Cynic – Cynic

ENTRETIEN : CYNIC

 

Origine : Etats-Unis
Style : metal progressif
Formé en : 1987
Composition :
Paul Masvidal – chant, guitare
Tymon – guitare
Sean Malone – basse
Sean Reinert – batterie
Dernier album : Traced in Air (2008)

Après la résurrection scénique, voici la résurrection discographique : il aura fallu quinze ans à Cynic pour enregistrer son deuxième album et le promouvoir (dans le cadre d’une tournée en ouverture d’Opeth). L’occasion de saisir Paul Masvidal en plein vol pour le questionner sur ce retour inespéré. Entretien « à l’arrachée » au départ des loges de l’Elysée Montmartre !

Progressia : Bonsoir Paul ! La dernière fois que nous nous sommes revus, tu terminais la première tournée de réunion de Cynic. Tu nous disais être très inspiré par ton public ainsi que par cette expérience et que cela pourrait déboucher sur un disque… qui arrive presque un an après ! Que s’est-il passé entre la première et la seconde tournée ?
Paul Masvidal
: Juste après la fin de notre première tournée en Europe qui s’est terminée dans les pays de l’Est, nous avons eu une période de pause de neuf mois pour composer et enregistrer un album. Ce fut un moment totalement frénétique durant lequel nous avons travaillé tous les jours. C’était si intense qu’en réalité je n’en ai que peu de souvenirs. J’étais vraiment sur un mode créatif, sans compter les allers-retours nécessités par l’enregistrement et la préparation du disque. Finalement nous y voilà, il est enregistré, va sortir. Nous sommes en post-promotion et en tournée, qui n’est pas prête de se terminer d’ailleurs !

Après la seconde tournée, vous avez composé quatre nouveaux titres : nous les avons trouvés plus mélodiques et plus éloignés des racines de Cynic. Est-ce ton avis également ? Cela veut-il dire que le nouveau Cynic va évoluer vers d’autres horizons ?
C’est vrai. Cynic n’est plus le même groupe qu’il y a quinze ans : nous avons grandi, mûri depuis, en tant que musiciens. J’ai certainement développé mon bagage mélodique et harmonique depuis nos débuts. J’imagine que cette évolution naturelle vient tout simplement d’une approche plus basée sur la composition. Nous ne voulions à aucun prix faire un Focus 2 mais au contraire être honnête avec nous-mêmes et le public. Montrer où nous en sommes aujourd’hui, ce que nous sommes à ce moment de notre vie en tant que compositeurs.

Quelle est l’idée se trouvant derrière les morceaux d’introduction et de conclusion du disque et pourquoi ces références philosophiques à Aristote ?
« Nunc Fluens Nunc Stans » illustre le passage du temps, du passé vers le « présent éternel » : il s’agit en fait d’une seule expression, que nous avons divisée en deux morceaux. Sur le titre d’introduction, nous avons voulu symboliser un processus de naissance, avec toutes ces strates de sons qui vont et viennent. En réalité, ce sont des extraits d’autres moments du disque, et même de Focus ! Fusionner le passé et le futur de Cynic dans « Nunc Fluens » est aussi une manière de dire que nous sommes de retour. « Nunc Stans » au contraire est une manière de dire au revoir, un peu comme se retourner sur sa vie depuis son lit de mort en se demandant : « qu’ai-je fait de cette expérience, et quel est son sens ? ». C’est toute l’idée du disque : l’expérience de la vie, depuis son début jusqu’à sa fin. L’album porte en lui ce concept de voyage de l’existence. Tout est parti d’une idée de Sean qui m’a proposé une partie de percussions. Sur cette base, j’ai ajouté ces couches de sons qui forment « Nunc Fluens ». Concernant « Nunc Stans », écrit plus tard, il était clair que c’était le morceau qui devait clôturer le disque. D’une manière générale d’ailleurs, l’ensemble s’est bâti de la sorte, comme une série d’évidences.

