Keith Jarrett - Rio

Sorti le: 13/11/2011

Par David Ree

Label: ECM

Site: www.keithjarrett.fr

Il y a album solo et album solo. Dans le premier cas, le terme est parfois employé avec autant de largesse que celle qui conduirait à dire que – attention, ouvrez les portes de l’imagination – Lorie sort son autobiographie ou que Patrick Poivre d’Arvor est l’auteur de Hemingway, la vie jusqu’à l’excès (Éditions Arthaud) ; le musicien dont le nom est mis en avant est généralement réputé en avoir composé et enregistré une grande partie, quoique, dans l’absolu, le nom seul suffit à justifier ce qui est d’une certaine façon un abus de langage.

La comparaison a le mérite de distinguer davantage l’univers solo de Keith Jarrett, celui de Rio en particulier. Un homme, un piano, un public inconditionnel, une heure et demie sans pause clope ni séance défonce intermédiaire pour recharger son inspiration. Une seule prise, parcours singulier emprunté spontanément parmi une infinité d’autres possibles, synthèse de quatre décennies de musique à l’échelle d’une vie. Un monde à part, suffisant en soi, mais en aucun cas hermétique. Un langage universel, à l’opposée d’un délire aussi impressionnant que farfelu tel qu’affectionnent les partisans de la facilité. Le voici, l’album solo à la Keith Jarrett.

Rio n’échappe pas à la règle ; il est même très certainement l’une des versions les plus remarquables de l’exercice périlleux du piano solo improvisé, auquel l’artiste s’est adonné à maintes reprises, à un niveau qui ne connaît que peu, voire pas, d’équivalent au monde. Le jazz en est un point de repère, et se découvre au détour de certains phrasés, parce que s’affranchir entièrement de toute forme reviendrait à démolir le sens d’un propos développé dans une liberté pourtant totale, et parce que ce langage lui fournit les outils les plus pertinents pour bâtir la tension et les arguments permettant de repousser toujours plus loin l’échéance de la résolution. Ce soir-là, Rio a connu un rare moment de beauté, l’un de ceux que 99% des musiciens n’arrivent pas à approcher sur toute une carrière. Mieux vaut le vivre par procuration que de s’en indigner.