Univers Zero – Clivage serein

Quelques mois après la sortie de Clivages, unanimement salué par la critique, Progressia fait le point avec Daniel Denis sur les perspectives d’avenir d’une formation majeure des musiques progressives de ces vingt dernières années. Où l’on voit que le statut de groupe-culte, prestigieux s’il en est, ne garantit jamais rien, et que faire vivre son ambition musicale peut relever du parcours du combattant, même après trente ans de carrière.

Progressia : Clivages a été publié il y a quelques mois maintenant. Quel bilan dresses-tu de la réception de cet album, tant par le public que par les médias ?
Daniel Denis : Les critiques ont été très positives. Ce disque a l’avantage d’avoir été enregistré plus ou moins live avec un groupe existant, ce qui n’était plus arrivé depuis Heatwave. La différence est bel et bien là et cela rehausse d’autant plus la vitalité de la musique. Le matériel du disque présente aussi des compositions d’autres membres de la formation et propose un éventail et une diversité très larges en couleurs. C’est aussi une raison importante du succès critique de Clivages.

Univers Zero se produit rarement sur scène, notamment en France. Est-il aussi difficile de tourner dans le reste de l’Europe et du monde ? Avez-vous l’occasion de jouer davantage en Belgique ?
C’est surtout dû à l’absence de management pour le groupe. Depuis sa création, Univers Zero a toujours souffert de cette carence et je reste persuadé que si quelqu’un travaillait sur la prospection pour des concerts, en Belgique et surtout à l’étranger, nous aurions régulièrement des dates. Cela reste identique pour les démarches concernant les subventions ou les propositions d’éventuelles créations avec d’autres disciplines telles que la danse : il y a un travail énorme à effectuer – nous cherchons toujours quelqu’un, avis aux amateurs. Les musiciens qui connaissent le même problème sont extrêmement nombreux comme Thierry Zaboitzeff, Present, Mats/Morgan Band ou Jannick Top, pour ne citer que quelques exemples. Depuis la réunion d’Univers Zero en 2004, je m’occupe de toutes ces fonctions extra-musicales, en me rendant compte que cela se fait au détriment de mon temps et de ma concentration pour la composition. C’est assez frustrant.

Quel bilan tires-tu de votre participation au festival Rock in Opposition de Carmaux l’an dernier et de votre prestation commune avec Present ?
C’était une expérience impressionnante et le public était vraiment très enthousiaste. Il est question que nous remettions cela l’année prochaine avec le groupe Aranis en supplément, comme conclusion d’une résidence, et présentions du nouveau matériel musical pour l’évènement. L’idée est d’obtenir d’autres dates à divers endroits pour pouvoir boucler ce projet.

Clivages s’éloigne d’Implosion pour retrouver des sillons plus anciens. Est-ce lié au retour d’Andy Kirk ou est-ce une évolution naturelle, sans rapport avec ses changements de personnel ?
Comme dit plus haut, cet album a été enregistré avec l’ensemble du groupe. C’est effectivement une évolution naturelle avec l’apport cette fois-ci des compositions des différents membres. Avec Implosion, il n’y avait pas de formation existante à proprement parler, j’avais l’entière liberté d’expérimenter de nouveaux sons et d’autres structures musicales, et le choix d’employer des musiciens pour chaque morceau. Les pièces ne prenaient une tournure définitive qu’en studio.

Quelle est aujourd’hui la place de Pierre Chevalier dans le groupe ?
Il est membre à part entière bien sûr. Je voyais difficilement quelqu’un d’autre à sa place. A propos d’Andy,  nous avons essayé la combinaison avec les deux claviers mais le résultat n’était pas vraiment convaincant, la musique n’étant pas prévue pour et au bout du compte, Andy a pris la guitare pour les derniers concerts. Il est toujours le bienvenu, quelle que soit la forme que prend sa participation, composition ou présence scénique pour des concerts importants. Il reste un élément important au sein d’Univers Zero, au regard de tout ce qu’il a apporté.

Et quel regard portes-tu rétrospectivement sur Implosion ?
Comme pour Rhythmix, Implosion m’a incité à explorer entre autres le sampler. Lors de mon passage dans Art Zoyd, j’avais eu l’occasion de découvrir grâce au travail de Thierry [Zaboitzeff] et Gérard [Hourbette] la grande richesse qu’on pouvait obtenir avec la création de sons. Pour ces albums, j’ai préféré visionner le travail de studio. Les morceaux que j’ai proposés n’étaient pas spécialement pensés pour la scène. La diversité des musiciens invités pour ces disques m’a permis de m’écarter un peu des sons « typés » de l’Univers Zero des premières moutures.

Comment l’écriture et l’enregistrement de l’album se sont-ils déroulés ? Ces conditions ont-elles eu une influence sur l’évolution stylistique des compositions ?
Oui, heureusement ! Je pense qu’il faut toujours essayer de découvrir d’autres opportunités pour faire avancer les choses. A certains moments, il y a toujours le danger de stagner, d’en rester à ses propres règles… Ce n’est donc pas toujours évident.