A partir de quand Sean Malone est-il entré en jeu dans la composition ?
Il n’a rien composé, nous l’avons juste engagé comme musicien de studio, comme il l’avait été pour Focus. Nous l’avons fait venir dès que l’album a été écrit : je lui ai envoyé les démos, dans leur troisième version. En tout, nous sommes passés par quatre stades de pré-production ! Il a travaillé ses lignes de basse, puis nous nous sommes réunis à Los Angeles pour répéter et nous mettre d’accord sur tout : il est revenu le mois suivant et a enregistré ses parties en une semaine. Ce fut une relation que je qualifierais de « professionnelle » sur le mode : « on aime certaines choses et pas d’autres, tu fais ton boulot et voilà tout ».

Pourquoi ne fait-il pas partie de la formation scénique du groupe ?
Nous n’avons jamais réellement eu l’intention de l’y intégrer. Sean n’est pas vraiment un musicien de scène. Ce qu’il préfère, c’est le travail en studio. Nous avions besoin de quelqu’un ayant plus d’expérience en matière de concerts et qui s’y sentirait suffisamment à son aise pour mettre toute son énergie dans l’interprétation. Robin (NdlR : Zielhorst) avait vraiment le profil idéal : il est très expérimenté et a joué avec le Blue Man Group de nombreuses fois.

Qu’est-ce qui différencie Traced in Air de Focus ?
Sur le titre du nouvel album, alors que Focus est à mon sens un album « terrestre », j’ai eu l’impression que son successeur venait des cieux. C’est probablement dû au processus très naturel de composition que je te décrivais tout à l’heure. Je n’ai pas le sentiment de l’avoir écrit, juste d’avoir eu l’esprit ouvert pour retranscrire ce que mon oreille me dictait. Que ce soit le son, la pochette ou la musique, tout menait au titre que nous avions choisi.

L’artiste Venosa s’est chargé de la pochette du nouvel album, de même qu’il avait dessiné celle de son prédécesseur : lui avez-vous donné des idées, et es-tu satisfait du résultat final ?
En fait, toutes les œuvres utilisées pour la pochette et le livret du disque existaient déjà ! Venosa est un artiste tellement prolifique qu’il m’a suffit de me plonger dans le catalogue recensant ses toiles et de les choisir. La pochette est presque une œuvre perdue : il l’avait peinte en tant que commissionnaire pour un spectacle à Las Vegas intitulé Road to Atlantis qui n’a jamais été monté. Dès que je l’ai vue, j’ai su que ce serait celle-là et il était très content de la voir revenir à la vie. Pour le reste, je lui ai expliqué le concept des morceaux, et il m’a proposé de prendre une peinture par titre.

Season of Mist a sorti une magnifique version collector de l’album : as-tu collaboré à son élaboration, et quid de ce carnet de route rédigé par tes soins ?
(NdlR : le manager de Season of Mist, présent lors de l’entretien, en profite pour nous expliquer à quel point la production de cette version a été compliquée à mettre en œuvre, et la raison pour laquelle les délais de livraison ont été si longs. Paul en profite pour faire le commercial du label en ouvrant et présentant le coffret tout juste livré par DHL !). Il s’agit d’un coffret qui contient beaucoup de choses, en particulier un journal avec mes notes personnelles ainsi qu’une loupe qui permet d’en lire une partie et d’étudier les détails de l’objet. Il y a beaucoup d’informations : la plupart sont cryptées, et toutes sont très personnelles. Il y a des références à mes notes, mes rêves, mes paroles : un manuscrit pour le disque, tout simplement ! On retrouve aussi un tee-shirt, une clé USB, un cadre magnétique pour le CD. C’est vraiment magnifique, c’est un superbe travail. Les vendeurs sur Ebay vont se régaler, mais c’est toujours comme cela de toute façon.

