ENTRETIEN : ANGRA

 

Origine :Brésil
Style : Metal Progressif
Formé en : 1991
Line-up :
Edu Falaschi – chant
Kiko Loureiro – guitares
Rafael Bittencourt – guitares
Felipe Andreoli – basse
Aquiles Priester – batterie
Dernier Album :
Aurora Consurgens (2006)

Bon disons-le, le Brésil n’a pas été à la hauteur de sa réputation lors de la dernière Coupe du Monde de football. Mais à Paris, la Selecao d’Angra, formée de Kiko Loureiro et Edu Falaschi, était en pleine forme et enthousiaste pour nous présenter son nouveau trophée : Aurora Consurgens qui marque les 15 ans d’existence du groupe. Et à ce sujet, nous nous permettons de reprendre un slogan de circonstance utilisé dans le magazine papier au moment de la sortie de Rebirth : Happy Rebirth Day ! (merci à Martial Bricot pour sa collaboration).

Progressia : Il semblerait que le succès de Temple Of Shadows ne vous ait pas permis de chômer…
Edu Falaschi
: Tout à fait, il faut souligner que promouvoir ce disque en tournée était un véritable défi car l’album est très complexe donc peut-être difficile à apprivoiser. Mais le bilan est plus que positif et sans vouloir être prétentieux, beaucoup considèrent ce disque comme notre pierre angulaire. De plus, nous avons beaucoup appris lors de l’enregistrement de cet album. Je dirai qu’il nous a permis de nous élever à un échelon supérieur. Nous avons réussi à nous faire un nom dans certains pays grâce à ce disque. Comme tu le mentionnais, la tournée fut la plus longue que nous ayons faite à ce jour avec près de 120 concerts ce qui n’est pas rien, tu en conviendras. Beaucoup voulaient nous voir en concert et au Brésil nous avons donné une quinzaine de shows parce que la demande était grande dans tout le pays.

Allons, messieurs, corrigez le tir pour la prochaine tournée : vous avez fait quinze dates au Brésil et une seule pour Paris (Rires)
Kiko Loureiro : Mais vous n’êtes pas les seuls à n’avoir eu qu’une seule date ! Le monde est tellement grand et nous aimerions vraiment pouvoir donner plusieurs shows dans la même ville. Le Japon, le Venezuela sont hélas logés à la même enseigne que Paris. Le Brésil est d’un point de vue superficie un très grand pays, presque aussi grand le continent Européen. A Sao Paulo nous avons joué deux fois. Mais je dois avouer qu’il est facile pour nous de jouer « à domicile » tant les demandes sont grandes. Donc nous avons tourné, nous sommes venus jouer à Paris et nous sommes repartis. Nous pensions avoir des contacts avec des festivals, mais nous n’en n’avons pas eu hélas. Il y a deux ans nous avons joué au Raismesfest ; qui sait, l’an prochain si nous serons de nouveau sur l’affiche ?

Parlons d’Aurora Consurgens. Est-ce un concept ?
Ce n’est pas un concept à proprement parler, mais il y un fil conducteur qui tourne autour de la psychologie et des troubles de l’esprit humain. Nous sommes allés assez loin dans nos recherches puisque nous avons étudié Jung et Freud. Maintenant, comment cette idée nous est-elle apparue ? Nous discutons beaucoup des relations et des doutes existant entre êtres humains. Et nous avons voulu développer le coté technique et scientifique de manière plus pointue, notamment Rafael (Bittencourt) qui s’est littéralement plongé dedans.

Est-ce que cette « étude » vous a quelque peu changé à titre personnel et individuel ? Avez-vous senti un changement dans votre manière d’être, de penser ou d’écrire ?
C’est toujours bien d’en parler, ça veut dire que tu y penses. De même lorsque tu fais une recherche sur ce sujet, tu y penses forcément sinon tu ne ferais pas cette recherche. Ce qu’il y a de bien cette fois-ci, c’est qu’à mon avis, beaucoup de gens vont, à la lecture des paroles, faire eux-mêmes des recherches sur Saint Thomas d’Aquin ou sur Jung et toute la symbolique qui englobe le sujet sachant que beaucoup de personnes ont cette démarche : pour résoudre un problème, il faut d’abord savoir quel est ce problème et où il est.