Comment enregistre-t-on un disque d’Univers Zero dont l’instrumentation s’éloigne d’un groupe de rock traditionnel ? Il y a sûrement des problématiques spécifiques à la formation. Comment les résolvez-vous ?
C’est plutôt sur scène que nous rencontrons un problème d’équilibre entre les instruments de facture classique et les autres, amplifiés et plus rock. Il faut être prudent lorsque l’on compose et ne pas écrire des parties pour le hautbois ou le basson dans des tessitures où il serait physiquement impossible par moments d’égaler le niveau sonore des autres instruments. Ceux dont joue Michel [Berckmans] ont des exigences différentes par rapport au saxophone ou à la clarinette.

Penses-tu que les évolutions de ces quinze dernières années en matière d’informatique et de logiciels de création ou d’enregistrement aient eu une influence sur l’élaboration de votre musique ?
Concernant mon travail de composition, il est certain que l’apport de l’ordinateur m’a énormément facilité les choses, moi qui ne suis pas lecteur et n’écris pas la musique. Auparavant, il fallait que je me débrouille avec des cassettes, ou les enregistreurs quatre-pistes. C’était très laborieux. Avec l’informatique, je peux avoir une idée déjà assez précise de la manière dont les morceaux pourront sonner, sans oublier les facilités pour éditer les partitions, etc. Il en est de même pour le studio, avec l’avènement de toutes ces nouvelles technologies et les effets de plus en plus sophistiqués. Lorsque je pense à l’enregistrement de nos premiers disques, le fonctionnement était tellement primaire ! Avec le recul, même si cela sonnait à l’époque, je pense qu’il était impossible de donner une dimension suffisante à une musique qui se voulait exigeante. Je m’en suis aperçu lorsque j’ai fait remixer les deux premiers albums par Didier de Roos.

Sur scène, Univers Zero a laissé pendant un temps une grande place aux perceptions visuelles avec des images projetées en arrière-plan. Étaient-elles mixées en direct ou s’agissait-il de séquences déjà montées ? Votre musique, instrumentale certes, n’est-elle pas déjà suffisamment évocatrice ?
Elle se suffit à elle-même évidemment, mais l’idée de mettre l’image en fond de scène donnait une dimension supplémentaire et pouvait présenter aux gens qui ne connaissaient pas la musique d’Univers Zero une autre manière de l’aborder. Les images étaient préparées à l’avance et régies en direct. Il n’y en a plus depuis plus de deux ans car le souci était que Philippe ne limitait pas suffisamment leur densité, et du coup, la musique et notre présence sur scène avaient tendance à être absorbées par la vidéo.

Si ces images sont liées à la musique, pourquoi ne pas les proposer sur DVD avec l’album ? Est-ce une question de moyens, ou de démarche voire d’intérêt ?
Le problème reste toujours celui des budgets insuffisants. L’idée est de sortir le DVD du concert donné au Triton l’an passé, accompagné du remixage de Ceux du Dehors. Si le budget le permet, je m’attellerai à la tâche bientôt.

Hérésie, votre second album, s’offre une nouvelle jeunesse par le biais d’une sortie chez Cuneiform Records. N’étiez-vous pas satisfaits de la version CD existante ?
Hérésie a été réalisé en 1979 avec les moyens d’époque. Le peu de temps qu’on y a consacré vu les finances réduites n’était pas à la hauteur de son potentiel. Avec les technologies actuelles, l’album retrouve la densité, les couleurs et la dynamique que nous n’avions pas obtenues auparavant. Didier de Roos, avec qui je travaille depuis 1986, a fait un travail considérable, comme toujours, pour le remixage. L’esprit global de l’original est resté, mais quelle différence à la finition ! Je pense que ces albums méritent un bon coup de fraîcheur.

Quelles sont les perspectives immédiates et à plus long terme pour Univers Zero ?
Nous rentrons d’un concert à Washington donné le vingt-cinq septembre, mais l’avenir m’inquiète un peu. Nous avons peut-être la possibilité de faire deux dates à Tokyo l’an prochain bien que ce plan reste difficile à concrétiser parce que cela coûte très cher aux organisateurs de nous faire venir. Il y a également le projet de scènes avec Present et Aranis que j’ai déjà évoqué. Par ailleurs, le quinze octobre, un ensemble classique/contemporain a exécuté quarante-cinq minutes de mes compositions, retraçant trente ans de musique d’Univers Zero ré-orchestrée. Un autre défi…

Un dernier mot ?
Il est important que chacun essaye de se décloisonner le plus possible des « genres musicaux » auxquels il s’est accroché par habitude. Il existe une si grande diversité de musiques intéressantes et superbes !