ENTRETIEN : TILES

  Origine : Etats-Unis
Style : rock progressif
Formé en : 2001
Line-up :
Paul Rarick – chant
Chris Herin – guitares
Jeff Whittle – basse
Mark Evans – batterie
Dernier album :
Fly Paper (2008)

Tiles avait réussi, bien malgré lui, un joli tour de force : se faire oublier des amateurs de progressif en sortant un disque aux frontières du sommeil. Car si Window Dressing permettait à l’auditeur à plonger dans l’ennui le plus total, le dernier album du groupe de Detroit, Fly Paper, rectifie non sans mal le tir puisque les nombreuses subtilités qui l’ornent nécessitent un temps d’adaptation. Dès lors, Chris Herin, la tête pensante du groupe, se devait d’éclaircir votre lanterne, le tout avec le sourire et une extrême gentillesse.

Progressia : Trois ans sont passés depuis Window Dressing ! Pourquoi tout ce temps ?
Chris Herin :
Nous sommes dans une situation où nous pouvons hélas prendre notre temps entre deux disques, dans le sens où nous ne vivons pas de notre musique (sic). Nous avons bouclé Window Dressing en janvier 2004 mais il n’est sorti que six mois plus tard. Ces six mois m’ont permis d’écrire de nouveaux titres et de mettre en place des concerts pour 2005, c’est dire si l’on voit à très long terme (rires). A l’automne 2005 nous avons commencé à travailler sur ce qui allait devenir Fly Paper. Toutefois il y a eu une approche différente : pour Window Dressing, nous avions appris et mis en place toutes les titres d’un coup avant d’aller en studio. Cette fois-ci, nous avons travaillé sur deux titres à la fois, partions à Toronto pour enregistrer les démos et nous enchaînions sur deux autres morceaux. Cela peut paraître étonnant mais ça nous a permis de garder une certaine forme de fraîcheur et de spontanéité. Les enregistrements ont débuté en janvier 2006. Tout en gardant à l’esprit que nous avons des boulots à plein temps et que nous nous occupons de nos familles, nous avons réussi à garder une certaine constance dans notre rythme de croisière, malgré ces trois années passées avant que notre nouveau disque puisse enfin voir le jour. Il nous a fallu cinq ans pour donner un successeur à Presents of Mind mais certains paramètres échappaient à notre contrôle, ceci explique en partie cette longue période creuse et seuls les plus grands groupes de cette planète peuvent se permettre de prendre des pauses aussi longues. Je suis quelque peu réaliste : notre réseau de fans est très minime mais nous nous devons de leur donner quelque chose et ce, dans la mesure du possible, en prenant moins de temps qu’avec Window Dressing.

En tenant compte des paramètres que tu as évoqué, ce laps de temps de trois ans écoulés entre deux disques te parait-il raisonnable ?
Si nous pouvions faire plus vite, nous ne nous ferions pas prier. Nous ne sommes pas Rush et nous ne pouvons nous permettre de booker un studio pour six mois. Nous savons cependant nous concentrer sur nos titres quand il le faut. Je pense qu’une durée de deux ans entre chaque album serait plus raisonnable. J’aimerais à terme atteindre cette résolution. J’espère et je pense que le successeur de Fly Paper sortira plus rapidement et pour cause, nous avons un bon paquet de matériel inachevé équivalent à presque une heure de musique. Nous aurions pu sortir un double album.

Cet album marque également le retour de votre ancien batteur Mark Evans. Peux-tu revenir sur le départ de Pat De Leon ?
Pat n’était pas satisfait de la tournure que prenaient les choses au sein de Tiles. Il a rejoint le groupe en 2000, soit trois ans avant que nous commencions à plancher sur Window Dressing. Nous nous sommes séparés en très bons termes et sommes restés en contact. Pat est un type vraiment agréable. Mais quand il s’agissait de composer et de créer, nous avons senti une certaine forme de conflit. C’est un brin exagéré d’employer ce terme, mais il est devenu évident que nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes lui et moi. A la fin des sessions de Window Dressing, nous sommes tous tombés d’accord sur le fait que nous n’étions pas pleinement satisfaits. J’en ai discuté avec Jeff Whittle, notre bassiste, lui expliquant qu’il me serait difficile de continuer ainsi et le sentiment était équivoque chez Pat qui reste néanmoins un excellent batteur doublé d’un être humain charmant. Nous avons donc auditionné des batteurs parmi lesquels Mark car nous étions restés en contact. Il faut savoir que son départ, avant Presents of Mind, ne s’est pas fait de gaieté de cœur. Ses problèmes personnels ont changé sa perception des choses, notamment ce que représentait la vie dans un groupe. Mark était parti sans pour autant couper les ponts. Il s’est donc retrouvé en tête de liste. En dépit des très bons candidats au poste, quand nous avons rejoué ensemble, l’interaction était toujours présente. Il n’y a donc pas eu l’ombre d’un doute et on peut sentir son empreinte sur Fly Paper. La vérité c’est qu’entre Window Dressing et Fly Paper, c’est le jour et la nuit.

