Cynic – Cynic

ENTRETIEN : CYNIC

  Origine : Etats-Unis
Style : Metal progressif
Formé en : 1987
Composition :
Paul Masvidal – Chant, guitare
David Senescu – Guitare
Chris Kringel – Basse
Sean Reinert – Batterie
Dernier album : Focus (1993)

C’est à la sortie du bouillant concert parisien de Cynic que Paul Masvidal s’est entretenu avec Progressia sur le retour de cette légende du metal progressif. Coup de projecteur sur la plus improbable résurrection de l’année, le mythique Focus et les perspectives d’avenir du groupe.

Progressia : Commençons cette interview en 1987, aux débuts de Cynic. A l’époque, quelles étaient tes influences et tes objectifs en tant que musicien ?
Paul Masvidal (chant, guitare) :
Lorsque nous avons commencé, nous n’étions que des adolescents fans de metal, nous écoutions de la musique très extrême. Sean (Ndlr : Reinert, batterie) avait une sœur aînée, et moi un frère aîné, qui nous ont initié à la musique rock : Black Sabbath, Led Zeppelin, Peter Frampton et d’autres. Mais comme nous faisions partie de la génération suivante, nous nous sommes ensuite intéressés à des groupes plus extrêmes, comme Metallica ou Slayer, puis tous les groupes de death metal, comme le Kreator des débuts, Destruction, Death… Et de fil en aiguille, nous avons développé des amitiés au sein de cette scène musicale, nous avons commencé à jouer avec d’autres formations, à passer du temps ensemble dans notre hangar de répétition. Par un échange de cassettes audio avec nos démos, j’ai été amené à rencontrer Chuck (Ndlr : Schuldiner, de Death), à passer du temps avec lui. Il est devenu mon ami, avant même que nous ne commencions à travailler ensemble. A partir de là, notre objectif était net : être toujours plus extrême et intense. Mais lorsque nous avons commencé à prendre tout cela au sérieux et à devenir ambitieux, nous nous rendus compte que nous voulions d’abord être de bons musiciens, ce qui a changé notre état d’esprit. Quoi qu’il en soit, depuis le début, ce qui est toujours passé en premier, c’est la musique, une musique qui fasse sens d’un point de vue mélodique. C’est une sorte de vision qui n’a cessé de s’élargir, à mesure que nous sommes devenus de meilleurs musiciens.

L’enregistrement de Focus, votre unique album, a été retardé du fait de ta participation, ainsi que celle de Sean Reinert à l’enregistrement de Human de Death. Qu’as-tu appris auprès de Chuck Shuldiner, et pourquoi n’avez-vous pas continué à jouer dans ce groupe ?
Nous avons beaucoup appris : Chuck était plus vieux, et nous le considérions comme un musicien bien plus aguerri que nous, musicalement, mais aussi concernant le monde des affaires, la scène de l’époque, etc. Il faut bien comprendre que nous étions vraiment jeunes à l’époque : j’ai manqué mon examen de fin de lycée pour jouer avec Death sur la tournée sud-américaine de Leprosy ! Ce fut vraiment spécial d’être projeté dans une situation aussi intense, et d’être au cœur d’un groupe qui avait déjà un certain succès. Ce fut vraiment enrichissant, et Chuck a été comme un professeur pour nous. C’était quelqu’un de très sensible, entouré de gens corrompus, qui lui mentaient, qui le volaient, et il devait faire face à tout cela. L’observer nous a beaucoup appris… Appris également à prendre notre temps, à ne pas nous précipiter, à faire passer la musique en premier. Je suis sorti plus calme de cette observation du monde de la musique et du chaos qui l’entoure, et j’étais en quelque sorte protégé, car c’était sa musique – et non la mienne – qui était affectée par tout cela. Ce fut donc une sacrée expérience pour nous, de jeunes adolescents d’à peine vingt ans, et ce à tous les points de vues : musique, public, business…

Vous auriez dû enregistrer l’avant-dernier album de Death, Symbolic. Pourquoi cela ne s’est-il finalement pas fait ?
C’est assez simple : nous avons quitté Death pour nous occuper de notre propre groupe, Cynic, et de notre album, Focus, et j’étais vraiment accaparé par ce projet. Human nous avait demandé tant d’énergie et de temps, que nous n’étions pas en mesure de mettre à nouveau une année entière entre parenthèses. Pour ce dernier album, Chuck ne faisait par ailleurs que recruter des musiciens pour interpréter sa musique, alors que avions désormais la nôtre et une carrière à poursuivre : il était temps pour nous de nous y consacrer, et de persévérer.

