– Le guide du routard électrique

S’ils s’appellent Marvin et non Martin ou Richard, c’est en hommage au robot déjanté héros du roman de Douglas Adams. Et si l’étrange androïde dépressif possède un cerveau aussi grand qu’une planète, les membres de Marvin ne l’ont pas eux, la grosse tête, bien au contraire. S’ils font de la musique, c’est pour la partager, et le plus possible. Progressia a donc eu le privilège de les croiser lors de leur arrêt au Confort Moderne de Poitiers (à l’occasion du festival Less Playboy Is More Cowboy) pour échanger quelques mots et assister à l’une de leurs énergiques performances.

Accessibles, souriants, simplement heureux de pouvoir jouer souvent et devant un public croissant (« Aucun de nous n’a d’engagement, on en profite pour l’instant »), les musiciens surfent sur ce début de reconnaissance sans se projeter plus loin que le concert du soir même (« Être en une de Noise, ça fait plaisir, c’est sûr. Maintenant les gens pensent qu’on est pétés de thune ! » s’en amuse Fred).

Greg (batterie), Fred (guitare) et Emilie (claviers) sont donc presque constamment sur la route et profitent pleinement de la liberté que leur offrent leurs emplois du temps respectifs et leur fidèle Traffic (« Nous avons une âme de routard, mais aussi une âme de routier ! ») avec lequel ils sillonnent l’Europe, accompagnés de compilations façonnées par les amis en fond sonore (« Il y en a des très bonnes… mais également de très mauvaises ! »). Autodidactes absolus (« J’ai appris à Greg à jouer de la batterie » plaisante Fred), la multiplication des dates de concerts reste pour eux l’occasion d’écouter de nombreux autres groupes, de créer des liens et de continuer à avancer.

Tout en simplicité, ils réaffirment ainsi leur bonheur d’avoir partagé la scène avec Trans Am, leur référence absolue à laquelle ils sont sans cesse comparés (« Pour nous définir, on pourrait dire que nous sommes une formation qui ressemble à Trans Am ! Ce sont eux qui m’ont fait aimer les synthétiseurs dans le rock » avoue Greg) ou de pouvoir tisser des affinités musicales et personnelles (comme avec les membres de Zëro) tout au long de leurs périples.

Ces derniers mois, Marvin a défendu devant son public son dernier album Hangover the Top, acclamé dans nos colonnes comme presque partout ailleurs. La scène s’affirme davantage comme leur moteur principal, et ce dernier disque leur permet de continuer à révéler une idée très précise de leur travail, avec notamment le concept d’une musique « autoroute » puissante et hypnotique cher à Greg. Cette pulsation inéluctable, moins prégnante sur disque, prend toute sa dimension dès que les amplis sont branchés.

Si le travail avec Miguel Constantino (« Un ami qui nous a apporté sa compétence, sa patience, ses goûts… et  même deux ou trois riffs ! ») a donné à Hangover the Top un côté brillant et compact (« Il est plus dur de faire un morceau avec un riff qu’avec six ou sept »), sur les planches, leur facette plus animale ressort et Greg, tapant la mesure avec énergie rappelle furieusement Jacopo Battaglia, le batteur de ZU.

Le côté rythmique de leurs compositions prend le devant et s’il est à déplorer que l’équilibre général de l’album ne se retrouve que partiellement à travers cette démonstration de force, il faut bien admettre que les trois musiciens envoient une véritable énergie communicative, notamment à travers le déjà classique « Roquedur » (avec son riff en béton armé et la performance vocale tout en testostérone de Fred) ou « Dirty Tapping » où le vocoder (« Un gadget plaisant dont il ne faut pas abuser ») fait des ravages. Marvin revendique ainsi fièrement sa personnalité et ses profondes influences punk qui restent pour eux – et notamment pour Fred – la base de leur cheminement.

Le trio de Montpellier a ainsi conclu avec brio un festival concis, courageux dans sa programmation, mais  malheureusement un peu perturbé par les intempéries. Ainsi la pluie a joué l’invitée surprise pas vraiment désirée, surtout pour les groupes se produisant en extérieur, dont les impeccables Extra Life avec Charlie Looker en Brian Ferry du Rock in Opposition, qui à défaut de fasciner des membres de Marvin vite rafraichis par l’humidité, a assuré avec brio la promotion de Made Flesh. Et s’ils avouent ne pas trop goûter ce genre d’expérimentations médiévales, Emilie, Fred et Greg restent néanmoins toujours les oreilles ouvertes.

L’évocation du genre progressif incite d’ailleurs Fred à reconnaitre une certaine fascination pour l’intemporel Red de King Crimson, tout comme la mythique bande originale de Gong, Continental Circus, qui fait l’unanimité dans le groupe. A forces d’influences et d’admiration (Fred et Jesus Lizard, une vraie histoire d’amour), Marvin se construit et évolue.

S’ils ont renoncé à jouer sur scène leur ébouriffante reprise de « Here Come the Warm Jets » de Brian Eno (« Trop compliqué, trop de pistes, ça ne rendait pas bien »), leur détermination à aller de l’avant ne fait aucun doute. Et la grande tournée permanente de Marvin de se poursuivre ainsi, avec entre autres une collaboration très attendue avec Electric Electric, Pneu et Papier Tigre prévue tout bientôt, une manière comme une autre de rappeler le retard assez inexcusable de ce compte-rendu. Heureusement pour eux, Marvin n’attend rien pour suivre sa voie.