Mastodon – Mastodon

Origine : États-Unis
Style : sludge metal progressif
Formé en : 1999
Line-up :
Brann Dailor – batterie
Brent Hinds – guitare, chant
Bill Kelliher – guitare
Troy Sanders – basse, chant

On les voulait, on les a eus. Après des mois d’attente suite à l’envoi de questions à l’attention du groupe resté sans réponses et perdu dans les immensités du cosmos virtuel, Progressia n’a pas jeté l’éponge (jamais !), et s’est finalement retrouvé à quelques heures de leur concert parisien au Trabendo en ce début estival afin de pénétrer les arcanes de leur dernier album Crack the Skye. Patience est mère de toutes les vertus !

Progressia : Nous vous avons vu pour la première fois en concert en 2002. Une trentaine de personnes présentes dans la salle devant lesquelles vous jouiez à même le sol, à hauteur égale du public. Votre notoriété vous a-t-elle amenée à envisager vos shows différemment ? Avez-vous la nostalgie des petites salles ?
Brann Dailor
: Certainement, bien qu’à présent j’aime les deux configurations du moment que je joue de ma batterie, peu importent les paramètres. Nous avons donné un concert hier devant huit milles personnes, aujourd’hui, je n’ai pas idée du nombre [NdlR : la salle du Trabendo à Paris] mais je peux aisément imaginer plus petit. Plus le show est minimal, plus tu ressens l’énergie qui émane entre les fans et le groupe. Affirmer que je suis nostalgique du passé, je ne pourrais y répondre, car ce n’est pas comme si nous jouions désormais uniquement dans des stades immenses.

Comment vous situez-vous dans le monde de la musique aujourd’hui ?
Le business ? Nous tentons toujours au mieux de prendre les décisions qui s’imposent. Nous évitons autant que possible l’implication des gars du « business » dans le processus artistique. J’essaie de rester distant vis-à-vis de ce domaine même si tu sais que je le suis. Je m’informe au mieux en m’en souciant le moins possible. On est juste au courant des ventes de nos albums et d’autres détails éloignés de la pureté de l’art. Le fait de penser à l’argent n’est certainement pas un sacerdoce même s’il est peu évident de ne pas être amené à y penser quand tu veux vraiment protéger ton groupe et la musique que tu pratiques. Nous avons des managers qui s’occupent de cet aspect et qui en comprennent les tenants et les aboutissants probablement mieux que nous.

Comment se déroule le processus de composition compte tenu du fait que vos albums possèdent une signature inimitable ?
Tout est produit simplement. On est dans une pièce et on envoie des idées ou des riffs sur lesquels certains ont envie de bosser. On fait tourner jusqu’à être content du résultat ; le reste va à la poubelle. On improvise sur un plan déjà écrit, par exemple, pour ensuite permettre à chacun d’ajouter sa patte, etc. Ce sont des moments vraiment magiques et notamment pour la conception de Crack the Skye où nous n’étions pas pressés. Nous avons pris notre temps, comme lorsque tu cuisines.

Chaque album est une aventure au sens large du terme, surtout depuis 2004 avec la sortie de Leviathan. D’où provient cette idée de conceptualiser des thèmes issus de l’univers du fantastique ?
Quand j’étais gamin, il existait tous ces groupes de rock progressif aux albums conceptuels, comme The Lamb Lies Down on Broadway de Genesis, Animals de Pink Floyd ou Close to the Edge de Yes, qui provoquaient une certaine émulation. Je possède une relation particulière avec les groupes qui racontent une histoire… j’oubliais King Diamond ! C’est une manière assez jubilatoire d’exercer son imagination en la combinant avec des textes suivant un fil rouge. D’ailleurs, cela permet également d’unifier le groupe. Nous nous sommes rendus compte avec Leviathan, qu’une fois le concept issu du travail d’écriture, les choses devenaient nettement plus faciles. Nous avions le thème, puis avons posé sur papier tout ce qu’on pouvait, un peu comme une sorte de pillage de Moby Dick et des livres d’illustrations sur les baleines. Tant de parallèles se sont révélés avec notre façon de vivre lorsqu’on est dans notre van : être à la recherche de cette baleine qui n’existe pas. 
Troy Sanders : (nous rejoignant) T’ai-je parler de cette baleine blanche qui a été observée il y a quelques jours sur les côtes australiennes ? Peut-être qu’à l’origine, cette histoire était donc vraie…
Brann : Oui, certainement. D’ailleurs par la suite, on a opéré différemment. Avec Blood Mountain, nous avons créé nos propres personnages, nos propres mythes, etc. Il y a tant de choses qui peuvent arriver quand tu te retrouves perdu dans la forêt en train de gravir cette montagne. Ce sont ces choses qui nous intéressent : les crânes de cristal, des événements mystiques en relation avec la nature je suppose. Pour ce nouvel album, nous avons opté pour le voyage astral, les trous de ver, la Russie tsariste, etc. C’est comme une nuit à la maison sur le sofa en train de mater Discovery Channel ! (rires) En fin de compte, nous nous sentons très proches, voire intégrés au rock progressif. Nous pensons être engagés dans ce style de musique par notre écriture et la complexité de notre musique. Nous essayons néanmoins de se trouver une ligne de conduite et de ne pas être trop « cérébral ». Nous faisons attention à garder cet équilibre.

