Ganelin Trio Priority - Live at Vilnius 2005

Sorti le: 15/09/2007

Par Mathieu Carré

Label: Nemu Records

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Tout commence par quelques présages déconcertants. Alors que le concert débute, la lumière du jour inonde encore la salle du Lithuanian National Philharmony, la scène parait immense et le public, interdit, donne l’impression d’être arrivé par hasard. En découvrant les trois musiciens qui leur font face, on les comprendrait presque. Vyacheslav Ganelin (piano, synthétiseurs et percussions) mêle faux airs de professeur de maths mâtiné de Luis Rego, Klaus Kugel, batteur déjà entendu à son avantage au sein de Carnival Skin, tient du représentant de photocopieuses en déplacement et Petras Vysniaukas (saxophones alto et soprano), au physique imposant de mineur de fond coiffé à la Joseph Staline, ne transpire pas de charisme.

Sans préambule, Ganelin dessine un innocent fond sonore aux claviers, Kugel amène quelques discrètes touches percussives et le saxophone soprano entame une douce mélodie. Il y a du John Surman années 1980 dans l’air, tout se met en place, on arrête de bouger sur son fauteuil, il est presque vingt heures (dixit la montre de Vysniaukas)… encore un peu tôt pour faire fuir tout l’assistance avec du free-jazz.
Mais étant donné le pedigree des trois hommes, qui regarde plutôt du coté des musiques gentiment appelées improvisées, ce calme se devait de n’être que provisoire. Et c’est bien le cas : rapidement, la folie l’emporte. Cependant, lorsque les fauves se lâchent, il n’y a rien d’anarchique. Les moments énergiques (duels batterie / piano percussif à la Stravinsky) succèdent aux plages plus calmes (archets sur les cymbales et souffle sensuel dans les anches) sans que la cohérence n’en souffre. Cette musique respire, ces musiciens courent, crient, reprennent leur souffle sans perdre les autres de vue. L’ensemble est violent par instant, mais jamais bruyant ni confus.
Ganelin dicte la marche, alterne claviers, piano et percussions, ébauche les thèmes avant de les détruire méthodiquement, et Klaus Kugel le soutient avec brio, sachant s’éclipser ou prendre les choses en main quand il le décide, à la manière d’un Chris Cutler. Au sein de cette armada rythmique, les saxophones de Visniaukas, sensuels lors des phases d’accalmie, peinent à s’imposer dès que le volume sonore monte… Ceci jusqu’à ce que, décidant de se muer en éléphant en déroute, jouant une seule note en balançant telle une trompe son instrument, il signifie sans équivoque que l’assaut final pourra avoir lieu : tonnerre synthétique et sirène hurlante en avant, la performance s’achève avec la destruction de l’Etoile Noire sous LSD. Secoué par ce séisme, le public crie et jubile, et le rappel aura la sérénité de ceux qui ont accompli plus que leur devoir, avec un émouvant «  Homage to friends ».

La mise en valeur ultra minimale du DVD (aucun bonus, aucun livret, un lettrage de présentation des musiciens digne d’un film pornographique amateur) et une ambiance initiale plus que froide n’aidant pas à s’impliquer dans le concert ne devraient donc pas suffire à décourager les amateurs de musiques improvisées. De surcroît, la réalisation efficace et équilibrée rend hommage à la technique des trois hommes et à leur musique. Que l’on adhère ou pas à cet univers, le travail du label allemand Nemu Record, d’une intransigeance et d’une qualité toute germanique, reste salutaire, et de la survie de telles ambitions dépend aussi la diversité du paysage musical. On espère donc que cet essai ne restera pas sans suite.