A ton sens, est-ce que la très longue période durant laquelle Focus a été composé explique sa longévité et son statut d’album culte ?
Tout à fait. Je suis grand amateur de Maurice Ravel, qui était de ces artistes qui sont plus attachés à la qualité qu’à la quantité. Pour moi, il est bien plus important que chaque titre ait quelque chose de spécial, et que chaque élément qui le compose ait son importance, plutôt que de sortir des albums plus fréquemment, mais qui soient de simples recueils de morceaux. Est-ce que cette méthode requiert moins de travail ? Non, mais le résultat est meilleur, donc c’est la logique que nous avons adoptée. Nous avons beaucoup composé ces treize dernières années, mais notre travail n’est pas comparable à Cynic, qui a presque explosé entre nos mains. Tant d’énergie et d’intensité, une concentration de tous les instants… cela a finit par exploser ! Et nous n’en avons jamais reparlé. Ce fut un moment très spécial de nos vies, difficile parfois. Nous tournions avec Cannibal Corpse, et les gens nous jetaient des bouteilles. La scène death metal de l’époque était très extrême, et quasiment personne ne comprenait ce que nous faisions. Il n’y avait pas beaucoup de preuves d’amour, comme il y en a eu ce soir, de la part du public !

La richesse du disque semble aussi provenir de ta méthode de composition : on a l’impression que la musique de Cynic est une superposition de strates musicales…
Absolument ! Je suis fasciné par ces strates, ces couleurs dans la musique, et la manière de les combiner. C’est l’une des choses qui a rendu Scott Burns (Ndlr : le producteur de Cynic et de nombreux autres groupes de la scène de l’époque) complètement fou en studio ! « Mon dieu, encore une partie de guitare ! Et de claviers ! Ce n’est pas possible, vous ne pouvez pas faire ça » ! (rires). Mais pourtant, j’estime que nous avons vraiment enregistré ce qui devait l’être et que nous avons fait les bons choix ! Composer par sections, construire les arrangements, et obtenir un résultat qui permet d’écouter vingt fois le morceau et y découvrir quelque chose de nouveau, c’était vraiment notre objectif, et ce que je préfère dans la musique.

Au vu de la technicité et de la complexité instrumentale du disque, je me suis souvent demandé pourquoi vous n’aviez pas fait le choix de vous passer de chanteur, et surtout de chanteur death. La carrière du groupe et ses perspectives auprès d’un autre public auraient été sans doutes différentes, et peut être plus fructueuses…
C’est vrai, cela aurait pu être le cas. Mais en même temps, il y a clairement une face agressive dans notre musique, et j’étais – et suis toujours – très amateur de bons vocaux brutaux. Dès lors qu’ils font ressentir quelque chose, une énergie, une peine… Lorsque Tony (Ndlr Teegarden) hurle, on a l’impression que son cœur va sortir de sa cage thoracique, c’est vraiment très émotionnel, ce n’est pas brutal pour être brutal. Et l’une de nos idées-forces était de contrebalancer cet aspect brûlant avec des sonorités beaucoup plus froides, électroniques et atmosphériques, en retraitant les voix chantées. C’est vrai, avec cette deuxième facette seulement, le disque aurait sonné complètement différemment, mais il n’aurait pas eu cette énergie primitive, presque terrienne, de l’album. Ce contraste témoigne aussi de nos racines, et a son importance chez Cynic : « Arrggghhh » et « Ahhhh » (Ndlr : il imite un hurlement puis le chant clair – rires). Je faisais les « Arrgggghhh » avant, mais j’ai failli en perdre la voix : je n’étais pas fait pour chanter comme cela !

Parle-nous des expérimentations que tu effectuais à l’époque sur ta voix, technique habituelle pour les instruments mais plus originale pour les parties vocales…
Je ne sais plus vraiment comment cela m’est venu. Mais j’ai en tout cas passé beaucoup de temps sur cet aspect. J’ai commencé à enregistrer le disque avec ma voix naturelle, mais je savais que le disque devait sonner différemment, et j’ai commencé à expérimenter et à programmer des effets sur ma voix. Et, par hasard, en tâtonnant, j’ai fini par aboutir à cette voix irréelle, et je me suis dis « voilà, c’est ça ! ». Je me revois en train de le faire écouter aux autres membres du groupe. C’était parfaitement ce que nous recherchions : ça ne sonnait pas comme une voix humaine, mais plutôt comme un extra-terrestre qui ressentirait des émotions ! A la fois atmosphérique et spirituel, avec une tonalité presque universelle et aussi mélodique, ce qui était une qualité essentielle pour le groupe. Car les paroles aussi ont leur importance, et ne pouvaient pas seulement être véhiculées par des voix hurlées.

