Marillion – Marillion

ENTRETIEN : MARILLION

 

Origine : Royaume-Uni
Style : rock
Formé en : 1980
Composition :
Steve Hogarth – chant, guitare
Steve Rothery – guitare
Mark Kelly – claviers
Pete Trewavas – basse
Ian Mosley – batterie
Dernier album :
Happiness Is the Road (2008)

Nous nous sommes retrouvés dans un hôtel du dix-septième arrondissement, et, tandis qu’au loin, la voix de Steve Hogarth distillait plaisanteries et réponses joyeuses à un jeune collègue, le doyen du groupe, Steve Rothery, plus posé, s’est assis à notre table pour trente minutes sages et souriantes d’entretien.

La première fois que j’ai entendu Happiness Is The Road , la réaction fut presque physique, une forme de soulagement, signifiant, en substance : c’est enfin terminé, les expériences, les errements, les innovations parfois déconcertantes. On ressent moins de souffrance, plus de plénitude.
Oui, c’est un fait. Le premier disque, Essence est plus calme, mais au final, cela dépend aussi pas mal des attentes de celui qui écoute. A mon avis, Essence correspond à du Marillion on ne peut plus classique, il y a des titres caractéristiques, comme « Happiness Is The Road » ou « Woke Up », par exemple, qui ne devraient pas déconcerter ceux qui nous suivent depuis longtemps. Dans les deux cas, on a tenté d’élargir notre palette, et c’est la diversité qui à mon avis caractérise l’ensemble du double album. Dès les premières écoutes, nous voulions mettre en place des ambiances variées, identifiables, et progressivement, il s’est agi de s’acheminer vers différentes directions correspondant aux personnalités variées du groupe. Essence a vraiment été pensé comme un concept. Quant au second, il est le fruit d’enregistrements plus anciens, depuis Marbles. Des titres comme « Asylum Satelitte #1 » ou « The Man From The Planet Marzipan », de loin mes préférés, sont des moments musicaux intéressants, de longs morceaux, pétris d’ambiances.

Quel est le concept général d’Essence ?
Steve Hogarth y dépeint une ambiance solitaire, plus pacifiée et apaisée, et on a vraiment tenté de transmettre tous ces états d’âme. Essence a été voulu comme un album positif. Quand on travaille sur de telles chansons, des états émotionnels variés surgissent en composant. Il faut les canaliser, et nous avons tâché de faire passer tout cela au mieux, en nous conformant aux paroles, aux textes très intimes de Steve. Tout cela traduit son état d’esprit des deux dernières années, un divorce, la mort de sa mère. Essence est une conception, un paysage très autobiographique.

Parfois, la musique est une forme de thérapie, pour l’artiste.
Dans les premières sesssions de l’enregistrement de Somewhere Else, nous avons fait des choix en mettant de côté des chansons plus apaisées, plus peaceful. Ce qui a également fait la différence, c’est la technologie. Notre façon d’enregistrer nous a conduits à introduire des moments plus calmes, plus intenses, pour qu’il en sorte un peu de fraîcheur, de propreté. Pour répondre à votre question, Essence est un peu la traduction de notre état pendant les moments créatifs, il faut être plus calme, plus détaché…

Vous aussi, avez-vous lu Eckart Tolle ? (auteur d’un ouvrage sur « Le Pouvoir du Moment Présent », ayant inspiré Steve Hogarth pour de nombreux textes).
Non, je ne suis pas très intéressé par ce genre de choses, c’est une démarche très personnelle. Nous avons d’autres perspectives dans le groupe, que ce soit concernant nos attentes ou notre façon de composer…

Justement, est-il facile de travailler ensemble, malgré ces perspectives différentes ?
Oui, bien sûr ! Effectivement, il y a des chansons à propos desquelles on n’est pas d’accord, mais on essaie de s’accorder pendant l’enregistrement, et de mêler chacune de nos attentes ou de nos idées. Chacun cherche, et trouve, sa part d’expression, le plus petit dénominateur commun. Ce qui nous a lié avec Happiness Is The Road, c’est délivrer un message positif, montrer que le négatif appartient au passé, et que nous devons profiter du moment présent.

