Jaga Jazzist – Hold-up à la scandinave

Subjugué par le dernier petit joyau de cette troupe norvégienne, Progressia se devait de s’entretenir avec le pilier du groupe, Lars Horntveth. Un personnage au centre d’un foisonnement d’électrons libres, à la manière des Mothers of Invention de Frank Zappa à la fin des années soixante. Des similitudes mais aussi un prolongement de ce qu’aurait pu proposer le maître s’il avait continué ses innovations électroniques, à l’instar de l’excellent Jazz From Hell sorti en 1986 !

Progressia : Comment définirais-tu le « Jaga Jazzist » ?
Lars Horntveth : Une femme et huit hommes qui jouent du jazz rock électronique et d’essayent de créer de nouvelles choses sur chaque disque. C’est le résultat d’un travail collectif de composition et d’arrangement depuis quinze ans, bien au-delà de l’improvisation.

Vous considérez-vous comme un collectif ou comme un groupe et combien êtes-vous réellement ?

Quelle pourrait être la différence entre ces deux statuts ?
Nous étions dix, à présent nous sommes neuf. Nous nous voyons comme un groupe car chacun joue un rôle important dans la façon dont nous sonnons. La musique est écrite spécifiquement pour ces musiciens et leurs instruments. Ceci dit, nous voyons également Jaga comme un collectif plus large de musiciens et de producteurs. Cela inclut tous les anciens membres avec lesquels nous travaillons en parallèle dans différents projets. Ce collectif doit compter au total près de de trente à quarante membres, partageant une même mentalité et attitude envers la musique.



Peut-on parler de démocratie au sein d’une formation comme la vôtre, ou certains prennent-ils les rênes ?
Je compose tous les morceaux et je m’occupe de la plupart des arrangements. Cependant, chacun arrive avec des idées inestimables et des suggestions qui font le son de Jaga tel qu’il est. En répétition comme en enregistrement, chaque titre est ouvert au débat et de sérieuses discussions ont lieu. Et on qu’on finit toujours par tomber sur ce que je souhaite que ce soit. Bref, toutes les chansons sont traitées de la même manière.

Vous êtes signés sur le label de musique électronique Ninja Tune. Comment cette opportunité de collaboration s’est-elle présentée ?
Les gens de ce label nous ont vus jouer à Bruxelles en 2002. Ils ont vraiment aimé et ont sorti l’album dès qu’ils ont pu. Nous sommes très heureux d’être signés par cette maison de disques, même si nous n’aimons pas forcément tous les disques qu’ils publient. J’apprécie en revanche leur attitude et leur esprit musical.



Pourriez-vous vous sentir proches d’artistes qui y figurent, tels Amon Tobin ou encore Kid Koala ? L’électronique a-t-elle une légitimité dans la musique actuelle ?
Je ne pense pas que Jaga soit proche d’aucun de ces artistes, mais j’aime certains de leurs albums. Je pense qu’il existe beaucoup de musique électronique intéressante en ce moment, notamment lorsqu’elle intègre de plus en plus de paramètres populaires, comme ce que font Beach House, Røyksopp, MGMT, Animal Collective, Robyn ou encore Grizzlybear. J’aime ce mélange, tout autant que les trucs d’avant-garde.



Comment caractériserais-tu votre style musical ? Le terme « nu-jazz » te convient-il ?
Nous ne pensons pas que cela convienne à notre musique. Je pense que la plupart des tentatives « nu-jazz » vont dans le sens de solutions faciles et ne font vraiment rien de nouveau. Cela dit, ça ne me dérange pas que les gens nous qualifient ainsi. Je suppose que notre musique est un peu difficile à décrire. Lorsque nous créons, nous essayons de proposer quelque chose d’inclassifiable, et j’espère que les gens ressentent la même chose. (rires)

Vous sentez vous proches, de facto, du genre progressif ? Y a-t-il des groupes ou musiciens qui vous ont influencé ?
Je crois que notre dernier album peut être considéré comme de la musique progressive, avec de nombreux éléments affiliés. Certains titres jouent avec le mouvement progressif, comme « Prognissekongen », qui signifie « le roi des gnomes prog » ! On y trouve cinq signatures rythmiques différentes et quelques parties impossibles ou injouables. J’espère que des gens comme Rick Wakeman ou Keith Emerson l’auront apprécié et qu’ils l’auront vu avec humour. (rires)

Comment se déroulent vos sessions de compositions ? Avez-vous des processus d’écriture récurrents ?
Pour ce dernier disque, j’ai écrit la musique sur une période de cinq à six mois. Nous avons planifié une période pour le studio et nous avions besoin que toute la musique soit prête à ce moment-là. Les derniers mois, j’ai essayé d’avoir un nouveau morceau prêt pour chaque répétition, sachant que nous répétions une fois par semaine. C’était plutôt lourd mais j’aime travailler avec des délais un peu serrés.

One-Armed Bandit est votre quatrième ou cinquième album, si l’on considère Jævla Jazzist Grete Stitz et sans compter les EP. Quelle est l’évolution majeure selon toi ? Etes-vous arrivés au résultat escompté ?
Si tu inclus Jævla Jazzist Grete Stitz, c’est même notre sixième album. Je pense qu’il y a un fil rouge entre nos productions, particulièrement au plan mélodique. Nous essayons toujours de créer de nouvelles choses et d’être inspirés par différentes musiques. One-Armed Bandit est le plus conceptuel et, par dessus tout, le meilleur. Il résume en quelque sorte quinze années de Jaga et s’oriente en même temps dans une nouvelle direction, avec des titres comme « One-Armed Bandit », « Toccata » et « Prognissekongen ». J’en suis vraiment très satisfait.



Êtes-vous attachés aux instruments « vintage » ? Est-ce une composante indispensable, voire une condition sine qua non de Jaga Jazzist ?
Non pas vraiment, mais il se trouve que nous possédons beaucoup d’instruments « vintage » car ils sonnent souvent mieux. Cependant, la plupart de nos synthétiseurs sont neufs et résolument modernes.



Connaissez-vous le groupe Battles ? Si oui, les considérez-vous, eux et leur label Warp, comme des concurrents directs ?
Nous les connaissons et les avons vus plusieurs fois en concert. Je les apprécie mais je ne pense pas que nous soyons en compétition avec eux. Notre musique accorde beaucoup plus d’importance à la mélodie tandis que Battles est un groupe plus « kraut », dans un certain sens, plus rythmique.



Votre dernier album a reçu un très bon accueil au sein de la rédaction. Avez-vu eu l’occasion de lire la chronique ? Si oui, la trouvez-vous juste ?
J’ai lu la chronique. C’était vraiment bon, merci. Mon français est un peu minable du coup, je ne peux pas te dire à quel point elle était précise. (rires) Mais merci pour ce que vous avez dit de gentil !



Un petit mot pour nos lecteurs ?
Jetez une oreillle sur l’album ! Il devrait plaire à beaucoup de fans de prog.