Cheese Prog Event 3

07/06/2011

Le Molodoï - Strasbourg

Par Jean-Philippe Haas

Photos: Jean Isenmann

Site du groupe :

Après l’honorable succès de la seconde édition, on était en droit d’attendre un troisième Cheese Prog Event encore plus rayonnant. Calendrier défavorable, mauvaise communication ou baisse générale de fréquentation, toujours est-il que seule une cinquantaine de personnes a fait ce soir le déplacement pour assister aux performances des trois groupes en présence : les locaux Camembert et Feedback Theory venus encadrer la tête d’affiche, les Hongrois de Special Providence.

Camembert ouvre le bal par une performance d’environ trois quarts d’heure, composée de trois titres de l’EP Clacosmique et d’une nouvelle composition qui figurera sur leur premier album à paraître en septembre chez AltrRock. Le set est très différent de celui de 2009 car les compositions ont été retravaillées pour convenir à une formation sans guitariste (Vincent Sexauer a en effet quitté le groupe entre temps). Ainsi, le rendu est beaucoup plus organique, et ces réarrangements donnent un surcroît de groove aux quatre titres interprétés. L’ensemble est plus rond, plus chaud, grâce notamment à la trompette de Bertrand Eber et au trombone du fantasque Fabrice Toussaint. Par ailleurs, les tendances jazz funk ressortent beaucoup plus nettement, soutenues par la basse bondissante de Pierre Wawzryniak et la frappe de Philémon Walter. Guillaume Gravelin quant à lui intègre avec toujours autant de bonheur sa harpe aux méandres d’une musique aux multiples facettes, percussive à souhaits, où se croisent vibraphones, gongs et triangles. On espère que l’album à venir explorera plus avant ces réjouissants territoires.

Après un concert plutôt acoustique, c’est un orage électrique qui attend les spectateurs avec les quatre jeunes prodiges hongrois de Special Providence qui testent ce soir cinq nouvelles compositions amenées à figurer sur un futur disque, dont la sortie est prévue au début de l’année 2012. Quoiqu’un peu statique sur scène, le quatuor impressionne par une mise en place infaillible. Les titres choisis sont plutôt vigoureux, souvent axés sur la composante metal du groupe, et l’interprétation est ahurissante de virtuosité. Caché derrière ses trois étages de claviers, Zoltán Cséry n’a de leçon à recevoir d’aucun Derek Sherinian. Les autres ne sont pas en reste : Attila Fehérvári, soutenu par la frappe impitoyable d’Adam Markó, exploite à peu près tout ce dont sa basse est capable, du groove irrésistible au tapis rythmique façon John Myung. La guitare de Márton Kertész vient compléter ce trio redoutable avec moult descentes de manche et autres fulgurances. Malgré quelques inévitables solos, l’accent est mis sur les compositions qui allient souvent furie dévastatrice à la Liquid Tension Experiment, passages spatiaux à la Planet X et digressions jazz fusion. Desservi par un volume trop élevé, le son est pourtant remarquablement précis et équilibré. Esbaudi par tant de talent, le maigre public en redemande et obtient gain de cause. Encore un petit tour et puis s’en va, Special Providence a brillamment défendu son statut de tête d’affiche.

Trop violent peut-être pour certains, le spectacle a fait fuir quelques-uns des spectateurs et Feedback Theory essuie les plâtres. Une petite poignée de curieux reste pour assister à un concert de musique électronique minimaliste à base de bidouillages. Si le duo cadre mal avec le concept du festival, il ne semble guère déstabilisé par l’absence de public. Ces apprentis Klaus Schulze vaquent ainsi tranquillement à leurs occupations, triturent et tournent une multitude de boutons sur leur console, produisant des ambiances technoïdes et autres climats lancinants. Leur prestation eut probablement mérité plus d’attention, mais l’heure tardive et la densité des deux concerts précédents ont eu raison de la plus grande partie du public.

Les organisateurs ne cachent pas leur déception. Peut-être y a-t-il quelques leçons à tirer de cet échec : il ne suffit pas de présenter une musique de qualité pour convaincre le public de se déplacer. Pourquoi les étiquettes jazz et metal, par exemple, sont-elle bien plus porteuses, alors que le prog, pourtant très proche ce soir de ses cousins, souffre d’un déficit de reconnaissance ? Le microcosme du progressif doit sans doute revoir tout son plan de communication, à commencer par l’abandon de cette gênante étiquette qui, de toute manière, ne signifie plus grand chose. Ces considérations n’enlèvent pourtant rien à l’immense mérite de ces quelques passionnés, Pierre Wawrzyniak de Camembert en tête, qui continuent de défendre bec et ongles une musique qui, peu importe son nom, regarde résolument vers l’avant.

Sites artistes :
http://www.myspace.com/camembert67
http://www.specialprovidence.hu
http://www.myspace.com/feedbacktheoryzik