Mekong Delta - Lurking Fear

Sorti le: 05/09/2007

Par Jean-Philippe Haas

Label: AFM Records

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Mekong Delta est un cas à part dans l’univers du thrash metal des années 80-90. Son statut de groupe culte doit autant au mystère qui a longtemps entouré ses membres qu’à ses choix artistiques. Affublés de pseudonymes, les musiciens de cette formation germanique (nombreux et souvent de passage) sont longtemps restés des inconnus pour le public. Pratiquant un thrash complexe, tantôt chanté, tantôt instrumental, qui le rapproche de la sphère progressive, Mekong Delta est également connu pour son amour de la musique classique russe et en particulier de Modeste Moussorgski, dont le groupe a adapté plusieurs œuvres, telles « Une nuit sur le mont chauve » (sur Dances of Death and other walking shadows, 1990) et « Les tableaux d’une exposition » (Pictures at an Exhibition, 1996).

De la formation originelle ne reste que le bassiste et principal compositeur, Ralph Hubert. Après dix années de silence discographique, si l’on excepte les rééditions, Lurking Fear reprend les choses là où Pictures at an Exhibition les avait laissées : un thrash qui fleure la fin des années quatre-vingt, rapide, incisif, technique et souvent efficace, mais dépourvu de réelle innovation. Ainsi, au fil de l’album, la déception s’installe car le groupe a dans l’ensemble gardé la même recette. Reconnaissable entre mille il y a quinze ans, la musique de Mekong Delta a perdu aujourd’hui son caractère original, malgré des titres parfois redoutables (« Defenders of the Faith » ou « Immortal Hate »).
C’est peut-être grâce à des compositions s’inspirant de la musique classique que Lurking Fear garde tout même un intérêt. « Allegro Furioso » et « Moderato » (où l’on peut déceler un gros clin d’œil à Star Wars) témoignent des ambitions de Ralph Hubert en la matière. Bien que certaines parties orchestrales sonnent de manière un peu trop synthétique, ces titres sont enlevés, furieux, dans un style qu’on pourrait qualifier de « thrash hollywoodien ».
Côté compositeurs, c’est cette fois Dimitri Chostakovitch qui passe au broyeur. Mekong Delta donne de l’allegro de sa Dixième symphonie une interprétation rythmée, menée de bout en bout et main de maître par une guitare virevoltante.

La production reste l’un des points faibles du groupe et n’a guère évolué depuis Dances of Death (dont la version remaster sonne bien mieux et plus puissamment que ce Lurking Fear !) et on regrettera un manque d’épaisseur des guitares au profit de la basse de Ralph Hubert. Des compositions à fort potentiel comme « Purification » ou « Rulers of Corruption » auraient mérité mieux que ce son fluet. Certains auront la nostalgie de la frappe de Jörg Michael (Stratovarius), plus variée (à l’époque, s’entend !) que le tapis de double pédale servi ici par Uli Kusch (ex-Helloween).
Tandis que la voix de l’américain Doug Lee évoluait dans un registre thrash, assez aigu, celle de Leo Szpigiel est davantage typée heavy metal. Et si le nouveau venu ne soutient pas la comparaison avec son prédécesseur, il s’en sort malgré tout honorablement, malgré une tessiture limitée. « Ratters » dénote d’ailleurs quelque peu du reste de l’album par une évidente inflexion vers le style heavy metal.

Reste que le retour de Mekong Delta est en soi une bien belle surprise, mais il est dommage qu’il se fasse en demi-teinte. Pour ceux dont la curiosité aurait cependant été éveillée, on ne saurait trop conseiller Dances of Death, qui reste une bien meilleure façon de découvrir ce groupe atypique.