– Berles Rock 2008

FESTIVAL : BERLES ROCK 2008

  Lieu : Denens (Suisse)
Date : 15 août 2008
Photos : Claude Wacker (www.docker.ch)

Petit festival situé sur les coteaux du vignoble lémanique, le Berles Rock Festival est l’un de ces nombreux rassemblements musicaux qui fleurissent partout en Suisse romande durant la période estivale. Pour survivre en dehors des deux monstres que sont devenus le Montreux Jazz et Paléo, il faut pouvoir se créer une identité propre, trouver une programmation et une ambiance originales. Force est de constater que le Berles Rock, qui en est déjà à sa sixième édition, réunit toutes ces conditions avec cette programmation variée, expérimentale, mélangeant pointures de l’underground, jeunes artistes novateurs et groupes régionaux, pour le plus grand bonheur des festivaliers venus affronter le temps maussade et bien frisquet pour ce mois d’août.

Cocamide Mea

On commence en sirotant un excellent verre de pinot noir du coin avec Cocamide Mea, groupe local qui s’est reformé après une longue pause. Clairement, le groupe n’est pas encore au sommet dans ses prestations live et a besoin de se roder. Cela dit, Cocamide Mea délivre avec ses chansons rock aux structures fines et complexes un message opaque, décalé et marginal qui fera indubitablement mouche quand le groupe aura pris de la bouteille. Le guitariste soliste enlumine la musique de l’ensemble d’arabesques des plus intéressantes ! Dommage que la voix soit par trop monocorde. Il semblerait que ce soit en fait une spécialité régionale si l’on regarde la scène locale (Toboggan et consorts)… et qui n’est pas forcément la tasse de thé de votre serviteur.

Marj

Ou comment mettre la peinture en musique… ou vice-versa. N’ayons pas peur des mots, Marj fut une véritable surprise tant musicale que scénique ! L’ensemble va pendant quarante minutes proposer à un public médusé une improvisation jazz rock proprement hallucinante, entrecoupée des inflexions vocales, entre chuchotements et hurlements d’un Joe Boehler possédé. Ce type est vraiment fascinant, le micro dans sa main gauche et son pinceau dans sa main droite, créant une œuvre picturale qui évolue au rythme de la musique.

Pour notre part, l’essentiel de l’intérêt tient plus dans l’exceptionnelle capacité du trio qui soutient Joe Boehler, à développer une improvisation avec une prise de risque maximum, dépendant de l’inspiration du moment. La section rythmique (Ivor Malherbe à la basse, Jean Rochat à la batterie) à la fois très souple et d’une solidité à toute épreuve permet au guitariste François Allaz de faire feu de tout bois avec sa Gibson, dans la veine d’un Mahavishnu ou d’un John Scofield. Marj a fait vivre un moment intense au public présent dans un happening de l’instant présent, unique.

Pamelia Kurstin

La petite Autrichienne, actuelle reine de cet instrument étrange qu’est le Theremin, apparaît sur scène, timide. Avec cet instrument inventé en 1919, elle crée une musique avant-gardiste, une sorte de drone ambient, très prenant. En effet, Pamelia Kurstin juxtapose les thèmes au Theremin les uns sur les autres. Elle joue avec des boucles improvisées qui forment un magma sonore de plus en plus imposant. Pamelia bidouille avec ses pédales et ses machineries autant qu’elle joue de son instrument. La sensation de répétition aurait pu être perceptible sur la fin du concert si ce diable de Jean Rochat ne s’était pas invité pour une intervention à la fois fine et puissante à la batterie sur la dernière improvisation jouée par la demoiselle. On en redemande !

