– Le visuel dans le rock progressif (pt.1)

DOSSIER : Le visuel dans le rock prog’

Après vous avoir guidé dans la découverte des musiques progressives, Progressia vous propose de voyager dans le monde merveilleux de l’aspect visuel rattaché au rock et au metal progressif. Au-delà de la musique, il existe en effet un univers que nous avons voulu vous faire connaître en vous présentant les artistes pionniers du genre ainsi que la nouvelle garde. Pour finir ce tour d’horizon, nous avons choisi un livret que nous décrirons tant du point de vue visuel que (con)textuel, l’un n’allant pas sans l’autre.


1. Introduction

C’est en 1967 que sort le célèbre Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles dont la pochette interpella un grand nombre de fans et provoqua bien des débats. Si l’on prend comme point de départ du rock progressif le premier disque de Pink Floyd The Piper At The Gates Of Dawn, force est de constater, en dépit de la qualité intemporelle de cet album, que sa pochette n’a pas vraiment marqué les esprits !
En Angleterre, les premiers albums de Pink Floyd, Genesis, Yes permettent de faire connaître le travail de jeunes peintres et des illustrateurs qui s’appellent Roger Dean, Storm Thorgerson et Paul Whitehead. De quoi nourrir quelques regrets pour les plus jeunes d’entre nous puisque ces œuvres s’apprécient pleinement sur les vinyles de votre papa. Elles sont d’ailleurs conçues pour ce format ! Chaque groupe a pu ainsi s’attacher les services d’un artiste auquel il fut par la suite immédiatement associé : Roger Dean avec Yes, Storm Thorgerson avec Pink Floyd et Paul Whitehead avec Genesis. Outre-Atlantique, un jeune trio canadien du nom de Rush dont la carrière décolle à peine s’associe avec Hugh Syme. Présentons ici quelques-uns des pionniers de l’art visuel rattaché au rock progressif.

DOSSIER : Le visuel dans le rock progressif part.2


2. Les pionniers de la pochette

Roger Dean

Roger Dean est né en 1944 dans le Duché de Kent en Angleterre. Son père étant ingénieur dans l’armée britannique, il passa son enfance loin de la perfide Albion, en Grèce, à Chypre et Hong Kong. Et il faut croire que chez les Dean, l’art se transmet de parent à enfant puisque sa mère a étudié le stylisme avant de se marier. Le petit Roger était donc à bonne école. À propos d’école, il entre en 1965, au Royal College of Art Furniture où il se destine à des études de design de mobilier. Il en sort diplômé en 1968 et met ses talents au service du Ronnie Scott’s Jazz Club à Londres pour lequel il dessine des bancs et chaises. Dans la foulée, il obtient son premier travail de création de pochette de disque pour un groupe nommé Gun. Dès lors, ce fut le début d’une fructueuse collaboration entre Dean et d’autres musiciens. C’est en 1971 que la carrière de Roger Dean est définitivement lancée : il crée la pochette du premier album d’Osibisa, travail qui lui vaudra d’être remarqué par de nombreuses formations. On découvre alors un monde imaginaire avec une végétation et des animaux sortis du cerveau de Dean, autant d’éléments qui constitueront sa marque de fabrique pour de nombreuses années. Toujours en 1971, il est contacté par Yes pour qui il réalisera sa première pochette, celle du Yes Album.

En 1975, Dean décide de monter avec son frère Martyn leur société d’édition, Dragons and Dreams à travers laquelle, il publie un recueil de ses travaux Views. Entretemps, Roger Dean est approché par des groupes au faîte de leur gloire comme Uriah Heep, et un jeune groupe nommé Asia qui compte dans ses rangs un certain Steve Howe (comme quoi le piston, ça aide !). Considérant la musique de ces derniers comme visuellement excitante, il travaille sur leur album éponyme. Le résultat dépasse les attentes et la pochette est élue dauphine de la couverture d’album la plus réussie après le Sergent Pepper’s des Beatles. Continuant sur la lancée, il fournit à Asia les pochettes d’Alpha et Astra. L’univers Roger Dean est ainsi fait de formes et de paysages d’une douceur extrême ou la fluidité est le maître mot. Avec son style, immédiatement identifiable, Roger Dean ira jusqu’à dire : « Il y a de mon style dans les films de Star Wars ». Ce n’est pas totalement faux : certains monstres utilisés par les Stormtroopers dans l’épisode IV et la cité de Bespin semblent sortis plus du cerveau de Dean que de celui de Lucas. A croire que ce dernier est fan du premier cité.

Quelques exemples de son travail :

      

   

Site officiel : http://www.rogerdean.com/


Rodney Matthews

Le style de Rodney Matthews, né en 1945 en Angleterre, présente certaines similitudes avec celui de Roger Dean. Toutefois, Matthews s’orientera par la suite vers un style plus porté sur l’Heroic Fantasy à l’instar de Gerald Brom ou de Frank Frazetta. A l’inverse de Dean, Rodney Matthews a travaillé avec un grand nombre de groupes. Si Thin Lizzy le fit connaître, sa carrière continuera lors de la succession de Roger Dean pour Asia. Mais le plus beau est encore à venir. Un groupe de Birmingham, Magnum, le sollicite pour les couvertures des albums appelés à devenir des classiques : Chase The Dragon, The Eleventh Hour, A Storyteller’s Night. Les deux parties ont dernièrement réitéré leur collaboration sur le dernier album studio du groupe avec Princess Alice And The Broken Arrow.

