Hugh Hopper - Numero D'Vol

Sorti le: 02/11/2007

Par Mathieu Carré

Label: Moonjune Records

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Certains grands hommes laissent des traces parfois bien singulières. Ainsi Hugh Hopper restera sans doute pour l’éternité dans nombre de mémoires, figé au beau milieu du révolutionnaire Third de Soft Machine, comme un adolescent attardé à l’accoutrement aléatoire, nonchalamment allongé sur un lit, les mains derrière la nuque, une balalaïka aux pieds. La sérénité et une certaine décontraction qui émanaient de cette photographie n’ont jamais quitté le bassiste, qui poursuit depuis son parcours, avec une grande intégrité, maintenant loin des feux de la rampe. Toujours prêt à se mesurer à d’autres univers, c’est au sein d’une stimulante formation qu’il revient avec cet étonnant Numero D’Vol.

Hugh Hopper n’a jamais été apprécié pour sa dextérité fantastique ou ses prouesses techniques. Au sein une décennie qui avait vu Stanley Clarke, Marcus Miller ou Jaco Pastorius mettre le feu à leurs quatre grosses cordes, il dessinait déjà une vision plus essentielle de son instrument, loin de tout exploit démonstratif. Trente ans plus tard, la démarche reste identique et Hopper creuse encore plus profond son sillon, oubliant les notes superflues et les digressions. Froids et squelettiques, ses courts motifs laissent un petit arrière goût métallique en bouche, une sensation de rigidité inquiétante, telle que peuvent parfois procurer Bauhaus, Joy Division ou le nu-jazz nordique plus récemment. Avec Charles Hayward – ancien membre de feu This Heat – à la batterie, Hopper trouve un acolyte de poids ; pressés par une même recherche de l’ascèse leurs échanges fusionnels en deviennent hypnotiques (« On The Spot »).
Malheureusement, cette homogénéité obscure laisse peu de place à Steve Franklin aux claviers et Simon Picard au saxophone. Le premier alterne salves synthétiques périmées – mais parfois efficaces – et passages aux sonorités proches du piano. Le second se fait dans l’ensemble assez lyrique, appliqué, et se permet quelques envolées efficaces (« Earwigs Enter »). Mais ensemble, ils laissent surtout l’impression de débarquer en monocycle sur la patinoire préparée par Hopper et Hayward. En conséquence, le moindre écart se transforme vite en exercice de funambulisme où la peur de la chute fascine plus que le numéro d’équilibriste, mais souvent sans réel plaisir (« Bootz »).

Au final, Numero D’Vol laisse perplexe, enthousiasme par moments mais ennuie aussi par d’autres. Très difficilement assimilable à d’autres musiques, tirant sa force comme sa faiblesse d’influences multiples et contradictoires, il prend place naturellement au sein de l’œuvre de Hugh Hopper qui, depuis plus de trente ans, cultive son image atypique, avec la même certitude tranquille qu’il dégageait déjà en 1970, allongé sur un lit, une balalaïka aux pieds.