Pourquoi avoir choisi Warren Riker (Down, The Fugees, et Santana) comme producteur ? Qu’a-t-il apporté au projet ?
Il a travaillé sur le mixage : Sean et moi-même sommes les producteurs du disque. Je lui ai donné les dernières démos de pré-production mais il ne les a pas tant écoutées que cela. C’est quelqu’un de très spontané. Grâce à ses relations, il a pu nous faire réserver un studio absolument exceptionnel, pour un prix très abordable : tout le meilleur matériel pendant un mois, ce qui nous a permis de travailler sur place et en même temps, comme nous le souhaitions.

Ce nouveau disque est à nouveau très court : est-ce une volonté délibérée, compte tenu de la complexité de chaque seconde de votre musique?
Absolument, c’était une décision calculée et assumée de restreindre la durée du disque à une grosse trentaine de minutes. Je pense que chaque morceau de Cynic est si dense, contient tant de strates musicales, que c’est nécessaire. Un titre du groupe contient le plus souvent de quoi en faire quatre, ne serait-ce qu’en terme d’harmonies. Si on mettait dix morceaux de cet acabit sur un disque d’une soixantaine de minutes, quelques uns se perdraient inévitablement ou n’auraient pas l’attention suffisante de l’auditeur. Chaque morceau de Traced in Air m’est si personnel, j’y ai consacré tant de temps, que je ne me voyais pas faire autrement. Je veux que chacun entende quelque chose de nouveau à chaque écoute. Le disque a d’ailleurs été produit avec cette intention : certains passages sont plus cachés que d’autres et il m’arrive souvent d’en découvrir moi-même. Je ne réécoute pas le disque souvent, sauf avec la presse ou des amis, et il y a toujours un moment où il me surprend. De ce point de vue là, Cynic n’a pas changé, continuant à proposer des disques très fournis aux couleurs très prononcées. Pas de gras ou d’excès, juste de la peau, des os… et du sang bien sûr ! Le noyau dur, et c’est tout.

Connaissais-tu Opeth avant de tourner avec eux, et que penses-tu de ce groupe ? Avez-vous des points communs ?
Je connaissais Mikael Akerfeldt indirectement, par le biais d’amis communs. L’un d’entre eux nous a mis en relation, nous nous sommes envoyés des emails et c’est là que j’ai découvert qu’il était fan de Cynic. Nous nous sommes rendus compte que notre disque sortait au moment de la tournée européenne d’Opeth et avons donc décidé de lancer l’idée de parcourir le continent ensemble. Le timing a été parfait de ce point de vue.

Tout comme Mickael, tu as une belle voix claire mais ta musique incorpore des chants brutaux : Cynic pourrait-il s’en passer un jour pour proposer un disque plus accessible ?
Pourquoi pas ? Cela semble possible. En même temps, ma voix d’androïde (NdlR : voix passée au vocoder) est l’une des marques de fabrique de Cynic et je n’ai pas forcément envie de trop m’en éloigner. En revanche, je peux utiliser ma voix claire sur certains passages, un peu comme je l’ai fait sur « King of Those Who Know » dernièrement.

Quel avenir pour Aeon Spoke (NdlR : l’autre projet, semi-acoustique, de Sean Reinert et Paul Masvidal) ?
Il y en a un ! Nous avons même écrit tout un nouvel album pour cet autre groupe. Cependant, la priorité du moment est clairement donnée à Cynic. Sean et moi-même voulons consacrer la totalité de notre temps au groupe. L’idée est donc d’attendre la prochaine pause pour trouver le temps d’enregistrer un nouveau disque d’Aeon Spoke.

Quels sont les projets à venir pour Cynic : une tournée un DVD et/ou un album ?
Nous travaillons toujours sur le DVD Making Of Focus, en rassemblant de nouveaux passages vidéos récupérés récemment. Nous avons quelqu’un qui les édite en vue de ce projet. Nous partons en tournée aux Etats-Unis en février 2009 avec Meshuggah, pour revenir à l’occasion des festivals d’été en Europe et, nous l’espérons, de notre propre tournée mondiale à l’automne prochain. Nous sommes prêts à tourner des années pour Traced in Air ! Nous sommes de retour !

Propos recueillis par Djul
Photos : V. Chassat

site web : http://www.cynicalsphere.com

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