Quelques exemples de son travail :

   

Site officiel : http://www.rodneymatthews.com/


Hugh Syme

99% des lecteurs de Progressia ont forcément tenu un album de Rush entre leurs mains. Mais combien d’entre eux se sont intéressés à la pochette, au message véhiculé par celle-ci et, si on va plus loin encore, combien d’entre eux se sont demandés ce qu’il y avait dans les têtes de Rush et d’Hugh Syme au moment de la concevoir ? En tout cas, on peut facilement trouver un point commun entre Yes et Rush : la fidélité envers leur graphiste. Le trio canadien à son Roger Dean à lui en la personne de Hugh Syme. Avant cela, la pochette du premier album éponyme de Rush est l’œuvre de Paul Weddon tandis que celle de Fly By Night est signée Eraldo Carugati.
C’est en 1975 que l’histoire d’amour entre les deux parties commença avec Caress Of Steel pour lequel Syme réalisa toutes les illustrations. A cette époque, pas d’ordinateur ni de Photoshop, mais les bons vieux crayons et aérographes. Le mysticisme et les interrogations montent d’un cran à la sortie du controversé 2112. Artistiquement, l’album devient une pierre angulaire du genre. Mais il est cependant descendu par la presse, car consacré au social-darwinisme, courant de pensée prôné par la philosophe américaine Ayn Rand, concept qui vaudra à Rush d’être taxé de fascistes. Un comble lorsqu’on sait que Geddy Lee est de religion juive et que ses parents sont d’anciens déportés. Avec la polémique qui enfle autour de l’album et du message véhiculé, grossit également la signification de la pochette. Rappelons le concept : le monde est dirigé par des prêtres ayant aboli toute forme d’art. Un jeune garçon trouve un jour une guitare et s’attaque au totalitarisme imposé par ces prêtres. Comment cela est symbolisé sur la pochette : l’étoile Rouge – idée de Neil Peart – sur la couverture représente le logo du Temple de Syrinx dont sont issus les prêtres. Le garçon au dos de la pochette est le héros de l’histoire. Il est représenté nu afin de mettre en avant la notion de sainteté du corps et de l’esprit. Il s’attaque donc au Temple de Syrinx.

Les techniques n’étant pas aussi développées qu’aujourd’hui, Syme devient avec le temps un maître du photomontage, technique particulièrement utilisée pour A Farewell to Kings). Notez aussi que Syme a la notion de la mémoire sur le live Exit Stage Left qui clôt un chapitre de l’histoire de Rush. On peut y voir une allusion à tous les albums sortis par le groupe jusqu’alors. Par la suite, chaque nouvelle livraison de Rush suscitera un grand nombre de discussions tant musicales que visuelles, Hugh Syme surprenant à chaque fois l’auditeur. Que ce soit pour Presto, Roll The Bones, Counterparts ou Test For Echo, le mystère est bien là. Syme a su évoluer en même temps que les technologies de création : du simple crayonné au photomontage numérique, Hugh Syme est l’un de ces rares artistes à ne pas être tombé dans un style au point d’en devenir prisonnier (à l’image d’un Derek Riggs par exemple). Au contraire, il parvient à surprendre et se renouveler artistiquement. La marque des grands. Un grand monsieur qui a accepté de répondre à nos questions dans la partie Entretiens.

Quelques exemples de son travail :

      

   


Storm Thorgerson

Né en 1944, Storm Thorgerson, qui côtoya un certain Roger Waters en classe à Cambridge, fonde en 1968 avec Aubrey Powell la société Hipgnosis. Les premiers clients sont pour le moins prestigieux : Pink Floyd, Syd Barrett, Led Zeppelin… Comme pour tout autre graphiste commissionné pour une pochette, le but de son intervention est de mettre en corrélation la musique avec un visuel ou une ambiance créée par ce visuel. Les deux co-fondateurs ne perdirent pas de vue qu’il doit y avoir un lien intrinsèque avec la musique ou les paroles, donnant ainsi des résultats surprenants comme sur The Dark Side Of The Moon ou Wish You Were Here. La première citée fut sélectionnée avec Houses Of The Holy de Led Zeppelin comme l’une des cinquante plus belles pochettes du siècle. Hipgnosis cessa toute activité en 1983 mais cela n’empêchera pas Thorgerson de continuer à mettre ses méninges au service du Floyd mais aussi de celui d’autres artistes comme les Cranberries, Muse ou Dream Theater. Le style de l’artiste est assez particulier, notamment par la froideur qui s’en dégage. La notion d’abstraction prend ici tout son sens, tant ces pochettes donnent d’occasion de chercher la corrélation entre l’image d’un coté, les paroles et la musique de l’autre.

Quelques exemples de son travail :

      

   

Site officiel : http://www.stormthorgerson.com/

DOSSIER : Le visuel dans le rock progressif part.3


3. Les successeurs

Au début des années 1980, il devient de plus en plus tendance pour un jeune groupe qui monte de s’attacher les services d’un seul et même artiste. Les plus beaux exemples de ces mariages d’intérêt d’abord et d’amour ensuite sont probablement ceux d’Iron Maiden avec Derek Riggs et de Marillion avec Mark Wilkinson, qui sont à l’époque deux jeunes illustrateurs inconnus.

Les deux artistes ont un point commun : ils manient l’aérographe comme personne. Le premier, avec qui Maiden possédait un contrat d’exclusivité, donnera naissance à Eddie, la mascotte emblématique de la Vierge de Fer. En le représentant sous différentes postures, aspects, époques, le succès est énorme : grimé en sphinx sur Powerslave, cyborg sur Somewhere In Time, ou interné sur Piece Of Mind, la qualité des illustrations de Riggs est telle que l’équipe de scénographie rattachée au groupe s’en inspirera pour les infrastructures de scène.
Derek Riggs a également ce goût pour un travail minutieux et précis, prêtant attention au moindre détail. Un vrai perfectionniste n’hésitant pas, parfois, à quelques fantaisies, comme sur la pochette de Somewhere In Time, où l’on peut voir Dickinson, Smith et cie dessinés sur la quatrième de couverture.

Après No Prayer For The Dying, Maiden et Riggs cessent leur collaboration, ce dernier cédant sa place à Melvin Grant. Pour beaucoup de fans, c’est la fin : pas de Eddie sans Derek Riggs ! Des années sont passées, de l’eau a coulé sous les ponts et Bruce Dickinson a eu le temps de quitter puis de revenir dans Iron Maiden. La nouvelle a tellement d’impact que les anglais se rabibochent avec Riggs qui, entre temps, s’est mis à l’ordinateur et Photoshop pour Brave New World. Sans pour autant oublier l’aérographe et le pinceau, il mélange avec succès 3D et dessin réel, mais, pour beaucoup de puristes, les œuvres les plus célèbres du grand Derek Riggs ont été créées sans ordinateur.