Qu’est-ce qui explique que « How Could I… » soit aussi plébiscité par les fans, et considéré comme LE titre de Cynic ?
Je ne sais pas ! Ca ne s’explique pas, et c’est bien cela, la musique : on ne sait pourquoi certaines personnes sont touchées, ou pas, par un morceau. Peut être que cela vient des paroles, sans doute les plus personnelles qui figurent sur l’album. Je les ai vraiment écrites du fond du cœur, ce ne sont pas des couplets ésotériques, comme pour les autres morceaux. Peut-être qu’elles ont plus parlé à notre public ?

Es-tu content de la version remasterisée de Focus, sortie il y a quelques années ?
Oui, bien sûr. En fait, Roadrunner comptait le ressortir tel qu’en 1993, et je leur ai dit que ce n’était pas possible. Mais comme ils ne voulaient pas investir d’argent, nous avons financé nous-même ce remaster, avec quelques parties remixées, et une nouvelle pochette avec un collage. Je crois qu’on est arrivé à un bel objet, qui prolonge bien l’album.

En 1994, le groupe s’arrête subitement : tu nous a dit que le groupe avait « explosé », mais y a-t-il des raisons plus factuelles expliquant la fin de Cynic ?
C’est un mélange de beaucoup de choses . Des aspects personnels, parce que nous voulions avancer, mais pas dans les mêmes directions, et parce que nos relations étaient très intenses. Nous étions vraiment comme une famille, nous vivions ensemble dans un entrepôt depuis des années, toujours ensemble. Des aspects professionnels aussi, avec une scène musicale chaotique, beaucoup de choses qui se passaient au niveau de notre label et de nos affaires, et qui nous ont frustrées. C’est une conjonction d’éléments. Mais nous n’avons jamais décidé, un jour précis, de nous séparer, c’est arrivé peu à peu…

Retrouves-tu l’héritage de Cynic dans la musique de certains groupes formant la génération suivante, tels que Spastik Inc. ou Spiral Architect ?
Oui, bien sûr, je retrouve notre influence chez ces groupes. Je les écoute et parfois je me dis « tiens, ça c’est une partie empruntée à Cynic ! ». C’est très gratifiant de savoir que d’autres artistes sont influencés par votre travail.

Juste après Cynic, certains membres se sont retrouvés dans le projet Portal, avec une chanteuse et une approche moins brutale. Est-ce que tu dirais que ce projet, qui n’a abouti qu’à une démo, est le chaînon manquant entre Cynic et ton projet pop actuel, Aeon Spoke ?
Absolument : Portal est en plein milieu de ces deux groupes. Nous voulions placer ce projet sur un autre label, plus important. Nous pensions en effet que Roadrunner ne serait pas intéressé, mais en même temps, ils ne nous ont pas libéré de notre obligation contractuelle à leur égard, donc rien n’est sorti. Encore un projet qui n’a pas abouti, puisque nous n’avons enregistré qu’une démo, et non un album. Une année, après Focus, qui n’a pas trouvé d’aboutissement studio, encore une fois pour des raisons personnelles et professionnelles !

Reste-t-il des traces inédites de ces périodes de Cynic et de Portal ?
Oui, beaucoup. Mais lorsque nous avons travaillé sur le remaster de Focus, nous avons ressorti toutes ces démos et compositions, et nous n’avons pas senti que cette musique était à la hauteur de l’album, ou du moins qu’elle était suffisamment finalisée pour être dévoilée au grand jour. Beaucoup de gens nous ont contacté pour sortir les démos, nous ont proposé de l’argent ; mais ce ne sont que des ébauches, et nous ne voulons publier que des œuvres achevées.

Venons-en à cette annonce surprise de votre reformation, il y a quelques mois…
C’est tout simplement incroyable ! Les réactions m’étonnent chaque jour… Et tout particulièrement ce soir, en France ! Nous devrions nous installer ici ! Il y a une vraie énergie communiquée jusqu’à la scène, sans doute parce que les Français, au même titre que les Espagnols ou les Italiens, sont passionnés par notre musique. Je suis vraiment étonné de tout cet amour et de ce respect pour notre musique. Je suis très reconnaissant pour tout cela.

