. Et non le choix ou l’ordre d’une série d’accords. Dans ce cas, c’est une bonne chose, non ? S’il s’agit de mesures symétriques ou de construction d’accords bizarres, alors le jazz s’en est déjà occupé.
Le titre The Dragon Inside a une connotation psychologique, en référence à mon expérience personnelle de la notion de grandir. C’est quelque chose qui n’est pas achevé, et que je ne suis pas pressé d’achever ! Pour parler un peu sérieusement, j’ai eu une imagination assez prolifique. En tant qu’enfant adoptif vivant à la campagne, j’étais assez solitaire, à la maison comme socialement. Je suppose que je le suis toujours. J’avais envie de quitter la vie ennuyeuse du village, et j’avais besoin d’une motivation pour passer à l’acte. Quoi qu’il en soit, j’avais en moi une énergie erratique, comme un lapin Duracell en surcharge. Si je marchais le long d’une route, il pouvait m’arriver de subitement me mettre à courir. J’aimais imaginer que quelque chose me poursuivait, cela me donnait l’élan pour courir plus vite. Je pouvais parfaitement me paniquer moi-même ! Arrivé sain et sauf, je claquais la porte d’entrée derrière moi. En sachant que « ça » m’attendrait dehors. Peut-être la fois prochaine ! Mûr pour la maison de fous ou simplement très motivé ? Si vous trouvez la réponse, tenez-moi au courant.
Quoi qu’il en soit, j’ai fait un rêve il y a quelques mois dans lequel je me voyais courir vers la maison le long de rues obscures, me glisser par la porte d’entrée et la claquer derrière moi. Je me suis réveillé en sursaut, dans l’air froid de la pièce. Je réalisai que la chose qui me poursuivait, c’était moi. Comme si je tentais d’échapper à moi-même. Ou simplement je me poussais en avant, pour être sûr de ne jamais m’arrêter de courir, de ne jamais rester immobile. The Dragon Inside fait référence à cette sensation, cette force impulsive que nous essayons de contenir, mais qui doit finalement s’exprimer. Cette énergie me guidait jeune enfant, pendant mon adolescence, m’accompagne aujourd’hui encore dans ma vie d’adulte, et se manifeste au moment où je m’y attends le moins.
Tout ce que je souhaite, c’est que The Dragon Inside sonne comme je le souhaite et fasse une impression, bonne ou mauvaise, selon l’auditeur. Peu importe qu’il l’adore ou le déteste, bien que je préférerais clairement la première proposition. Tout ce qui compte est que je sois heureux du résultat. Et concernant ceux qui figureront sur l’album, j’ai eu quelques belles propositions de la part d’amis et d’autres gens, et je suis actuellement en discussion avec eux. Je ne citerai personne tant que je n’aurais pas de certitude absolue, mais je cherche à introduire du sang neuf.

Y a-t-il de nouveaux titres en écriture dans Twelfth Night ?
Actuellement, les autres membres du groupe sont trop impliqués dans leurs vies personnelles ou familiales pour consacrer du temps à un nouvel album. Tout ce que je peux dire, c’est que les choses pourraient changer dans le futur. Je suis aussi ouvert pour écrire de nouveaux titres que je l’ai été lors de la réunion du groupe pour les concerts de 2007-2010. D’ici là, je continuerai à composer seul.

Penses-tu qu’il y ait encore une place pour un groupe comme Twelfth Night ?
La musique d’un groupe est pertinente tant qu’il y a des gens qui veulent l’entendre. Je pense qu’une grande partie de notre musique passe l’épreuve du temps, bien que les techniques d’enregistrement aient énormément progressé depuis la fin des années quatre-vingt. Néanmoins, je pense que la seule façon de rester dans la course est de produire de nouvelles compositions. Et bien qu’il apparaisse que Twelfth Night ne sera plus un groupe de tournée, il est essentiel qu’on produise un nouvel album si nous ne voulons pas devenir notre propre groupe hommage. Et cela n’est pas une route que je souhaite emprunter. Une fois mon album solo terminé, j’aurais le temps de considérer les différentes options qui se présentent. Je n’ai aucune intention de quitter Twelfth Night, mais j’aimerais reprendre la route, en solo et avec le groupe. Grâce à la tournée, j’ai gagné de nouveaux supporters. Bien que certains d’entre eux soient des fans de Twelfth Night, la majorité ne connaissait pas le groupe. C’est dû bien sûr à notre manque de présence en Europe. En tant que formation, on pourrait capitaliser sur l’intérêt qu’a généré la tournée, ou au moins donner quelques concerts en Europe pour offrir à ceux qui nous ont soutenus une chance de nous voir en live. Le festival Lorelei de l’année dernière correspondait seulement à la seconde fois à laquelle nous nous produisions en un lieu accessible à la majeure partie du public européen. La fois d’avant, c’était à Marburg… en 1984.

Le rock progressif lui-même a-t-il un avenir ?
Toute musique a un avenir, aussi longtemps qu’elle vit et qu’on lui permet de le faire. Il a été accusé par le passé d’avoir des vues étroites, d’être un peu trop dédaigneux envers les autres formes de musique, et un tantinet puritain. Le rock progressif, quoi qu’il fût, est construit des mêmes briques que toute la musique occidentale. Tous les genres devraient tenter de « progresser » dans le vrai sens du terme : remettre en forme les connaissances acquises, apprendre du passé plutôt que d’essayer de le reproduire, ce qui reviendrait à être du rock régressif. Mais tu ne peux briser les règles si tu es coincé derrière des barreaux ! Tout genre a un avenir, tant qu’on ne montre pas du doigt les musiciens qui tentent de nouvelles choses, qui sortent du rang. Les tendances se répètent, mais elles apportent toujours quelque chose de neuf. Le prog’ a surmonté les épreuves et apparemment a survécu. Pourquoi cela ne continuerait-il pas ? Donc : le changement, l’inventivité, et plus important encore, la tolérance, l’acceptation de toute forme de musique. Chaque génération de peintres voit la même coupe de fruits que ces prédécesseurs. Mais une imagination créative peut donner une forme nouvelle à un concept ancien. C’est la même chose avec la musique. Les briques n’ont pas vraiment changé, mais avec un peu d’imagination les possibilités sont infinies.

