– La fin d’un(e) (t)rêve ?

Progressia revient sur l’évènement incontesté de cette rentrée : Mike Portnoy quitte Dream Theater. Le batteur tatoué que l’on croyait marié à son groupe surprend ainsi toute la sphère musicale progressive, laissant ses anciens camarades continuer leur route sans lui. Chronique d’un départ devenu prévisible au fil du temps ?

L’impensable est arrivé et la nouvelle a fait l’effet d’une véritable bombe : Mike Portnoy n’est plus membre de Dream Theater. Le batteur new-yorkais l’a fait savoir via un communiqué posté sur son forum. Si la communauté progressive est pour le moins abasourdie, le doute subsiste sur cette décision. Abandonner le navire ? Il y avait déjà pensé du temps où Dream Theater planchait sur Falling Into Infinity (1997).

La faute aux managers et conseillers marketing en cols blancs de la Warner qui souhaitaient que le groupe de Long Island rentre dans un moule artistique, ouvrant ainsi la porte à des concessions musicales dans le but de vendre par wagons entiers. In fine, Dream Theater, mené par son porte-parole de batteur avait gagné le bras de fer et gardé sa totale liberté de création.

Véritable pilier au sein de SON groupe qu’il a formé à la Berklee College of Music en 1985 en compagnie de John Petrucci, John Myung et Kevin Moore, Mike Portnoy l’a nourri, fait grandir, et lui a permis de s’émanciper pour tutoyer des sommets que peu de groupes officiant dans la mouvance du metal progressif ont atteints. En toute logique, si l’un des musiciens était amené à quitter le navire, le capitaine aurait, lui, naturellement tenu la barre, quitte à sombrer avec.

Quelle est donc l’origine de cet étonnant divorce ? Plusieurs raisons sont évoquées. Tout d’abord, celle de l’implication gargantuesque (et parfois agaçante) de l’Américain dans différents projets annexes. Le dernier en date, l’enregistrement du dernier disque d’Avenged Sevenfold – le fait de partir en tournée avec eux ne serait-il pas la goutte d’eau qui a fait déborder le vase en interne ? – suscite l’interrogation. Boulimique, Mike Portnoy ne serait-il pas arrivé à saturation pour de bon ?

Autre raison potentielle de la séparation : les objectifs professionnels du batteur d’un côté, et ceux de Dream Theater de l’autre. James LaBrie, John Myung, John Petrucci et Jordan Rudess auraient souhaiter rentrer rapidement en studio pour débuter l’écriture du successeur de Black Clouds and Silver Linings (2009), afin d’arpenter les routes de nouveau. Or, leur charismatique leader aurait invoqué une pause plus longue qu’à l’accoutumée, avançant comme argument l’envie de rompre avec la routine composition / enregistrement studio / promotion / tournée. Pour faire bref, sa demande de hiatus aurait été refusée par ses confrères.

Il apparaît comme évident désormais que Mike Portnoy a été consumé par son propre groupe, celui qu’il a porté sur ses épaules pendant ces vingt-cinq dernières années et que son envie de souffler – en voguant vers d’autres horizons musicaux ? –, a pris peu à peu le dessus sur son implication dans Dream Theater. Il est à rappeler qu’il y endossait de nombreuses casquettes comme celles de manager, producteur, directeur artistique et visuel, porte-parole, superviseur du merchandising, etc. Comme l’avaient titré nos confrères de Rock Hard à une époque : « Dream Theater : sont-ils humains ? ». Réponse : oui, ils le sont.

Du côté des fans, c’est bien entendu la confusion. Des groupes ont commencé à fleurir sur Facebook suite à ce départ impromptu et il n’est pas improbable que d’autres actions, notamment des pétitions réclamant son retour, voient le jour sur le web. Entre colère, respect, résignation et surprise, l’ambiance est explosive compte tenu de l’érosion artistique des dernières productions de Dream Theater, sujettes à polémiques pour le plus grand nombre. Dans tous les cas, le départ de Mike Portnoy ne laisse personne indifférent.

Sur son forum officiel, le propos est radical. Pour certains, c’est sans appel : Dream Theater ne peut exister sans Mike Portnoy, de la même manière que Rush ne pourrait continuer sans Neil Peart. D’autres, à l’inverse, sont plus lucides : n’est-ce pas là un mal pour un bien, une décision lourde et courageuse qui se doit d’être respectée en remerciant son batteur pour tout ce qu’il a donné, et espérer que le groupe débute un nouveau chapitre de son histoire ?

Forcément, les discussions vont bon train. Qui donc peut remplacer une telle figure emblématique dans une formation dont elle fut le géniteur (et dont le père est à l’origine du nom Dream Theater) et qui assurait en outre le lien avec le public ? Et surtout, quel avenir pour un groupe privé d’une de ses pièces maîtresse ? Depuis Scenes From a Memory (1999), Mike Portnoy et John Petrucci avaient en effet décidé de co-produire les albums à venir et d’orienter ainsi la direction artistique de la formation…

Les cartes semblent complètement brouillées sur ce sujet. John Petrucci est-il ainsi amené à reprendre seul le flambeau ? Si d’un point de vue théorique, la probabilité est grande (le guitariste compose la grande majorité de tous les titres et a signé jusqu’ici les trois quarts des textes), qu’en sera-t-il de la musique ? L’inquiétude sévit. Dream Theater va-t-il devenir le projet solo de John Petrucci ? Les autres membres vont-ils contribuer à part égale et revenir, pourquoi pas, à une musique moins métallique et plus sophistiquée ? Aucune hypothèse n’est à écarter, y compris celle de voir Mike Portnoy revenir plus tard – pour une raison autre que pécuniaire.

L’équation est ainsi établie. Qui ? Quoi ? Et surtout, quand ? Un scénario découpé en trois volets qui relance la machine à fantasme : voir débarquer des monstres techniques tels que Thomas Lejon (A.C.T. / Andromeda), Aquiles Priester (ex-Angra), Mike Mangini (Steve Vai, MullMuzzler) Virgil Donati (Planet X), Gavin Harrison (Porcupine Tree) ou John Macaluso (Ark). Un batteur à l’instar de Truls Haugen (Circus Maximus) et sa capacité à pousser la chansonnette pèsera t-il dans la balance ?

Quelle sera la décision de Dream Theater ? Engager un batteur dont la réputation n’est plus à faire, ou, a contrario, recruter une personne quasi inconnue capable de supporter la pression ou de s’astreindre à ne devenir que la cinquième roue du carrosse ? La réponse est pour bientôt. Un feuilleton à suivre dans les prochains mois, qui rappelle l’année 1993, celle du départ de Bruce Dickinson d’Iron Maiden. Quoi qu’il en soit, Dream Theater n’a pas fini de faire jaser… Le rideau se baisse pour quelque temps. Bon vent, Mike !