Møn

Møn est un groupe francilien qui pratique ce qu’on pourrait appeler du « post rock old school » dans la veine d’un Godspeed You! Black Emperor ou d’un Silver Mount Zion et tout le tralala, à la différence près que les vocalises sonnent avec justesse chez Møn. Evidemment, on a droit aux traditionnelles montées en puissance guitaristiques soutenues par une section rythmique carrée et sur lesquelles s’étendent, larmoyantes, la violoncelliste et la violoniste, toutes deux fort charmantes au demeurant. On a eu du mal à entrer dans le concert en raison de jeunes freluquets bien dissipés mais la suite fut néanmoins réussie. Certes, Møn ne révolutionnera pas le genre mais à travers ce concert, il a fait honneur à son unique album (sans compter quelques démos). On leur souhaite bonne chance pour la suite !

Deux / Brutus

Place maintenant à deux groupes régionaux, Deux et Brutus. Comme le nom l’indique, Deux se compose de deux musiciens. Ils pratiquent un math rock serré et carré version Don Cab, Chevreuil ou Honey for Petzi en utilisant des boucles sonores pour pallier aux contraintes techniques d’une formation si réduite sur scène. Les deux membres du groupe ont joué dans Torbrise, lui-même issu d’un joint-venture entre Pare-brise et Torpille, deux formations régionales qui naviguaient dans un rock instrumental à tendance post. Leur set fut très intéressant même si le guitariste a cassé une corde sur le premier morceau et, semble-t-il, n’avait plus la bonne corde de rechange ! Il a dû emprunter la guitare d’un autre musicien. La fin du concert est marquée par un placage d’accords joués en alternance avec le groupe suivant, Brutus.

Brutus, encore un énième groupe lausannois de post rock également proche d’Honey for Petzi avec chanteur aphone qui ignore ce que justesse signifie. C’est expérimental, parait-il. Soit mais cela ne nous touche pas vraiment. Cela dit – votre serviteur n’est pas si méchant que cela en fait – la section rythmique est très à son affaire mais il est vraiment difficile de faire l’impasse sur la voix du chanteur qui est néanmoins un excellent guitariste dans le style de musique que propose ce groupe. A noter que le label Saïko Records va sortir incessamment sous peu leur premier album studio.

Aucan

Il est deux heures du matin, il fait froid, et voilà enfin le groupe pour qui nous nous sommes déplacés en priorité en raison de leur excellent et accrocheur premier album qui va paraître tout bientôt (en même temps que notre chronique). Aucan est formé par trois jeunes gens venant d’Italie du Nord, de Padoue, Venise et Brescia pour être précis. En cinquante minutes d’un concert endiablé, Dario Dassenno (batterie), Francesco D’Abbraccio (guitare, clavier) et Giovanni Ferliga (guitare, clavier) ont prouvé que, malgré leur jeune âge, il faudra compter avec eux sur la scène noise expérimentale / math rock européenne (bonjour les appellations !) dans les années à venir. Fortement influencé par le chef de file Battles, Aucan développe toutefois une musique moins fondée sur l’esbroufe, ce qui la rend d’autant plus attachante. Les Italiens ont présenté l’essentiel de leur album en se concentrant, évidemment, sur les passages les plus rock’n’roll. Tout y passe : jeu simultané clavier-guitare – c’est assez impressionnant à admirer –, tapping et autres techniques improbables, batterie carrée et très technique, rythmiques impaires, sans compter une puissance parfois hallucinante mise au service d’une grande musicalité et d’une belle recherche sur les harmonies (aux claviers) ! C’est tout cela Aucan, et ce groupe mérite qu’on s’y attarde ceci d’autant plus que derrière la puissance de feu des Italiens se dégage une finesse étonnante.

Finalement, on sait maintenant pourquoi le vin de la région a ce petit goût de revenez-y. Avec une telle programmation dans les grains, et même si tous les groupes ne peuvent prétendre plaire à tout le monde, c’est une lapalissade, sa maturation ne peut être qu’excellente. Si nous n’avons malheureusement pas pu assister à la deuxième soirée du Berles Rock cette année, on y reviendra avec plaisir l’année prochaine !

Jean-Daniel Kleisl

site web : http://www.berlesrock.com/

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