Musicalement, Angra n’a jamais été aussi sombre et aussi heavy…
Les paroles sont venues après la musique. Le coté sombre et l’accent heavy sont venus naturellement. C’est une évolution naturelle, je serais tenté de dire que nous évoluons (ou essayons d’évoluer) de disque en disque. Mais il faut avouer que nous avons expérimenté pas mal de choses : nous avons utilisé des guitares 7 cordes, d’autres sous-accordées, des effets et des sons nouveaux… Edu a eu une approche plus agressive dans son chant. Je pense sincèrement que le résultat est à la hauteur de nos attentes. Nous voulions faire un album différent et je pense pouvoir dire : mission accomplie.

Edu, comme le mentionnait à l’instant Kiko, tu as une approche plus agressive et moins lyrique du chant sur Aurora Consurgens, te sens-tu plus à l’aise que par le passé ?
A vrai dire, non. Il n’y a pas de réelle différence dans la mesure où j’ai un registre vocal assez large donc passer du registre aigu au grave ne me pose pas réellement de problème. Pour cet album, j’ai voulu explorer, si je puis dire, « le côté obscur de la Force » (Rires) – en l’occurrence ma voix – en étant plus agressif. J’ai ressenti le besoin de ne pas faire quelque chose d’ultra-carré et de propre. J’ai eu plus de liberté, même quand je devais pousser des cris j’étais libre ! C’est appréciable d’avoir peu de contraintes.

Il est intéressant de voir la concision de vos titres. Certes par le passé certaines chansons étaient très courtes mais là, aucun titre n’atteint les huit minutes … Ce qui n’était pas le cas de Temple Of Shadows, qui est un album complexe, allant dans de multiples directions…Or là, le côté direct s’affiche haut et fort. Avec cette direction artistique, vous êtes-vous imposés une quelconque forme de restriction ?
Kiko
: (réfléchissant) Non, on ne peut pas vraiment dire que cela soit réellement prémédité. Néanmoins, les titres épiques ne représentent plus pour nous un challenge très excitant. Aujourd’hui, on a : couplet-refrain-couplet-refrain-solo-refrain. A partir de là, on a le choix : soit on continue et l’on rajoute une ambiance, un solo ou une outro et l’on développe tout cela, comme c’était le cas sur Temple Of Shadows. Aujourd’hui nous avons plus tendance à penser que quand la chanson est finie, elle est finie ! Et c’est ce que nous avons fait pour Aurora Consurgens. En dépit de cette « restriction de durée » tu constates que chaque titre a une section instrumentale donc il y a de la place ! Et certains riffs sont très directs et franchement durs à sortir de la tête. Quand ils y sont, ils y restent pour un bon moment.

Vous formez tous les trois avec Rafaël, le noyau compositeur d’Angra. Est-ce qu’il y a eu des changements, des contributions nouvelles pour cet album ?
Felipe a composé un titre : « Passing By » (NDDan : tout de même, ça n’est pas rien !). Edu compose et moi aussi, j’ai écrit trois textes pour ce disque. La principale nouveauté concerne le processus d’écriture. Cette fois, chaque titre est composé par une seule personne et non plus en binôme comme c’était le cas par le passé. Mais cela s’est fait naturellement : j’ai composé beaucoup de titres chez moi que j’ai présenté aux autres et leur choix s’est fait sur ces titres.

Quelle est la place des arrangements sur Aurora Consurgens ?
Les compositions étaient quasi finies quand nous les avons présentées aux autres. Nous avons fait nos démos chacun de notre côté sur ordinateur.

D’accord, mais prenons l’exemple de la batterie. Est-ce qu’Aquiles a eu la liberté de changer certains passages ou devait-il respecter à la croche près les démos ?
Quand nous programmons les batteries sur les démos, nous avons déjà une idée générale de l’ambiance du morceau En général Aquiles s’y tient, mais s’il veut enrichir ses parties avec un tour de passe-passe sur ses grosses caisses (Rires), ou inclure une tournure tribale ou casser le tempo, il est totalement libre…Des fois il lui arrive, au contraire, de rester fidèle à la démo. Mais je dirai que sa seule véritable contrainte est de rester fidèle à l’atmosphère générale du titre. Tu peux composer une ballade, mais si tu rajoutes de la double grosse caisse, ça devient tout sauf une balade… mais là, j’exagère à l’extrême. De plus, quand nous programmons les batteries, on sait ce qu’on va écrire pour lui. Ça fait cinq ans qu’on le connaît, on devine donc à 90% ce qu’il va faire sur ce qu’on a programmé et les 10% restant, il les enrichit avec ses tours de magie (Rires)! Mais en fait, on se prend la tête pour rien à tout programmer sur des boîtes à rythme ! Aquiles EST une boîte à rythmes (Rires) !

