Ange - Souffleurs de vers

Sorti le: 21/12/2007

Par Christophe Gigon

Label: Artdisto

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Voici enfin le dernier album de la « troupe à Décamps ». Dire qu’on l’attendait impatiemment relève de l’euphémisme. En effet, le père avait donné l’eau à la bouche en dévoilant, en totale exclusivité dans un entretien accordé à Progressia en juin dernier, les orientations générales de leur prochaine galette. Et l’attente en valait la peine ! Souffleurs de vers, même s’il n’égale pas les chefs-d’œuvre que sont Troisième étoile à gauche (1997) et La voiture à eau (1999), prouve que le groupe a encore beaucoup à dire, après deux dernières productions partiellement décevantes, qui n’auront pas convaincu le connaisseur de la pléthorique discographique angélique. Ce dernier album a donc su retrouver les qualités patentes des albums évoqués (compositions ambitieuses, mélodies recherchées et émotion manifeste), sans sombrer dans les travers crispants des deux dernières productions angéliques (Culinaire lingus et ?) : morceaux moins accrocheurs, ensemble hétérogène et un peu fourre-tout. Avec Souffleurs de vers, on retrouve un ange en grande forme, qui se sent (re)pousser des ailes.

Une petite dizaine de compositions variées et originales (et deux titres parlés, « Interlude » et « Souffleurs de vers (synopsis) »), même si le style reconnaissable entre mille de la formation belfortaine est bien présent : un rock progressif très anglo-saxon dans sa production (c’est un compliment, naturellement) qui sert d’écrin à la langue française, décidément toujours à la fête chez Ange. Elle lui en est d’ailleurs reconnaissante, endolorie qu’elle l’a été par la musique française dévolue aux variétés bassement commerciales. Ici, point de rimes consensuelles ni de métaphores creuses comme on en trouve à la louche chez les chanteurs venant se prostituer dans les diverses émissions indigentes des chaînes de télévision françaises. Lieux dans lesquels Ange n’est guère présent, heureusement pour sa crédibilité et son intégrité artistique, même si davantage de médiatisation permettrait à la troupe franc-comtoise de faire entendre au public que la musique qu’elle présente aujourd’hui est excessivement moderne, tant dans son fond que dans sa forme. On est bien loin d’un rock progressif vieillot, typé seventies, aux relents de naphtaline. Bien que quadragénaire, Ange ne sacrifie en rien à cette « nécromode » permettant à d’authentiques ancêtres, qui n’ont plus rien à dire depuis longtemps, de rameuter d’indécentes foules gargantuesques à leurs concerts surmédiatisés.

Ange est bien vivant et a de la matière fraîche à offrir au public. Qu’on se le dise. Le groupe est constitué de jeunes musiciens performants et énergiques (puisque seul Christian Décamps subsiste de la formation originelle, dite le premier Ange), qui n’ont rien à envier à leurs homologues anglais. La production, impeccable comme à l’accoutumée, sert à merveille les nouveaux morceaux de cet album, qui risque fort de devenir un classique. Le style angélique est toujours bien présent dans des titres comme « Tous les boomerangs du monde » ou le moment de bravoure qu’est l’épique « Souffleurs de vers » au synopsis fantastique à souhait que l’admirateur du groupe aura le plaisir de découvrir. Mais le groupe ne s’est pas contenté de proposer des recettes, certes onctueuses, mais connues. Il s’est intéressé à défricher des terrains restés vierges pour lui, comme le côté electro du magnifique « Les beaux restes » ou la rythmique « drum and bass » de « Dieu est un escroc ». Inutile de préciser que les musiciens et vocalistes de la formation sont plus au point que jamais (mention spéciale au jeu de guitare toujours ébouriffant de Hassan Hajdi, sur le solo bluesy à souhait de « Coupée en deux » chanté par Caroline Crozat).

Finalement, ce sera peut-être avec cet album que les nostalgiques du « premier Ange » rencontreront les inconditionnels du « nouvel Ange ». Certes, ce Souffleurs de vers n’est pas encore l’album définitif d’Ange, puisqu’on sent bien que le groupe en garde encore sous la manche. Mais c’est bon signe pour un groupe qui a sorti ses premiers enregistrements en 1970 !