Certains fans trouvent que l’album est moins dynamique. On peut lire parfois de petites déceptions, surtout de la part de votre plus jeune public, celui qui vous a découverts avec des albums très vifs comme Anoraknophobia ou Radiat10n.
(Rires) On ne peut jamais plaire à tout le monde… A chaque fois que nous composons, nous avons plusieurs idées, des morceaux plus dynamiques, d’autres plus lents. On ne peut suivre une direction donnée de l’extérieur. C’est nous-même qui donnons l’impulsion à notre musique, en essayant de nous soustraire aux différents avis qui arriveront bien après… Par exemple, pendant les concerts, une partie du public adore « Most Toy », une autre, non. La musique est subjective, nous travaillons sans penser à tous ces ressentis qu’on ne peut contrôler. Si on a en tête les avis de chacun, on ne s’en sort jamais. On s’efforce de produire des choses différentes, à chaque fois, et forcément, des gens risquent d’être déçus. C’est le jeu… Ce qui compte, c’est la liberté de l’artiste, celle de nous faire plaisir et d’avoir envie de continuer. Certaines personnes pensent qu’on n’a rien fait de bon depuis « Market Square Heroe » ou « Grendel ». Que voulez-vous, on ne peut les empêcher de penser ce qu’ils veulent….

Pendant la tournée Happiness Is The Road, quelle place allez-vous accorder au dernier album ?
Ce serait trop long de tout jouer, on pense interpréter entre six et huit morceaux. Nous en avons déjà joués quelques-uns sur scène, et le retour est vraiment positif.

Marillion fête ses trente ans ; imaginiez-vous, en 1979, occuper la place qui est la vôtre aujourd’hui ?
Hola (rires) ! A l’époque, je ne me projetais pas dans l’avenir au-delà de six mois. Ce qui comptait, c’était composer de la musique, enregistrer des disques, faire des concerts et constater avec satisfaction, que peu à peu, le monde arrivait et aimait ce qu’on jouait. Dès que vous entrez dans le monde de la musique, le temps s’accélère, tout va plus vite, peut-être trop, mais ce qui est certain, c’est que jamais rien n’a finalement été vraiment planifié. Si je regarde derrière moi, ce qui a surtout changé, c’est l’industrie du disque. A partir des années quatre-vingt-dix, je n’ai pas vraiment compris la teneur des bouleversements. Ce qui est évident, c’est qu’un jeune groupe a énormément de mal à percer et à faire ce que nous avons fait à l’époque. Finalement, nous nous en sortons bien, l’argent que nous avons gagné nous a permis, à mesure que les années avançaient, d’aller de l’avant. On réussit assez bien à garder le contrôle de notre carrière. Autrefois, mille cinq cents personnes venaient nous voir en concert, aujourd’hui, tout cela est multiplié par dix. Cela donne un peu le vertige, mais nous savons que nous pouvons garder les pieds sur terre. Nous gardons toujours le contrôle, notre manager, Lucy Jordache, partage complètement notre point de vue, mais c’est nous, en tant que groupe, qui décidons du principal…

Quelle est la place que Marillion occupe dans les générations des trentenaires qui ont grandi avec votre musique, selon vous ?
Nous avons enregistré quinze disques et c’est certain, beaucoup de monde a pu s’identifier à l’un ou l’autre, et cela a marqué son époque. J’ai conscience que c’est un privilège, nous occupons une place importante chez certains, et cela me touche beaucoup…

Quel est votre plus beau souvenir de ces trente années, musicalement s’entend ?
Holà, (rires) il y en a beaucoup ! Je me souviens d’un concert ici, à Paris, notamment, et aussi notre première fois au Brésil, à Sao Polo et à Rio. Nous faisions la première partie de Bon Jovi et cet engouement incroyable du public résonne encore.

Et, a contrario, votre pire moment, s’il y en a eu…
Donnez moi deux secondes (il hésite, longtemps, puis en rit). Très peu, au contraire, Il y a trois semaines, un concert de charité où intervenait un groupe de tambours, de cornemuses, ça tapait dans tous les sens, on se demandait ce qu’on fichait là.

Quels groupes pensez-vous avoir influencés ?
Sans doute pas mal, mais en tous les cas, on n’a jamais vraiment cherché à le faire volontairement. Je pense qu’on devrait en parler à Radiohead, parfois, mais franchement, il n’y a rien de spécifique. La musique progressive, c’est une question de sensibilité, une approche musicale qui se teinte de jazz ou de mélodies un peu nouvelles. A partir du moment où un groupe est dans une telle démarche, est-il influencé pour autant, ou est-ce tout simplement son approche de la musique qui ressemble à celle d’un groupe qui part des même principes : explorer de nouvelles dimensions, dans les paroles, les musiques, sortir des structures traditionnelles ?

Propos recueillis par Jérôme Walczak
Photos de Fabrice Journo

site web : http://www.marillion.com

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