Musicalement, quelle fut l’approche utilisée pour ce nouvel album ? J’aurai tendance à dire que ce disque a été composé de manière acoustique…
De l’acoustique à l’électrique, c’est tout un traitement à effectuer. Tu peux prendre un titre d’Elton John joué par Iron Maiden, tu vas penser que sans piano, ça n’aura aucune saveur. Pourtant, une fois qu’ils branchent leur guitare et que Bruce Dickinson se met à chanter, l’histoire a beau ne pas être la même, elle tient néanmoins la route. Notre cas reste similaire. Passer d’un extrême à l’autre implique une « mise à jour » du son, si je puis dire.

Tu as toujours composé l’ensemble du répertoire, en dépit de quelques contributions de Jeff et Pat. Cela vous convient-il de travailler ainsi ?
En toute sincérité, je pense que cette manière de faire convient à tout le monde. Ce qui ne veut pas dire que je suis seul maître à bord au sein de Tiles. Lorsque j’ai pris des vacances entre Presents of Mind et Window Dressing, j’ai dit aux autres : « On se retrouve dans huit mois et on voit ce que chacun a fait question composition ». Au bout de cette durée, nada (rires). Cela étant, Jeff compose beaucoup et sa griffe est très présente sur le titre « Markers ». C’est un morceau en trois parties dont il a posé les bases. J’y ai apporté ma touche personnelle et c’est devenu ce que c’est. Idem pour « Landscape », j’ai amené le gros du morceau et Jeff a dit : « J’ai composé ça, écoute et dis-moi ce que tu en penses, voir si on peut l’intégrer ». Mark avait un plan de batterie très intéressant. Je compose énormément certes, mais je n’ai jamais imposé aux autres de jouer leurs parties telles que je les imagine. Ils sont bien meilleurs que moi sur leurs instruments, ils sont donc libres de faire ce qu’ils souhaitent.

Sans parler de concept, quel est le thème évoqué dans Fly Paper ? D’après ce que j’ai pu lire, il y est dressé un portrait de l’être humain et de la société en général.
(Réflechissant) C’était important pour nous de mettre au placard cette notion de concept. Window Dressing était un concept album : un morceau épique etc… un titre évocateur. Par ce biais, nous avions voulu dire : ce que tu vois n’est pas forcément que tu obtiens. Sur Fly Paper, un titre comme « Markers » parle des gens qui ne pensent qu’à l’avenir sans se préoccuper du présent. Je pourrais aussi parler de « Crowded Emptiness » et dire que, j’ai beau me balader dans Paris et ses rues bondées de personnes, je me sentirai quand même étrangement seul. Quand les chansons ont commencé à prendre forme, j’ai commencé à plancher sur le graphisme de l’album avec Hugh Syme et je lui ai expliqué les thèmes évoqués. Pour tout te dire, à l’époque, nous n’avions pas opter pour le titre Fly Paper, mais je lui avais expliqué que tout le monde sur cette planète essaie de s’en sortir du mieux qu’il peut. On a essayé d’éviter de tourner autour du désormais sempiternel sujet du onze septembre. (Silence)Bon d’accord, je conçois que ce thème est évoqué en filigrane (rires), il est vraiment survolé.

Le titre de l’album en lui-même a une double signification si l’on regarde de près le graphisme…
Absolument et c’est qui fait le génie de Hugh Syme et le plaisir de travailler avec lui. Il faut le connaître, s’il ne va pas dans une direction c’est pour une raison bien spécifique. Il est un peu bizarre mais quel artiste ne l’est pas ?