Quelques exemples de son travail :

   

Site officiel : http://www.derekriggs.com/


Mark Wilkinson, quant à lui, se fait un nom avec Marillion dont les premiers albums, forts du succès que l’on connaît, font figure de pain béni lui permettant d’exprimer sans limites son talent. Utilisant l’aérographe comme outil de prédilection, l’anglais fait donc son trou dans le milieu des graphistes spécialisés dans le disque.
Le divorce entre Marillion et Fish met également un terme à la collaboration entre les deux parties et sa création la plus marquante de cette époque est celle dessinée pour Fugazi sur laquelle on aperçoit les couvertures des albums précédents, idée reprise par Enchant il y a trois ans lors de la sortie de Tug Of War.

Dès lors, Wilkinson se voit approché par un autre groupe anglais, Judas Priest, donnant ainsi naissance à une association pour le moins fructueuse avec en point d’orgue le planétaire Painkiller. L’expérience connue avec Marillion, ne se répétera pas avec Priest. Rob Halford, démissionnaire, est remplacé par Ripper Owens, mais Wilkinson continue à travailler pour le groupe avec les sorties de Jugulator et du live Meltdown, qui représente un tournant dans la carrière de Mark Wilkinson puisqu’il s’agit de sa première œuvre réalisée à l’aide d’un ordinateur.

Il s’associe avec Iron Maiden et frappe artistiquement un grand coup en s’occupant du coffret Eddie Archives Metal Box ainsi que de quelques singles de Brave New World. Il a également loué ses services pour John Wesley (Porcupine Tree) et Kylie Minogue. Plus récemment, Wilkinson a fait parler son talent sur un des albums de l’année 2005 : One Way Ticket To Hell… And Back ! de The Darkness ! En dépit de cette souplesse, le travail de Mark Wilkinson le plus marquant est de loin celui des « années Marillion », compilé dans un livre, Masque, dans lequel sont également présentés ses travaux pour Fish.

Quelques exemples de son travail :

      

Site officiel : http://www.the-masque.com/

DOSSIER : Le visuel dans le rock progressif part.4


4. La relève à l’heure de l’image numérique

Avec l’avènement de l’ordinateur (plus précisément celui du Macintosh, qui fut longtemps l’outil le plus utilisé en environnement professionnel), de l’image numérique, et de l’accessibilité du PC, le graphisme n’est plus réservé à une élite. Le grand public s’intéresse de plus en plus aujourd’hui à la création visuelle. Certains évoquent une fascination pour le coté créatif et visuel, d’autres pensent que c’est une implication totale au même titre que la production d’un album. Certains se découvrent alors des talents cachés et se lancent dans des vocations artistiques, ne se sentant pas limités tant l’ordinateur leur permet de réaliser des prouesses. On peut citer ainsi Mattias Norén, Thomas Ewerhard, qui ont répondu à nos questions, et beaucoup d’autres encore. Deux graphistes sortent du lot assez rapidement : Dave Mc Kean et Travis Smith.

Dave Mc Kean

Dave Mc Kean est né en 1963 dans le Berkshire en Angleterre où il passa son enfance. Entre 1982 et 1986, il suivit les cours dispensés au Berkshire College of Art and Design. Peu avant la fin de son cursus scolaire, il commença à travailler en tant qu’illustrateur. Toujours en 1986, il fit une rencontre qui change sa vie en la personne de Neil Gaiman, écrivain scénariste de bande dessinée. Mc Kean avait déjà un pied dans ce monde puisqu’il venait de terminer Arkham Asylum consacré a Batman. Le style Mc Kean est alors révélé au grand public avec la bande dessinée The Sandman : sombre, malsain et quelque peu torturé. Il fournit pour ce titre toutes les couvertures, fruits de nombreuses nuits blanches tant le travail (en premier lieu manuel) est fastidieux. A l’avènement de l’image numérique, Mc Kean saute le pas sans hésiter et voit sa quantité de travail réduite en passant de l’acrylique à Photoshop. A la fin de The Sandman, Mc Kean est approché par Fear Factory, puis Testament, visiblement fans du bonhomme, pour leur réaliser une pochette. Déjà bien établi dans le monde de la bande dessinée, Dave Mc Kean va voir sa côte de popularité et la pile de devis sur son bureau considérablement augmentées. Il prête donc ses talents à Paradise Lost, Testament, Fear Factory ou Alice Cooper, se faisant ainsi un CV dans la frange metal / hard rock. mais il loue également son talent à des artistes non metal comme Bill Bruford, les Counting Crows et Tori Amos. A ce jour, sa collaboration la plus fournie est celle avec le groupe d’indus Front Line Assembly. Dans le monde du rock progressif, Mike Portnoy a eu le nez creux en le choisissant pour la couverture de Scenes From A Memory. Il réalise également bon nombre de pochettes pour des artistes signés chez Magna Carta : Dali’s Dilemma, Under The Sun, Magellan, le projet Leonardo de Trent Gardner, ou les deux albums de Mullmuzzler. Dave Mc Kean, par son imagination, a influencé le travail de beaucoup de graphistes comme Niklas Sundin ou Travis Smith et quand il ne passe pas 15 heures derrière son écran, il part jouer du piano dans des festivals de jazz ! Récemment il a co-écrit et réalisé en compagnie de Neil Gaiman, Mirrormask un sublime film d’animation dans lequel tout l’univers visuel Mc Kean est présent.

Quelques exemples de son travail :

      

   

Il n’existe pas de site officiel consacré à Dave Mc Kean, néanmoins, le plus complet est http://www.mckean-art.co.uk/


Travis Smith

Travis Smith est américain et a lui aussi débuté dans la bande dessinée en intégrant le studio Crime Lab pour lequel il colorise le titre Violent Messiahs. Son talent ne passe rapidement pas inaperçu puisqu’il est nominé pour les Wizard Awards récompensant les meilleurs artistes de la bande dessinée US. A 25 ans, il réalise sa première pochette de CD pour Psychotic Waltz qui sort son album Bleeding. Peu après il entame une longue collaboration avec Iced Earth qui débute avec Something Wicked This Way Comes. Etant de plus en plus attiré par le numérique et croulant sous les demandes (notamment de Nevermore et Soilwork), il fonde son studio Seempieces. Il réalisera par la suite des pochettes pouvant aller du très élaboré (Dead Heart In A Dead World de Nevermore) au plus épuré (Deliverance et Damnation d’Opeth) sans pour autant abandonner le crayon et l’encre de Chine (avec Abigail II de King Diamond). Depuis Travis Smith travaille avec de nombreux groupes de tous styles tout en restant dans le monde du Metal : Zero Hour, Riverside, Katatonia, Anathema, Soilwork ou Devin Townsend ont déjà fait preuve de bon goût en faisant appel à sa créativité.

