Dream Theater - Systematic Chaos

Sorti le: 09/06/2007

Par Julien Damotte

Label: Roadrunner Records

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Avant même d’écouter cet album, plusieurs signes préfiguraient un tournant dans la carrière du groupe. Outre le changement de label et d’ingénieur du son, le groupe avait bien fait comprendre qu’Octavarium marquait la fin d’une époque, fermait une boucle. Mais Systematic Chaos est-il vraiment le disque du changement, le début d’une nouvelle ère?

Une fois n’est pas coutume, le groupe, sûrement influencé par les pratiques de Roadrunner, a décidé de mettre un titre à disposition bien avant la sortie officielle de l’album. En l’occurrence, il s’agit du premier single (pour lequel le groupe a tourné un clip !) : « Constant Motion ». Cette « fuite » officielle ainsi que celle de « The Dark Eternal Night » ont dû déconcerter de nombreux fans, qui croyaient avoir affaire à une redite de Train Of Thought. En effet, si l’on se base sur ces deux morceaux, Dream Theater serait (re)devenu un simple groupe de metal, où le côté progressif ne serait présent que dans les passages techniques. A l’écoute de « Constant Motion », l’angoisse aura sûrement été la même qu’à la première écoute de « As I Am » : Dream Theater est-il devenu un coverband de Metallica ? Riffs tout droit sortis de Master Of Puppets et collés les uns aux autres sans réelle cohérence, chant à la Hetfield : tout laisse croire que le cauchemar vécu par certains n’est pas fini. Si l’on ajoute à cela, sur ces deux morceaux, un Portnoy de plus en plus présent au chant lead (ce dernier ayant autant de talent dans ce domaine qu’un fan imbibé d’alcool qui chante faux et fort dans l’oreille et empêche le voisinage de profiter pleinement de votre concert), il y avait fort à craindre quant à la teneur du reste de l’album. Heureusement, ces deux titres donnent un bien mauvais aperçu de Systematic Chaos qui est dans l’ensemble un album plus réussi et plus varié que ce que ces deux extraits laissaient penser.

Pour le fan comme pour celui qui n’y croit plus, Systematic Chaos contient de très bonnes surprises comme l’épique « In The Presence Of Enemies », réparti en deux pistes, au début et à la fin de l’album, par souci de « digestibilité ». Ce morceau aux accents « Rushiens » renoue avec l’univers mélancolique et envoûtant de Scenes From A Memory. Pour les amoureux de guitare, ce titre marque aussi le retour du Petrucci des années 90, bien plus inspiré, et ce constat est valable pour la majeure partie de l’album. Toujours dans le rayon des bonnes surprises, le huitième chapitre de la lutte contre l’alcool de Mike Portnoy (cette saga en contiendra douze), « Repentance » est, lui aussi, dans la veine d’un « This Dying Soul » revisité à la sauce « Home », et donc bien plus intéressant harmoniquement parlant. Sur ce titre, le sieur Portnoy a choisi d’inviter un certain nombre de ses collègues, non pas à chanter ou à jouer mais à … parler ! A vous d’essayer de reconnaître les voix de Neal Morse, Steven Wilson, Steve Vai, Joe Satriani, Corey Taylor (Slipknot), Mikael Akerfeldt, Jon Anderson, Daniel Gildenlow ou encore Steve Hogarth… qui sont là pour raconter leur propre expérience, en rapport avec le pardon et le repentir. Reste à savoir ce que cette liste impressionnante d’invités apporte réellement à cette chanson, si ce n’est de la longueur…

A l’écoute des titres restants, on a l’impression que Dream Theater s’est offert un lifting, comme pour marquer le passage à l’ère Roadrunner, avec un metal plus moderne et des influences piochées chez les groupes « qui plaisent aux jeunes ». Si « Prophets Of War » tire encore une fois vers un plagiat de Muse (en toutefois moins prononcé que le « Never Enough » d’Octavarium), c’est plutôt du côté d’Evanescence ou encore de Within Temptation qu’il va falloir se tourner pour cerner le tube en puissance qu’est « Forsaken ». La voix de Labrie, comme sur le reste de l’album, y est plus policée (allez, osons le terme, plus « commerciale ») et la production plus léchée. Ceux qui préfèrent la constance d’un Symphony X (qui risque fort d’enfoncer le clou avec son Paradise Lost) à la variété des derniers albums de Dream Theater risquent encore de crier au scandale, mais il faut avouer que « Forsaken » est une des réussites de l’album. Certains trouveront également dommage que certains titres du Théâtre du Rêve ne se résument plus qu’à des exercices de style, très réussis certes, mais où la touche « DT » se résume parfois au simple ajout de passages techniques. Quant au « raté » de l’album, le poussif « The Ministry Of Lost Souls » souffle le chaud et le froid en mêlant assez maladroitement passages « Floydiens » et influences plus metal. Un titre long et dispensable qui prendra peut-être plus d’ampleur en live.

En résumé, voilà un bon, voire très bon album de metal moderne aux accents progressifs, mais sûrement pas l’album que les fans attendent depuis Scenes From A Memory. La véritable question est : cet album viendra-t-il un jour ? Si la réponse est négative, il faudra se contenter des nombreuses élucubrations de Portnoy et Petrucci. Après s’être lancé le défi de faire un concept album (Scenes From A Memory), un double album contenant un titre de 42 minutes (Six Degrees Of Inner Turbulence), trois triple lives (dont un avec orchestre symphonique) aux setlists qui ne se recoupent pas, un album de pur metal (Train Of Thought), un autre rendant hommage à leurs influences (Octavarium) … nombreux sont ceux qui aimeraient que Dream Theater se lance le simple défi de faire un album de… Dream Theater.

A noter enfin que pour la première fois, cet album sort aussi en édition limitée avec un DVD bonus contenant l’album en 5.1 et un making of, le tout enveloppé dans un digipack au concept graphique complètement différent, et bien plus réussi que celui de l’édition simple. Gageons que le groupe – et Mike Portnoy en particulier – sauront profiter (et nous faire profiter) au maximum de cette nouvelle collaboration avec Roadrunner.