Aksak Maboul - Onze danses... (rééd.)

Sorti le: 07/02/2008

Par Christophe Manhès

Label: Crammed Discs

Site:

Attention, objet culte. Pourtant, dans sa forme, cet objet est bien modeste. Fait de bric et de broc et sorti incognito en 1977 sur un label éphémère, ces Onze danses pour combattre la migraine avait tout d’une expérience musicale sans lendemain. Seulement son géniteur, Marc Hollander, futur patron du vivifiant label Crammed Discs avait, sans le savoir, anticipé ce qui trente ans plus tard deviendra une norme pour beaucoup de compositeurs de musique : le métissage des styles et des sons. C’est que ces Onze danses… vraiment maboules ne contiennent rien d’embryonnaire. Elles sont peut-être la première expression millésimée et bluffante de la future « sono mondiale ».

Rehaussé par le prestige d’un second album totalement abouti et mètre étalon de la scène Rock in Opposition (Un peu de l’âme des bandits), Aksak Maboul fait donc parti de la légende des groupes pionniers, entre Henry Cow, Art Bears et la world music. Plusieurs décennies plus tard, d’autres iront encore plus loin en se forçant à concilier les éléments les plus extrêmes. Mais peu mettront en évidence avec cette désarmante simplicité ce qui relie toutes les musiques du monde dont l’inspiration est presque toujours puisée dans l’essence de la vie quotidienne.

Pour autant, les Aksak Maboul (Marc Hollander et Vincent Kenis) n’ont jamais eu la grosse tête. Et leur musique témoigne pour eux. Frappées au coin de la simplicité et de la spontanéité, toutes ces plages qui se mêlent dans un bric-à-brac fantaisiste et révolutionnaire sont l’expression évidente de doux rêveurs qui à force de fouiller l’ordinaire, comme Érik Satie en son temps, ont débouché sur rien de moins que l’universel. C’est le genre de bascule que vous ne décidez pas. Seul le talent poétique vous y amène.

Jugez plutôt. Aussi surréalistes qu’un tableau de Salvador Dali, ces Onze danses pour combattre la migraine nous font serpenter sans prévenir, mais sans jamais heurter non plus, entre des pièces à la naïveté proche d’une bande originale de Nino Rota, des expériences vocales dignes de Dagmar Krause, du folkore roumain, du RIO façon Art Bears, de la musique minimaliste, des gags juvéniles, des mélodies populaires, du Kraftwerk pur électro, des tambours africains, du jazz éthéré, des expériences Kraut-Rock et space rock… Bref, un vrai bouillon de culture !

Tout n’est pas parfait dans ce livre d’images sans frontière, aussi vaste qu’intimiste. Dans le genre électro jazz méditatif, « Mastoul Alakefak » fait, par exemple, un peu pale figure comparé à certaines pièces de Richard Pinhas de la même époque. Très abstrait — et dans le mauvais sens du terme — ce titre ferme presque le ban en laissant un goût trompeur.

Peu importe, Onze danses pour combattre la migraine est un grand album. S’il est moins abouti que ne le sera Un peu de l’âme des bandits trois ans plus tard, c’est une merveille de fantaisie. Et puis qui, en 1977, peut se targuer d’avoir ouvert une nouvelle brèche dans le contexte vénéneux et irrévérencieux de cette période ? Pourtant Aksak Maboul, au milieu du « no future », a eu le talent de préparer l’avenir.