Quelques exemples de son travail :

      

   

Site officiel : http://www.seempieces.com/

DOSSIER : Le visuel dans le rock progressif part.5


5. Entretiens

Parmi la multitude d’artistes sur le marché, les plus reconnus aujourd’hui ne sont pourtant pas légion et ont pour nom Mattias Norén, Niklas Sundin, Dave Mc Kean, Thomas Ewerhard ou encore Travis Smith. Et ces jeunes ne dérogent pas à la règle des anciens, chacun s’attachant à un ou quelques groupes. Ainsi, vous pouvez apprécier le travail de Travis Smith à travers les albums d’Opeth ou plus récemment Redemption, admirer les montages de Mattias Norén sur les disques d’Evergrey ou encore vous demander ce qu’il y a dans la tête de Niklas Sundin lorsqu’il travaille sur les pochettes de son propre groupe, Dark Tranquillity. C’est avec un certain plaisir que ce dernier ainsi que Mattias et Thomas Ewerhard ont bien voulu répondre à un petit questionnaire où ils racontent leur parcours. A côté de ces « jeunes loups » nous avons recueilli les conseils d’un monument du graphisme musical : Hugh Syme.


Entretien avec Hugh Syme

On lui doit la totalité des pochettes de Rush (moins les deux premières), mais il a également prêté son talent et son cerveau à d’autres noms prestigieux comme Megadeth, Iron Maiden ou Céline Dion (si si !). Dans notre genre favori, il s’est notamment acoquiné avec Arena, Tiles, Fates Warning ou Queensrÿche et dernièrement Dream Theater pour lequel il a réalisé Octavarium. Vous lui devez aussi certains maux de tête si, d’aventure, vous avez cherché le sens de certaines images dans des livrets. Hugh Syme, personnage si mystérieux à travers ses pochettes, a accepté de lever – à moitié – le voile qu’il garde sur lui depuis plus de trente ans. C’est avec une certaine fierté que Progressia vous propose de retrouver dans ses colonnes un grand nom du rock progressif.

Hugh Syme, tout d’abord, merci de nous accorder un peu de votre temps. Vous êtes connu d’un grand nombre de personnes pour votre travail, mais je pense qu’elles aimeraient en savoir un peu plus sur votre parcours.
Hugh Syme : Avec plaisir. Je suis autodidacte et d’aussi loin que je me souvienne, je dessine et peins depuis mon plus jeune âge. J’ai intégré la Bede School en Angleterre, suivi de deux années regrettables à la section beaux-arts de la New School Of Art and York University. Cependant, de ces deux années pitoyables, je retiens les cours de dessin mémorables de Paul Young, Dennis Burton, Nobuo Kubota et Robert Markle.

A quand remonte votre intérêt pour le graphisme et l’art en général?
J’avais fait quelques ébauches ici et là avant d’être plus sérieux concernant les règles conventionnelles de design. J’ai pris un œil et un point de vue plus durs face au graphisme lorsque j’ai terminé ma première couverture d’album. J’ai réalisé qu’en plus de la couverture, il fallait une certaine cohérence avec le nom du groupe, le titre de l’album et les autres espaces de la pochette comme les tranches. Je dois dire que mon véritable intérêt s’est développé en observant les travaux sur le milieu de l’imprimerie comme ces livres sur la typographie et ces magazines sur la mise en page ainsi que des pochettes d’albums. Il est une leçon à ne jamais oublier : malgré l’unicité, la pureté et le temps passé sur une épreuve, il faut toujours regarder ce qui se fait maintenant et ce qui a été fait dans le passé. Nos styles respectifs sont uniques, certes mais sont un vrai mélange d’influences et d’expériences que nous partageons, involontairement ou non. Il n’y a que sept notes après tout.

A propos de notes, il me semble qu’en plus du graphisme vous êtes musicien ?
Oui je joue du piano et des claviers. J’écris et arrange de la musique.

Quelles techniques utilisiez-vous avant l’émergence de l’ordinateur ?
Beaucoup de découpage et collage pour tout ce qui avait trait à la typographie. Pour l’imagerie, je pouvais soit faire une vraie illustration traditionnelle, peinte ou dessinée. Ou bien (et je faisais ainsi à mes débuts) je faisais appel à des photographes pour capturer les éléments requis pour ma photocomposition afin de la rendre la plus réelle possible. A l’époque mon travail ne s’arrêtait pas là, il fallait que je prépare les motifs sérigraphiques pour les transferts sur tee-shirts. En ces temps-là, la copie n’était pas aussi fidèle que l’original. Il fallait donc que je trouve des teintes similaires pour deux types de support complètement différents. A l’époque, le raccourci clavier « commande-z » pour revenir en arrière n’existait pas. Il m’arrive de porter un tee-shirt avec cette inscription sur le devant et « pour ne pas avoir à dire pardon » au dos (rires).

Vous avez prêté votre talent pour des groupes comme Queensrÿche, Megadeth ou encore Whitesnake ainsi que d’autres de rock progressif moins connus comme Tiles ou Arena. Votre collaboration la plus connue est celle démarrée avec Rush, il y a plus de trente ans. Beaucoup aimeraient savoir comment est née cette relation, car il est impressionnant de voir que trente ans après, vous êtes toujours dans les petits papiers de Geddy Lee, Alex Lifeson et Neil Peart ! Quel est le secret d’un tel mariage ? A terme, cela vous a-t-il permis de vous faire un nom ?
Je faisais partie à l’époque d’un petit groupe qui était signé chez le même label que Rush : Anthem. Je m’occupais des couvertures d’album. Ray Danniels, le manager de Rush est venu me voir afin que j’en réalise une pour eux. Depuis ce jour, je lui suis reconnaissant ad vitam aeternam. Je dois, à ce titre, vous faire une confidence : je continue à être le premier surpris de voir toutes les marques de fidélité et de confiance témoignées par le groupe pendant toutes ces années. Je ne me plains jamais d’avoir d’autres commandes, et sans manquer de respect aux autres avec lesquels j’ai eu l’occasion de collaborer, je ne suis jamais autant ravi que de retrouver Rush. Plus de trente ans après, nous continuons chacun à percevoir cette même ardeur que nous partagions aux débuts (en particulier avec Neil Peart). Je crois en leur loyauté envers certaines personnes de leur entourage, que ce soit les assistants personnels, les roadies, ingénieurs du son etc. Je me considère comme béni de faire partie de ces gens qui, avec le temps, se bonifient comme du bon vin.