Parlons des invités présents sur Fly Paper. Outre Alannah Myles (NDLR : chanteuse connue en France grâce au mythique « Black Velvet »), on retrouve également et surtout Alex Lifeson et Hugh Syme. Raconte-nous la genèse de ces collaborations…
Il faut savoir qu’au-delà de la relation professionnelle, une notion d’amitié est née entre Hugh Syme et moi-même, grâce à notre amour immodéré pour le Elton John des années 70. Il a vaguement été question d’une collaboration musicale entre nous, mais rien n’est encore fait. Nous avons en commun des goûts et intérêts musicaux. Il joue sur « Crowded Emptiness » et sur titre bonus « Passing Note ». Il a enregistré ce dernier seul, aucun membre de Tiles ne joue sur ce titre : il n’y a que du piano et des orchestrations qu’il a pu mettre en boite juste avant d’envoyer les masters de l’album à InsideOut Music.

Quant à Alannah Myles, cela fait des siècles que nous n’avons plus de nouvelles d’elles…
Je te rassure elle va bien (rires). Alannah chante sur Back and Forth. Elle sort un nouveau disque qui est, selon moi, vraiment excellent. La rencontre s’est faite grâce à Terry Brown.

Je suis sûr que c’est également grâce à Terry Brown qu’Alex Lifeson figure sur votre disque…
Absolument, Alex joue sur « Sacred and Mundane » et pour tout dire, il rayonne ! Il y joue de la mandoline. Je n’ai malheureusement pas pu rencontrer Alex en studio, Terry était chez Alex à Toronto et ils ont passé toute la journée dans le studio de Lerxst. C’est un peu rageant mais cela reste un immense honneur qu’il ait apporter sa contribution, je ne ferai donc pas la fine bouche. Terry m’a tout de même appelé pour me faire entendre Alex via son téléphone portable ! Il aurait pu se contenter d’une heure en studio mais là, il a vraiment donné le meilleur qu’il pouvait donner pour ce titre.

Comment se déroule une collaboration avec Terry Brown ?
Une bonne tranche de rigolade entre deux tranches de sérieux ! On s’est bien amusés tout en restant concentrés. Nous avons quelques vidéos réalisées durant les sessions. Certaines sont assez sympa…Je ne savais pas si c’était possible de les mettre sur le disque…

Et bien rattrapez vous ! Faites-en profiter les fans : mettez les vidéos sur YouTube !
Tu as raison ! Je vais y réfléchir, d’autant que Terry se fiche royalement de se retrouver sur YouTube (NDLR : en revanche, le monsieur est suffisamment gonflé pour réclamer des royalties à Dream Theater pour avoir prêté sa voix sur Scenes From a Memory. Paradoxal ?). Hormis les délires en studio, cela reste une expérience extrêmement enrichissante pour nous. Terry Brown reste l’un des plus grands producteurs de rock progressif. Il n’a pas hésité pas a faire des coupes franches les cas échéants, par exemple sur « Dragons, Dreams znd Daring Deeds » : trois minutes trente en moins ! Il nous a raconté les liftings subis par certains titres de Rush, vous n’imaginez pas quel bazar c’était : des solos d’Alex longs à n’en plus finir, cinq minutes à enlever sur certains titres etc… Mais d’un point de vue auteur/compositeur, je suis un grand fan d’Elton John, Jethro Tull, Queen. Pour un groupe comme nous qui vivons dans l’ombre de Rush et qui cherchons à nous défaire de cette étiquette, la pire chose à faire c’était d’enregistrer avec Terry Brown et de faire appel à Hugh Syme pour le graphisme du livret (rires). Mais c’est la faute de Terry si nous nous sommes aujourd’hui acoquinés avec Hugh Syme.

Pourquoi lui rejeter la faute ?
Parce qu’à l’époque de Presents of Mind, Terry était tellement emballé par le disque qu’il nous a dit : « Cet album est très bon, il vous faut le livret qui va avec. Pourquoi ne pas contacter Hugh Syme ? ». Jamais nous n’aurions pensé à le contacter !