Pouvez-vous justement approfondir les thèmes abordés dans Crack the Skye ?
Brann : Il y a un tas de significations que tu peux en tirer et chaque membre du groupe peut t’en donner des différentes. J’ai fini par m’impliquer dans l’écriture avec des textes tirés d’expériences personnelles alors que Brent a écrit la plupart de la musique. Il nous semblait évident que quelque chose se passait et que ça venait du cœur. Il était donc clair que c’était une énorme opportunité pour moi de creuser un peu plus loin tant que je me sentais capable de le faire et explorer ainsi des sujets plus enfouis, comme utiliser une tragédie qui m’est arrivée lorsque je n’étais qu’un adolescent. Cette histoire est une métaphore qui signifie selon moi plusieurs choses : le cosmos, la perte de quelqu’un, etc. Ce n’est pas seulement mon ressenti étant gamin, mais comment je me sens aujourd’hui ici, que tu pars de chez toi en tournée des mois et des mois. On se sent « déconnectés » et tous ces sentiments se retrouvent sur ce disque. Pour ma part en tout cas, en revanche, si tu demandes à Troy…
Troy : Il y a tellement de choses… de la fascination, à savoir que ce monde est si gigantesque et d’être sur cette planète, l’infini… Essayer de sortir son cerveau de l’atmosphère et explorer l’éternité juste pour être ouvert d’esprit. Notre musique permet de voyager et explorer mentalement aussi loin que possible.

Chaque album est une nouvelle aventure aussi bien musicale que conceptuelle, quels sont les éléments qui vous font autant évoluer depuis le début ? Ne me répondez pas que c’est uniquement grâce aux substances illicites !
Brann : (rires et temps mort) Non ce n’est pas juste à cause de substances illicites ! Certaines choses m’ont amené vers différents endroits quand j’étais gosse, et ces portes de perception sont restées ouvertes. Désormais, je peux aller franchir leur seuil à n’importe quel moment. Nous avons de la chance de nous être tous rencontrés et cette évolution passe par des changements et des mouvements dans la vie que nous menons et que nous avons choisie. Nous sommes donc inspirés par un tas d’éléments et notre art ne cessera de progresser. La différence entre l’album précédent et celui-ci réside dans les deux années à vivre, voyager dans le monde, en tirer des expériences, regarder des films, lire des livres, aller visiter les grandes pyramides et se trouver dans une pièce où Raspoutine a été assassiné. C’est ainsi que les gens évoluent. Que tu composes ou que tu peignes, ces choses t’affectent et vont heureusement transpirer dans ton art. Utiliser tout ce qui nous entoure permet de développer la musique… Yeah ! [NdlR : tout cela ayant été dit d’une traite !]

Troy semble avoir cédé du champ [NdlR : Oh oh !] à Brent sur les parties vocales. Sa voix qui rappelle celle d’Ozzy Osbourne colle-t-elle davantage à votre nouvelle direction ?
Troy : Cela dépend avec qui tel ou tel passage sonnera le mieux. Si une partie correspond mieux à la voix de Brent, il la chantera et vice versa. C’est un processus très démocratique et [NdlR : se reprenant sur le mot « selfless » trois fois avec lequel il peut y avoir lapsus avec « selfish » signifiant égoïste) désintéressé, peu importe qui a écrit la chanson…
Brann : Il n’y a aucune hiérarchie dans le groupe. Nous opterons toujours pour le meilleur et ce n’est pas comme si un seul mec contrôlait tout et rejetait les idées des autres. C’est ce qui est arrivé avec The Police par exemple, les gars sont jaloux car l’un a trois morceaux en tête des charts alors que les autres n’ont rien, cela engendre de l’animosité et ils finissent par splitter n’ayant plus rien à fournir comme matériel et qu’ils ne pouvaient plus se blairer… bref !

La production de Crack the Skye s’est terminée durant l’été 2008. Que s’est-il passé avec la Warner pour que le disque soit publié si tard ?
Brann : Tout était bouclé en septembre, mais nous avions beaucoup de travail sur l’artwork et ça nous a pris un temps fou pour peindre toutes les illustrations car on voulait qu’elles incarnent à la perfection ce que nous avions en tête. On se fout des dates de sorties, on veut pouvoir publier un disque à nos yeux parfait. C’est évident que ça craint lorsque les choses prennent autant de temps. C’est comme un gros secret que tu retiens et que tu veux crier au monde entier, mais tu ne peux pas. Il faut savoir patienter quand tu obtiens l’objet en question, tu le possèdes pour toujours !

Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Troy : Créez une constellation, faites un dessin qui raconte une histoire. Et souvenez-vous que la coupe est toujours à moitié pleine.
Brann : Soyez excellents !