Avec du recul, en regardant les œuvres fournies pour Rush, y-en a t-il une qui vous accroche plus que les autres pour une quelconque raison ?
Il y a certaines pièces qui sont probablement plus abouties, à la fois conceptuellement et techniquement. Mais de là à n’en choisir qu’une, c’est très difficile. Parmi ce que j’ai pu proposer pour le groupe, je retiens Power Windows, Signals, Moving Pictures et Vapor Trails.

Pouvez-vous nous parler de votre approche au moment de commencer un livret ? Procédez-vous toujours de la même manière ou bien aimez-vous changer de temps en temps votre fusil d’épaule ? De la même manière, aimez vous travailler en ayant lu les paroles auparavant ? Prenons par exemple l’approche utilisée sur quelques titres de Test For Echo : le titre éponyme, « Driven », « Dog Years » et « Half The World ». Les images d’arrière-plan, derrière les paroles, vont complètement à l’opposé de ce que raconte la chanson…
Votre question comprend certaines réponses. Comme vous l’avez indiqué, j’aime bien aller à l’opposé de ce qui est relaté, cela doit venir de mon goût prononcé pour l’ironie (rires). J’aime que l’image contienne un sens littéral ou bien qu’elle soit considérée comme une interprétation. J’ai pour habitude d’écouter la musique dans un premier temps. J’aime aussi savoir quels sont les livrets ou couvertures d’albums qui plaisent au groupe. A partir de là se posent deux cas de figure : je développe soit des écrits sommaires des concepts proposés, ou, il se peut que je dessine quelques croquis. Il m’arrive également de faire des montages photos en basse définition (NDDan : le terme basse définition est l’opposé de la haute définition utilisée dans l’édition et l’imprimerie. C’est un standard de taille de fichier numérique qui veut que l’image doit être scannée à 300 points par pouce (DPI) de résolution. Certains vont jusqu’à scanner à 600 dpi pour avoir une base encore plus nette et la repasser à 300 par la suite. A l’inverse, une image dite en basse définition est passée à 72 dpi, standard utilisé pour les images web ou télé d’où le terme « résolution écran » ) pour pouvoir passer des mots à l’image. Est-ce la même approche à chaque fois ? Oui, ça commence toujours par une poignée de main (rires). Dès lors, c’est une question d’alchimie. Après un certain temps dans le milieu des pochettes de disques, je peux dire que je sais ce que doivent ressentir mes clients quand je leur demande quelles sont leurs pochettes préférées.

Allons, si vous le voulez bien, encore un peu plus loin dans la création. Pourriez-vous nous relater la genèse du design de Vapor Trails ? Qu’est-ce qui, à la fin, vous a amené à cette boule de feu en fusion ?
Un exemple bien choisi de votre part. Ce projet était très particulier pour moi. C’était le premier pour Rush depuis cinq ans et l’exil volontaire de Neil suite aux tragédies familiales qu’il venait de vivre (NDDan : Peu après la tournée Test For Echo, Neil Peart a perdu à moins de six mois d’intervalle sa fille et sa femme. Selena Peart trouva la mort dans un accident de voiture et son épouse Jacqueline décéda d’un cancer). L’idée est cependant venue très rapidement, lors de notre première conversation depuis des années, suite à son périple en moto sur le Chemin de la guérison dont fût tiré son livre Ghost Rider. Lors de cette discussion (précisons tout de même que nous avions également des échanges par faxes et e-mails), l’idée de base de Neil sur le terme Vapor Trails était de dire que nos vies sont en fait, très brèves et qu’elles ne sont qu’un battement de cil dans l’histoire de l’humanité. On brille et l’on s’éteint, comme une comète. Là, on avait quelque chose, on avait trouvé l’image ! Nous nous sommes alors mis en tête d’éplucher toutes les notions citées dans les archives de la NASA, une véritable mine d’or ! Il était clair que la couverture ne pouvait ressembler à une illustration du National Geographic venant habiller un papier sur l’astronomie (rires). J’ai donc peint quelque chose, histoire de voir où cela me mènerait. Plusieurs jours après, cette peinture très gestuelle fut présentée au groupe. Je m’étais préparé au fait de devoir explorer d’autres directions. Mais le fait est que ce premier jet fut le dernier et entériné comme idée de base. Je pouvais ainsi commencer ma déclinaison graphique. Le monde est ainsi fait : de coïncidences.

Une question récurrente dans le graphisme, celle de la station graphique : Mac ou PC ? Avec l’usage des ordinateurs ressentez-vous une quelconque forme de limites ?
J’ai toujours travaillé sur Mac. Concernant les limites, je ne me suis jamais senti aussi bien équipé pour avoir le rendu que j’attends. Malgré quelques rares crashes de disques durs ou de système, je touche du bois tout va très bien ! Cependant la peinture à huile me manque un peu, je dois bien l’avouer. Mais je me suis rattrapé puisque les portraits récents et certaines créations que j’ai pu faire entre temps en contiennent. J’ai là le meilleur des deux mondes ! Aujourd’hui l’ordinateur est lié à la photo numérique et vu mon approche de l’image, je peux désormais faire la majorité du boulot chez moi sans être confronté aux délais de développement du labo photo ou (et ceci est dit avec le plus grand respect) aux plannings des plus grands photographes. Je gagne beaucoup de temps, ce qui n’est pas négligeable et me permet d’être plus réactif et plus efficace.