Il n’y a pas de titre épique sur Fly Paper… A qui ou quoi la faute ? A l’expérience que l’on peut aujourd’hui qualifier de malheureuse sur Window Dressing où vous aviez placé le titre éponyme en ouverture ? Ne peut-on pas dire que vous avez joué à quitte ou double sur ce coup-là ?
Effectivement cet essai n’est pas hors de cause et à quelque peu influé sur la suite des événements. Cela reste une figure imposée dans le rock progressif. « Reasonable Doubt » et « Checkerboards », sont les pavés respectifs de Presents of MInd, et de Fence The Clear. Ce sont également les titre qui clôturent l’album. Nous avions un contrôle musical total y compris sur des détails mineurs comme l’ordre des titres. Terry nous avait suggéré en tant que pavé et titre éponyme de le placer en ouverture. On s’est dit pourquoi pas. Et puis si les gens n’aiment pas, ils déclenchent le mode aléatoire et le disque passe dans l’ordre qu’ils souhaitent. Après coup et sans vouloir accabler Terry, je regrette ce choix. Je l’aurais mis en fin de disque bien que la démarche était intéressante. Malgré l’échec, elle nous a sorti de notre routine.

Quelles sont les premières réactions en regard à Fly Paper ?
Au moment où nous parlons, il n’y en a eu qu’une qui était plutôt positive. J’espère qu’elles continueront à l’être. Nous avons été traumatisés par les réponses à Window Dressing même si au final les notes tournaient autour de 6 7.5, 8 /10. Nous pensons que les gens n’ont peut-être pas assez écouté le disque pour l’apprécier pleinement. J’ai eu le même problème quand Operation : Mindcrime est sorti à l’époque. Il faut du temps pour apprécier un disque.

Quelle est la situation de la scène progressive aux Etats-Unis ?
Il y a quelques très bons groupes de la scène underground. Ils ne sont cependant pas signés. En tout cas, Detroit ne passe pas pour être une ville très active en la matière. Jeff a beaucoup de contacts avec d’autres musiciens venant de formations diverses, notamment quelques groupes de Chicago, dont j’ai oublié les noms, j’ai terriblement honte parce qu’ils sont extrêmement doués.

Comme beaucoup, Tiles possède sa page MySpace. Ce nouveau média de communication vous a-t-il servi à vous faire connaître davantage ?
Je ne mesure pas réellement l’impact de MySpace mais je suis persuadé que c’est un excellent moyen de promotion et de découverte d’autres groupes. A ce sujet, la tournée avec Dream Theater a un peu servi de miroir à deux visages : d’un coté tourner avec eux et pouvoir rencontrer Bruce Dickinson au concert de Paris. De l’autre coté, nous nous étions greffés un peu tard sur l’affiche donc les gens n’ont pas forcément eu ou pris le temps de nous connaître. De plus, Bruce Dickinson n’a pas été tendre avec nous et nous a dit de son propre aveu qu’il n’avait pas eu le sentiment de voir un groupe en ouverture de Dream Theater. C’est un peu dur à entendre mais il a eu la franchise de le dire. Je ne parle pas de nos pépins de matériel sur les premiers concerts de la tournée en Allemagne. Mais je ne me cherche pas d’excuses, nous gardons de bons souvenirs comme le prouve le CD bonus de Window Dressing, une petite cerise en plus sur le gâteau : du matériel live non retouché.

Vous avez participé au ROS Fest et au Cal Prog Fest il y a peu … Quel furent les retombées à votre encontre ?
Elles furent assez bonnes. En revanche, à moins de jouer très régulièrement, c’est assez dur de nous préparer pour un concert unique dans le sens où nous serions plus à l’aise sur une vraie tournée de trois semaines à peaufiner les titres soir après soir.

Une question rituelle dans nos colonnes : quels sont tes albums du moment ?
J’ai écouté tellement de disques récemment que j’en ai oublié les noms pour certains. J’ai néanmoins écouté le dernier disque de Silverchair Young Modern et je ne pense pas me tromper pour dire que ce disque est un vrai chef-d’œuvre. Chaque disque de Rush est l’objet d’une attente maladive chez moi et Snakes & Arrows ne déroge pas à la règle. Pour finir, j’aime beaucoup le dernier disque de Porcupine Tree.

Propos recueillis par Dan Tordjman

site web : http://www.tiles-music.com

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