L’industrie du disque est en crise aujourd’hui. Quel est ton regard sur les maisons de disques ? Avec internet et les nouvelles technologies, penses-tu qu’un artiste dispose de plus de liberté ? Un label est-il toujours nécessaire ?
Tout ce qui compte, c’est le profit, n’est-ce pas ? Tout le monde connait le triste état de l’industrie du disque, et les artistes plus que tout le monde : ils suent sang et eau pour produire de la bonne musique, mais se retrouvent devant ceux qui pensent qu’un dieu leur a donné le droit de télécharger leur dur labeur gratuitement. Si un professionnel repeignait ma maison, je pense qu’il souhaiterait être payé ! Je suppose que ces gens seraient ulcérés si leur patron décidait de ne pas leur verser leur salaire mensuel. Ah, mais c’est différent, n’est-ce pas ? Je ne dis rien de neuf, et rien n’a changé. Avec l’avènement de l’iPod et la tendance générale qui néglige la copie physique, il ne reste plus de moyen efficace pour protéger les droits des artistes. De nombreux amoureux de la musique soutiennent les artistes en payant pour ce qui est, finalement, un produit de consommation, bien qu’il ne s’agisse plus vraiment d’un produit physique. Mais bien plus nombreux sont ceux qui ne se mettent pas à la place des artistes qu’ils écoutent. Ils veulent qu’on passe notre vie à faire de la musique, mais refusent de passer à la caisse pour cela.
L’utilisation d’un studio d’enregistrement est devenue dans l’ensemble inutile, les logiciels d’enregistrement étant maintenant très abordables. Les maisons de disques ne sont plus nécessaires. La copie physique appartient au passé, et la lutte contre le piratage est perdue d’avance. Donner des concerts est pratiquement devenu la seule façon de gagner un peu d’argent. Mais la concurrence est rude et la bulle saturée des festivals semble être sur le point d’éclater. Résultat : il est impossible pour les musiciens de ne vivre que de leur musique. D’après Shakespeare, la musique est la nourriture de l’amour. Mais tu as besoin d’autre chose que d’amour pour acheter ta nourriture, et la musique n’y pourvoit pas. Il est tout simplement impossible pour la plupart des groupes de survivre uniquement grâce à leur art. Même si les maisons de disques ont une capacité de promotion, une assise financière à offrir pour un retour sur investissement réaliste, quel est l’intérêt de signer ? Et quel est leur intérêt ? Le rôle d’un intermédiaire n’en a pas si les produits d’un artiste ne peuvent être commercialisés puisqu’apparemment, la musique est gratuite !
Résultat : les progrès dans le domaine de l’enregistrement à domicile ont sans aucun doute aidé les artistes à être plus indépendants, mais les musiciens professionnels ont toujours plus de mal à survivre financièrement. La musique n’est pas gratuite, y compris pour ceux qui la créent. Cela demande du temps, de l’investissement, beaucoup de travail, et du dévouement. Comme pour tout produit, c’est une création à partir de rien. Ce n’est pas que les artistes « peuvent » être indépendants aujourd’hui ou « devraient » l’être davantage. Ils « doivent » l’être pour survivre.

Un dernier mot pour les lecteurs de Chromatique ?
Merci pour votre soutien, sans lequel tout ceci serait un peu vain. Je vais travailler dur pour terminer The Dragon Inside, en espérant le sortir au début de l’année prochaine. Peut-être que je jouerai de nouveaux titres dans quelques concerts à confirmer. Merci à tous ceux qui sont venus me voir sur la tournée, qui ont acheté Souvenir, ou qui m’ont simplement écrit pour me souhaiter bonne chance. J’espère vous voir tous quelque part, dans un futur pas trop lointain. Et par-dessus tout, merci de soutenir la musique ostensiblement, quel qu’en soit le genre !
Tolérance, amour et paix.


Un mot sur Souvenir

Ce Souvenir, de l’aveu du principal intéressé, n’est pas un vrai album, mais une collection de demos, de travaux en cours et de réarrangements de chansons du répertoire de Twelfth Night. La dimension rock du groupe a disparu au profit d’atmosphères travaillées, patiemment développées, plus proches de la personnalité du chanteur. Redécouverte sur le récent MMX, sa voix puissante et lyrique n’a plus à souffrir d’aucune comparaison.

« Satellite  » et « Carapace  » rappellent d’ailleurs qu’il n’est pas qu’un interprète mais aussi un compositeur de talent. Par de nouveaux arrangements, très éloignés de ceux des versions originales, basés sur les claviers et particulièrement le piano, Sears se rapproprie « This City  » et donne une nouvelle dimension à « First New Day  » (enregistré en public) et « The Craft  », dépouillée de ses paroles pour l’occasion. Quelques vidéos, dont une interview, complètent ce plaisant apéritif. Si noter ce galop d’essai n’a guère de sens, on peut néanmoins être fort optimiste quant à la qualité de l’album à venir, The Dragon Inside. Et si cela pouvait donner des idées à ses camarades de jeu…


Site officiel : http://www.twelfthnight.info/