En lisant ton blog de tournée, il me semble que ton état d’esprit par rapport à cette reformation évolue au fil de la tournée, et que son succès te convainc jour après jour que vous avez eu raison de faire renaître Cynic…
Exactement ! On dirait presque que le public nous nourrit et nous transmet cette énergie positive. Jouer en concert est un processus fonctionnant suivant les règles de la réciprocité, et toute cette nouvelle énergie nous inspire beaucoup. Avant même de débuter la tournée, j’étais tellement excité que j’en suis arrivé à composer un nouveau titre pour Cynic (Ndlr : « Evolutionary Sleeper », joué lors de la tournée). J’avais sous le bras un certain nombre d’idées, qui prenaient la forme d’un morceau presque achevé. Je me suis donc attelé à le terminer et à l’enrichir, avec l’aide de Sean, et nous nous sommes aperçus que le résultat final fonctionnait, parce qu’il s’inscrivait dans le répertoire du groupe… Tout cela avant d’avoir commencé le moindre concert ! C’est vraiment une excellente chose que de pouvoir proposer quelque chose de nouveau au public, plutôt que de n’interpréter que nos anciens titres, que notre public connaît bien. Et, arrivé à la fin de cette tournée, je me sens encore plus inspiré : je veux revenir chez moi et composer comme un fou, pour voir ce qui en ressortira !

Es-tu en train de nous annoncer qu’une reformation plus permanente pourrait naître de cette tournée ?
Oui, je le crois. C’est sûrement une question de temps, car il est hors de question de se précipiter. On attendra que tout soit prêt pour le faire. Mais je vais me mettre au travail très sérieusement et on verra ce qui se passera… Je veux aller de l’avant, proposer quelque chose de complètement différent, qui aille au-delà de Focus. Voilà le challenge : arriver à savoir ce que cet au-delà pourrait être !

Comment avez-vous préparé cette tournée de reformation ?
Nous n’avons eu que quelques semaines pour répéter. Sean et moi jouons ensemble depuis des années, mais il a fallu laisser Chris (Ndlr : Kringel, basse) et David (Ndlr : Senescu, guitare) travailler seuls de leur côté, avant qu’ils ne nous rejoignent à Los Angeles.
A ce moment précis, le Nouveau Casino se transforme en discothèque, interrompant la conversation et la question… avant de trouver refuge à l’entrée.
Nous voulions également ajouter des éléments d’improvisations à nos concerts, ce que nous n’avons pas pu faire ce soir, faute de répétitions, à cause d’un problème de transformateur et de problèmes techniques. Mais en même temps, c’est agréable de ne pas savoir ce qui va se passer : c’est notre côté jazz, cette volonté de laisser les choses se produire, de garder notre fraîcheur et faire de chaque concert quelque chose de légèrement différent.

En parlant d’effet de surprise, parle-nous de ce concours qui permet à un de vos fans de vous retrouver chaque soir pour chanter « Uroboric Forms » : comment avez-vous eu cette idée ?
Cela s’inscrit dans la démarche que j’évoquais juste avant. Nos fans nous ont attendu depuis si longtemps, depuis notre disparition, qu’il était sympathique de leur proposer également cette opportunité ! Et ce qui était une simple idée en l’air s’est avéré une excellente initiative ! De nombreuses personnes nous ont envoyé des démos avec leur chant, avec des résultats très différents, mais toujours très brutaux (rires) ! Pour Paris, c’est Brett (Ndlr : Calda-Lima) du groupe Kalisia qui nous a rejoint, et qui s’occupera d’ailleurs de notre son pour les prochains concerts de la tournée.

Qu’en est-il des sorties en DVD concernant Cynic : on parle de deux vidéos en cours d’élaboration…
Nous travaillons en effet sur deux projets distincts. Le premier est le Making Of Focus, car nous disposons d’enregistrements vidéo de chaque moment de la réalisation du disque en studio et même de la vie du groupe à l’époque, car Jason Gobel (Ndlr : le second guitariste d’origine) nous filmait sans cesse. L’autre DVD sera consacré à la tournée de reformation, et sortira a priori séparément.

Propos recueillis par Djul

site web : http://www.cynicalsphere.com

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