Vous faites partie avec d’autres artistes comme Roger Dean, Storm Thorgerson ou Rodney Matthews, des pionniers du graphisme poussé en musique. Je veux dire par là que vous avez suscité des vocations chez de nombreux graphistes actuels. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Certains musiciens faisant partie de groupes relativement connus m’ont confié qu’ils trouvaient gratifiant d’entendre parler d’eux par de jeunes musiciens (notamment ceux qui font leur première partie) qui se réclament de leur influence. Ces exemples sont bien plus rares dans le milieu du graphisme, mais cela ne m’empêche pas de continuer à découvrir des graphistes et autres artistes du monde entier. Le fait d’avoir pu inspirer ou ne serait-ce que toucher quelques-uns d’entre eux, me rend vraiment fier et me touche moi-même beaucoup.

Quels sont vos meilleurs souvenirs ou plutôt vos meilleures séances de travail ?
Les meilleurs moments sont ceux où l’on sent l’interaction avec les musiciens pendant plusieurs jours. Je préfère de loin cette ambiance comparée à la tendance actuelle ou l’on travaille presque tous par échange d’e-mail. Rush sont mes plus anciens et mes plus « chers » clients. Avec le temps, nous avons oublié cette notion, ce sont des amis. L’honneur le plus marquant me concernant, fut lorsqu’ils me demandèrent de franchir le pas et de laisser tomber un moment le pinceau, pour prendre place derrière des claviers, le temps de quelques titres, d’abandonner mon rôle de directeur artistique pour celui de musicien. Je dirais donc que de ce point de vue-là, les périodes 2112 et Moving Pictures sont les plus mémorables.

A l’inverse, quels sont vos pires souvenirs ?
Disons qu’il y en a eu peu. Il y a eu quelques tensions, mais cela est habituellement dû aux personnalités impliquées, que ce soit les musiciens, ou leurs instances supérieures comme les maisons de disques ou les managements. Je n’ai pas eu souvent à me plaindre, je dois dire que j’ai beaucoup de chance de travailler avec des gens professionnels et compréhensifs.

Y a-t-il des livrets de CD (peu importe la période) qui ont retenu votre attention pour une raison particulière ?
Pas particulièrement. Je dois avouer qu’il y a une foultitude de jolis (et de moins jolis) livrets. Cependant, certains aspects du design m’ont fait réagir. Il y a aujourd’hui tellement de produits différents concernant le packaging d’un disque. Bien entendu, c’est le marché qui veut ça, c’est la sacro-sainte loi du commerce. Du coup j’ai l’impression qu’on en fait un peu trop avec ces packagings luxueux, une édition standard, une autre limitée, tout ça pour les radios et autres moyens de promotions. C’est assez farfelu et superficiel dans la plupart des cas, sans compter les – aujourd’hui – trop rares artistes ou groupes à qui l’on consacre un coffret pour célébrer leur carrière. Pour résumer, je dirais que certains produits sont excessifs notamment en ce qui concerne leur contenu. Sérieusement, parfois cela frôle la plaisanterie ! D’autres sont plus intéressants car ils contiennent des choses inédites, pouvant aller du surprenant à l’outrageant. Il y a quelques exemples qui pour moi, ont vraiment élevé le niveau en termes de graphisme d’album : Sgt Pepper’s et, à l’extrême opposé, le White Album des Beatles, Wish You Were Here du Floyd, les couvertures de Peter Gabriel ou de U2 (NDDan : les photos d’Anton Corbijn qui travaille aussi avec Metallica sont somptueuses). Il y en a tellement ! En fait, je suis plus facilement attiré par une photo, une technique de photo ou un élément singulier faisant partie d’une composition, que par un gros coffret.

Que pensez-vous de la nouvelle génération de graphistes ?
Je trouve que ces artistes sont d’excellents graphistes, faisant montre d’un travail très accompli et très agréable, en particulier Travis Smith et Dave Mc Kean.

Site officiel : http://www.hughsyme.com


Entretien avec Thomas Ewerhard

Originaire d’Allemagne, Thomas Ewerhard est surtout connu pour son travail en collaboration avec une grande partie des groupes signés chez Inside Out. Il est ainsi « responsable » des livrets d’Enchant, Spock’s Beard, Threshold ou encore Vanden Plas pour ne citer que les plus connus.

Thomas, malgré ton travail avec Inside Out, une petite présentation s’impose.
Bien sûr. Je suis né en 1971 en Allemagne à Duisbourg près d’Oberhausen où j’ai passé les huit premières années de ma vie. Mes parents ont par la suite bougé à Haldern, une ville pas loin de la frontière hollandaise tellement ennuyante que je ne pouvais rien y faire à part dessiner ! Donc j’ai pu avoir, assez tôt une idée de ce que j’allais faire de ma vie. A 22 ans je suis parti à Aachen pour y étudier la biologie. J’ai par la suite abandonné mes études afin de me mettre à mon compte en tant qu’illustrateur et j’ai déménagé à Kleve pour y partager un bureau avec le staff d’Inside Out Music. Mais Kleve est tellement ennuyante comme ville, que j’ai finalement atterri à Düsseldorf début 2005 et j’ai maintenant mon propre studio.

Quand t’es-tu intéressé au graphisme de manière approfondie ? Etais-tu déjà attiré par quelconque forme d’art ?
Je pense de mémoire, que la première fois où j’ai pris conscience que dessiner était très important pour moi au point d’en vivre, remonte à mon adolescence, vers 15-16 ans lors de mes années lycée. Auparavant, un de mes professeurs avait remarqué « mes œuvres » et m’a encouragé dans cette voie. Il donnait des cours approfondis pour des jeunes de 8-9 ans que j’ai suivis ou j’ai appris pas mal de choses importantes sur le sujet. Cela restait néanmoins des points très basiques comme la perspective, les ombres et lumières, etc. Jusqu’à aujourd’hui ses enseignements m’apportent. Comme quoi l’école ce n’est pas si mal. Le milieu de la musique est venu peu après : j’ai longtemps joué dans un groupe appelé Breeding Fear où je me suis occupé de tout ce qui était « communication visuelle touchant au groupe » en binôme avec Jan Meininghaus le guitariste du groupe qui est un illustrateur doué. En dépit du succès commercial plus que modéré du groupe, nous eûmes quand même la possibilité de rencontrer des gens du milieu de la musique essentiellement des musiciens d’autres groupes comme Disbelief, Crack Up ou Richthofen qui ont pour point commun avec nous, d’avoir enregistré leurs démos et albums dans le même studio, celui d’Andy Classen, d’Holy Moses. Un jour, nous parlions des nouveaux disques à venir de ces groupes et Andy nous dit alors qu’il lui manquait une couverture pour le livret de son nouveau projet Richthofen. On a beaucoup aimé les titres de son disque. Du coup Jan et moi avons commencé à échanger des idées et la pochette de leur disque est devenu mon premier vrai boulot pour un groupe et c’était en 1997. Peu après les gars de Crack Up, un groupe de death metal allemand ont vu les croquis que j’avais fait pour Richthofen et ont aimé. Leur album From The Ground est devenu mon deuxième vrai boulot… En fait je devrais dire « notre » parce que je bossais encore avec Jan à l’époque. Idem avec Disbelief et leur premier album, bien que la couverture du livret fut réalisée par une autre personne nous nous sommes juste occupés du livret. Cela nous permit d’être bien payés par les labels, le reste fait partie de mon histoire. J’en profite pour dire que Jan et moi avons monté nos entreprises respectives. Peu après avoir bossé sur l’album Pzyco de Hate Squad, Jan se sentait plus attiré par la bande dessinée alors que moi j’étais à fond dans la création graphique pour groupes de metal. Nous avons donc cessé notre collaboration sans pour autant couper les ponts. Nous sommes de très bons amis et il nous arrive encore de temps en temps de collaborer.

