Roger Waters - The Wall

23/06/2011

Bercy - Paris

Par Renaud Besse Bourdier

Photos: Nidhal Marzouk

Site du groupe : www.roger-waters.com

Setlist :

Première partie : In The Flesh / The Thin Ice / Another Brick In The Wall (part.1) / The Happiest Days Of Our Lives / Another Brick In The Wall (part.2) /Mother / Goodbye Blue Sky / Empty Spaces / What Shall We Do Know? / Young Lust / One Of My Turns / Don’t Leave Me Now / Another Brick In The Wall (part.3) / The Last Few Bricks / Goodbye Cruel Word

Deuxième partie : Hey You / Vera / Bring The Boys Back Home / Comfortably Numb / The Show Must Go On / In The Flesh / Run Like Hell / Waiting For The Worms / Stop / The Trial / Outside The Wall

En 1979, Pink Floyd met au monde un concept-album qui marque les esprits de toute une génération : The Wall, l’histoire d’un homme qui, de traumatisme en traumatisme, se coupe progressivement du monde et s’enferme derrière un mur symbolique. Habitués à des spectacles hallucinants pour l’époque en matière d’effets visuels durant leurs performances scéniques, Roger Waters – qui a pris un poids prépondérant lors des sessions d’enregistrement – et les autres membres du groupe – qui ne l’ont pas toujours bien vécu – tentent d’élever leur nouvel album à un niveau encore supérieur, en lui donnant toute sa puissance lors d’un live véritablement mis en scène. Mais s’ils y parvinrent effectivement, les technologies de l’époque n’étaient pas assez poussées pour correspondre à la folie des grandeurs floydienne. Trente ans après la tournée de 1980-81, Roger Waters arpente les scènes du monde entier une dernière fois (du moins d’après ses dires) pour jouer à nouveau The Wall ; le 31 mai, il était à Bercy, et nous aussi.

Avant même que le concert commence, la salle impressionne : d’abord, le mur, prêt à être construit sous nos yeux, et qui occupe déjà une partie des gradins. Sur scène, un mannequin en uniforme militaire, souvenir du père absent ; au plafond, un avion miniature. Et enfin, au sol, une régie immense, bien nécessaire au vu de la puissance visuelle du spectacle auquel on s’apprête à assister.

Le concert commence, devant un public aussi heureux qu’anxieux ; ce concert allait-il valoir le coup ? Roger Waters n’allait-il pas risquer d’abîmer l’un des beaux souvenirs musicaux qui soient, celui de la découverte de ce disque, à l’adolescence ? Les premières notes de « In The Flesh » retentissent, des flammes explosent de tous les côtés, l’avion fonce sur la scène dans un tourbillon infernal ; les yeux brillent, le spectacle commence, et il commence fort.

Un mot d’abord sur la musique, qui reste tout de même au centre : bien que les guitaristes s’autorisent quelques fantaisies sur leurs solos, le tout reste très carré et très proche du disque ou de versions live ultérieures, ce qui peut être parfois dommage mais qui est ici absolument logique. En effet, la musique accompagne le déroulement visuel du spectacle, ce qui explique cette rigueur imposée. Malgré cette contrainte, Roger Waters n’a pas trop de mal à rappeler qu’il est un compositeur hors pair ; « Young Lust » ou « Run Like Hell » acquièrent une puissance considérable en live tandis que d’autres instants savent se faire intimistes. Sans s’étendre encore sur la majestueuse interprétation de « Comfortably Numb », même sans la présence de David Gilmour, il faut souligner le soin apporté à « Mother » : Roger Waters, « au risque de paraître narcissique » comme il l’a lui-même annoncé, le chante en duo… avec lui-même (projeté en fond, sur une vidéo de la tournée de 80-81). Et force est de constater que le Waters de 67 ans a encore une belle voix ; il lui arrive d’être faux – ce qui coupe court aux débats sur le play-back qui agitent internet -, mais il chante avec beaucoup d’émotion et un réel plaisir sur scène, ce qui change des concerts d’il y a trente ans, où le mal-être du personnage de Pink semblait avoir envahi celui qui l’interprêtait.

Mais la musique n’est qu’une facette inséparable de l’aspect le plus spectaculaire de cette soirée : le visuel. Tout au long de la première partie du concert, des techniciens construisent le mur brique par brique. Mais ce mur n’est pas une simple façade, c’est surtout un moyen de projeter des images, qui font toute l’identité The Wall. Se mélangent ainsi des extraits des animations du film d’Alan Parker, notamment la scène où deux fleurs symbolisent l’anxiété d’un Pink adolescent écrasé par sa mère face à la sexualité, mais aussi le décor du parti fasciste qu’il fonde ensuite, pour la reprise d’ « In The Flesh » et « Run Like Hell ». Le mur n’est pas le seul élément à créer l’animation sur scène ; Waters endosse les différents rôles joué par Pink, brandit son mégaphone, fusille à tour de bras, du grand art. De plus, le professeur d’école et la mère sont incarnés par d’immenses marionnettes gonflables, et des enfants d’Aulnay-sous-Bois envahissent la scène pour « Another Brick On The Wall (part. 2) ». A vrai dire, il est difficile de mettre en mots la richesse visuelle du spectacle proposé par Roger Waters.

Le bassiste remet au goût du jour le concept de The Wall. La dimension antimilitariste, qui n’était qu’une composante parmi d’autres du disque, et qui allait être largement développée sur The Final Cut, se trouve ici accentuée, les projections sur le mur faisant le lien entre la mort du père de Waters en 1944 et les guerres d’Irak et d’Afghanistan, ce qui n’est sans doute pas au goût de tous, mais qui a le mérite d’entrer en résonnance avec notre temps. De même, le parti totalitaire stalino-nazifiant de Pink prend des atours contemporains en intégrant à sa doctrine la folie du capitalisme actuel. Au final, Roger Waters verse son personnage dans d’autres extrêmes, mais en revient à la même situation ; le mur est construit, derrière lequel les musiciens disparaissent (ils reviennent pour la dernière partie du concert dans leurs costumes du Parti), laissant Waters seul pour son moment de gloire sur un « The Trial » particulièrement puissant, illustré intégralement par des images du film d’Alan Parker.

Enfin, dans l’hystérie générale, le mur s’effondre. Le groupe revient sur les ruines pour le final « Outside The Wall », puis Roger Waters présente ses partenaires, qui quittent la scène un à un. Les spectateurs sont encore un peu abasourdis. En toute logique, il n’y a pas de rappel, ce qui devait être dit l’a été, Roger salue la foule une dernière fois et laisse un public hébété mais heureux face aux briques en plastiques éparpillées, vestiges d’une soirée mémorable (malgré le prix exorbitant des places).