Quels sont les artistes qui t’ont influencé ? As-tu un modèle ou une référence en particulier ?
J’aime beaucoup le travail de Travis Smith, Mattias , Hugh Syme et Dave MacKean. Et depuis qu’ils évoluent dans la création de livret de CD, ils ont tous une influence important sur mon travail. Au-delà du milieu musical, il y a d’autres artistes dont j’admire le travail bien qu’ils n’aient pas une incidence particulière sur mes créations. Par exemple je suis un grand fan de Frank Frazetta et Boris Vallejo qui sont les pionniers du fantasy art. Je pourrais également citer Simon Bisley dont les bandes dessinées sont d’une rare intensité. Aussi, je trouve qu’Hajiime Sorayama est unique. Je n’ai jamais vu de peintures réalisées à l’aérographe être aussi réalistes. On dirait des photos ! En fait, il y a beaucoup à découvrir si on prend le temps de regarder. Cela dit les artistes que j’ai cités peu avant ne constituent pas des références à proprement parler, parce qu’ils ont tous une ligne de création différente. Quoi qu’il en soit, je prends un grand plaisir à regarder leurs œuvres.

Peux-tu nous décrire ton processus de création ? Comment fonctionnes-tu ? A la musique ? Aux paroles, voire à des mots-clés ? Est-ce qu’il t’arrive de collaborer avec les groupes quand ils ont une idée ?
L’idéal est bien sur d’avoir entendu ne serait-ce que deux titres d’un groupe pour lequel je veux travailler. Selon la possibilité le groupe m’envoie un advance CD ou une démo non finalisée pour me donner une idée. J’écoute toujours peu importe si c’est mon style ou pas. Parallèlement aux règles conventionnelles de graphisme, je pense sérieusement que la musique joue dans l’étape de création et le résultat final colle plus que sans avoir écouter les chansons. A défaut de pouvoir entendre quelques titres, les notions de concept, les titres des chansons, les sujets et environnements évoqués me suffisent. J’arrive à faire un lien avec le genre musical auquel je suis soumis. J’arrive à mixer mes idées et celles du groupe. Il m’est même arrivé que certains viennent me rendre visite dans mon bureau mais c’est très rare. Je corresponds beaucoup par e-mail ce qui est un peu frustrant pour être honnête parce que c’est mon seul moyen de communiquer avec des gens de caractère.

Sur quelle station informatique travailles-tu ? Passes-tu beaucoup de temps sur tes créations ?
Je travaille sur Mac bien sûr ! Pour ce qui est du temps passé sur un livret, je n’ai pas d’exemple précis. Ça varie selon les cas. Bien entendu c’est plus facile et plus rapide quand le groupe a déjà une idée en tête. Dans ce cas, ma tâche consiste à réaliser et finaliser leurs visions. De cette manière je suis presque sur que mon premier jet sera à peu de choses près le dernier car je suis de près les idées du groupe. D’habitude je ne m’attache qu’à des détails comme réajuster les niveaux colorimétriques ou changer la police de caractère et ça suffit. J’aime travailler ainsi parce que c’est très rapide et c’est au final un compromis parfait entre mes idées et celles du groupe. Un travail d’équipe. Cette procédure ne me prend généralement pas plus d’une semaine après que je m’y sois mis. A l’inverse, il peut arriver que le groupe n’ait aucune idée de couverture. Ainsi je me suis vu plusieurs fois faire différentes propositions et pas une seule n’a plu. J’ai un exemple : quand j’ai travaillé sur la première couverture de Day For Night de Spock’s Beard ni le groupe ni le label n’avaient une idée concernant la couverture. Tout ce que j’avais eu de briefing fut : ce doit être différent de ce qui avait été fait auparavant. On m’avait fourni un CD avec des démos et l’on m’avait également conseillé je cite de faire juste quelque chose de sympa et prog. Inutile de vous dire que j’ai eu toutes les peines du monde à m’attacher à cette ligne directrice. Au final j’ai fait pas moins de vingt propositions avant de se mettre d’accord avec le groupe sur une de mes créations. Cette manière de faire rend évidemment votre processus plus long et moins rentable. D’un autre côté, c’est là le point le plus créatif de mon travail : à partir du titre de l’album et quelques titres, il faut créer la couverture adéquate. Il faut vraiment ressentir la musique et être dans le « délire du groupe » si je puis dire, afin de proposer un produit qui réponde voire dépasse les attentes de toutes les personnes impliquées dans le projet, et ça, j’adore.

On remarque que de plus en plus de maisons de disques insistent sur la qualité du produit fini et proposent des articles luxueux dans le but de lutter contre le piratage artistique. Est-ce que en termes de créativités cela vous permet-il de vous exprimer un peu plus ?
Oh oui j’adore bosser sur des digipacks ou digibooks. Bien sûr, c’est du travail en plus mais rien n’est plus pénible de lire onze paroles et une liste interminable liste de remerciements et de crédits entre cinq photos individuelles le tout sur douze pages. Graphiquement, ce n’est jamais très réussi. Un digipack ou un digibook c’est du pain béni pour nous. On a plus de place pour se lâcher ce qui rend la maquette plus accrocheuse. L’idéal, c’est d’avoir une page par chanson : d’un côté on a les paroles de l’autre, on peut rajouter des images en corrélation voire expliquant les paroles. Mais hélas cela n’arrive pas souvent. De toute façon, je pense qu’avoir un beau produit entre les mains avec un livret fourni est essentiel pour motiver les gens à l’achat. Il ne s’agit pas de les pousser à acheter, mais honnêtement, pourquoi je paierai quinze euros ou des fois plus pour un boîtier cristal classique avec un livret classique ? Je n’en veux pas aux gens qui préfèrent graver un CD emprunté à un ami. Mais si vous avez par exemple un beau digibook de vingt-quatre pages ou plus avec des photos, des infos sur le groupe avec pourquoi pas des commentaires et une vidéo, cela donne un produit à un prix plus qu’honnête. Là les gens réfléchissent moins parce qu’ils en ont vraiment pour leur argent.

Y a-t-il parmi tes groupes préférés, des clients potentiels avec lesquels tu souhaiterais collaborer ?
En ce moment, j’écoute beaucoup ces groupes qui versent dans un rock‘n’roll assez rapide comme The Bones, Backyard Babies, The (International) Noise Conspiracy, Danko Jones, Peter Pan Speedrock. Ça me met de bonne humeur. Bien sûr, j’adorerais travailler avec chacun de ces groupes. Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, je ne suis pas accro qu’au progressif. J’écoute toutes les musiques dérivées du rock : peu importe que ce soit du prog, thrash, metal ou punk. Une chanson comme « We All Need Some Light » de Transatlantic est l’une des plus belles chansons jamais écrites. Parmi les groupes de progressif mon préféré est Threshold, un super groupe dont je garde un excellent souvenir de notre collaboration. Il y a aussi Spock’s Beard, que j’ai vu sur scène. J’ai rarement vu des musiciens aussi doués jouer ensemble. Pour finir Enchant et d’ailleurs j’ai du mal a croire que ça fait depuis cinq albums que notre collaboration dure.

En tant que graphiste quels sont les livrets dont tu es le plus fier?
Je dirais Expending Senses de Darkane. Juste derrière Lemuria/Sirus B de Therion. Ensuite, Octane et Snow de Spock’s Beard qui est le livret plus fourni que j’ai réalisé à ce jour. Celui de Therion m’a pris beaucoup de temps aussi. Ces deux boulots se partagent la première place dans mon classement de ceux qui m’ont demandé le plus de temps. Enfin pour finir, je dirai Aeronautics de Masterplan.

Peux-tu nous décrire le processus de création d’une pochette comme Octane de Spock’s Beard ?
C’est un bon exemple, ma foi, et une bonne comparaison en regard au premier travail que j’ai fait pour eux. De manière générale, je commence par contacter les managements, les maisons de disques et les groupes pour discuter des devis, disponibilités et emplois du temps. C’est seulement après que l’on parle du nouveau disque. On essaie de savoir s’il y a quelques idées pour la première de couverture. Si oui, je les mets en image. Dans le cas contraire, j’essaie de présenter au moins une de mes créations. Le reste du livret dépend souvent de la couverture : il faut attendre qu’elle soit finie et validée pour qu’il puisse y avoir une cohérence en termes de couleurs, de textures et de polices de caractère.

Quelques exemples de son travail :

      

   

Ce que Thomas Ewerhard pense de :

Hugh Syme

Quand je regarde ce que j’ai réalisé pour Enchant, Magellan, Spock’s Beard ou Threshold il est clair que c’est une de mes plus fortes influences. J’adore son style expressif et ses images surréalistes capables de raconter une histoire. Elles collent parfaitement au style et au son ambitieux de certains groupes de progressif.

Roger Dean
C’est un grand honneur pour moi de lui succéder dans la création des pochettes d’Asia. Mieux encore, il m’a autorisé à utiliser pour mes créations, le logo qu’il avait dessiné pour Asia. Je crois qu’il a dit la chose suivante : Si j ‘avais créé la pochette de Silent Nation, j’aurais certainement pris une direction différente mais je vois où cet artiste veut aller. C’est très bien, qu’il continue ainsi.

Storm Thorgerson
C’est un grand artiste, mondialement reconnu, mais ce n’est pas un de mes graphistes favoris. Je ne saurais dire pourquoi, ses images ne m’ont jamais réellement touché, comparées à celles des autres créateurs. Je connais seulement son travail pour Pink Floyd, je ne sais pas ce qu’il a fait d’autre pour pouvoir donner un avis.

Dave Mac Kean
Fabuleux. J’aime ses créations sombres et intenses, que ce soit pour la bande dessinée ou pour les CD. Une de mes grandes influences quand il s’agit pour moi de travailler pour des groupes de thrash ou de death metal qui ont généralement besoin de cette imagerie sombre et glauque.

Ce que Thomas Ewerhard pense de ses confrères actuels :

Niklas Sundin (Cabin Fever Media)

Il a travaillé pour In Flames et Dark Tranquillity, n’est-ce pas ? Il fait du très bon boulot. D’un point de vue stylistique, ce n’est pas très éloigné de ce que je fais pour des groupes évoluant dans le même style. Malheureusement, je ne suis pas en contact avec lui et j’espère vivement l’être un jour.

Mattias Norén (Progart.com)
Je connais bien Mattias malgré le fait que nous ne nous soyons jamais rencontrés, On s’échange des e-mails régulièrement et on a le même client en la personne d’Inside Out. J’aime son travail et je trouve qu’il a énormément progressé ces dernières années. Ce qu’il a réalisé pour Star One : A Space Opera d’Arjen Lucassen m’a vraiment mis par terre. Je lui tire mon chapeau. Il a été papa pour la deuxième fois l’an dernier. Félicitations confrère !

Travis Smith (Seempieces)
Très talentueux. On a quelques échanges par e-mails mais je ne suis pas en contact aussi régulier avec Travis qu’avec Mattias. Ses images, ses créations me parlent et me touchent en plus d’être parfaitement identifiables. Au premier regard tu peux dire : ça, c’est du Travis Smith !

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