La production a été une nouvelle fois confiée à Dennis Ward, spécialiste du son metal à l’européenne (NdDan : rappelons que Ward a entre autres produit les albums de Vanden Plas, Adagio, Michael Kiske) tandis que le mastering est revenu à Mika Jussila (Nightwish, Sonata Arctica). N’avez-vous pas peur de perdre votre identité brésilienne qui fait votre particularité et votre charme ? Vous pourriez produire vous-mêmes vos albums après tout ?
Je comprends ta question. Nous avons toujours eu des producteurs européens. Mais tu sais, c’est le son et la production que nous souhaitons vraiment et Dennis Ward arrive parfaitement à nous comprendre.
Edu : Il y a une chose très importante : le groupe a toujours le dernier mot. Dennis est là pour nous aider à organiser les enregistrements, il nous aide pour les lignes de chant et à y voir plus clair de temps à autres mais cela ne nous empêche pas, quoi qu’il arrive, de garder la mainmise sur le projet. Il ne se l’approprie pas. Et son approche est vraiment intelligente car il sait où et quand il peut intervenir.
Kiko : En tant que compositeurs nous savons ce que nous voulons en termes de production, c’est évident. On sait comment nos disques doivent sonner. Dennis écoute nos titres qui sont achevés à 99%. Ses points d’intervention concernent plus des phases d’arrangements ou de mixage, des détails mineurs mais qui ont leur importance.

Quelle fût dès lors votre approche de la production cette fois-ci, hormis l’utilisation de guitares sous accordées ?
Oh, on s’est bien amusé avec ces nouveaux effets de guitares, il n’est pas improbable qu’on réitère l’expérience à l’avenir car ça a eu pour effet de rafraîchir le « son Angra ». Et attention il n’est pas question d’effets numériques générés par ordinateur ! On fait ça à l’ancienne avec le pédalier ! Quitte à danser la gigue sur scène pour changer de son (Rires)! Je dirais que cette fois, il y a bien moins de claviers. Nous souhaitions vraiment faire la part belle aux guitares !

Sur votre page myspace.com, « The Course Of Nature » est semble-t-il en téléchargement libre sur votre site… avez-vous déjà eu des retombées ?
Kiko
: Non, il n’est pas sur notre site. Et tu fais bien d’aborder ce point ! Car avant la sortie de l’album nous mettrons en ligne ce titre dans un package particulier, puisque chaque internaute pourra le télécharger ainsi que la pochette et le macaron du CD et pourra ainsi se faire son propre single.
Edu : Concernant les retombées, le Japon et la France sont parmi les premiers pays à avoir reçu l’album. Jusqu’ici nous n’avons que des commentaires positifs surtout ici en France. Il semblerait que les gens soient séduits par l’aspect moderne et plus direct du disque.

Etes-vous du genre à écouter des groupes lors de vos sessions studio, est-ce que vous écoutez de la musique quand vous composez ?
Kiko
: Quand nous sommes en studio, nous n’écoutons pas ou peu de musique. On en a tellement plein les oreilles qu’à la fin de la journée, quand on rentre à la maison, on pousse un gros Stop ! ! Pour ce qui est de la composition, personnellement je n’écoute pas de musique, je sais que c’est néanmoins courant chez beaucoup d’autres musiciens. Pour ma part, j’utilise ma connaissance et mes influences de toujours, rien d’autre. Mais il arrive que tu sois inspiré quand tu écoutes un morceau ou quand tu vas à un concert, peu importe que ce soit de la musique brésilienne traditionnelle ou du Slayer. Tu rentres chez toi avec le sentiment d’avoir pris une claque et là, au retour du concert, tu te sens inspiré à tel point que tu prends ta guitare et que tu joues. Cela peut venir aussi d’une émission TV parce que tu as entendu une mélodie ou une musique accrocheuse … peu importe. Ce n’est pas mon cas, mais Il n’y a que quand j’ai besoin de composer des arrangements pour claviers que j’écoute de la musique, classique en l’occurrence.

Avez-vous des tires supplémentaires enregistrés lors de ces sessions qui n’ont pas fini sur l’album ?
Kiko
: Non, il n’y a qu’un titre supplémentaire enregistré en bonus pour le Japon qui sera chanté par Rafaël (NdDan : il n’y en a que pour eux !)

Une question rituelle à Progressia : qu’écoutez-vous tous les deux, en ce moment ?
Edu
: Pour être honnête j’aime écouter Aurora Consurgens à très fortes doses. A part ça, en ce moment j’écoute beaucoup Nickelback et Coldplay.
Kiko : J’ai un lecteur mp3 comme le tien et j’ai tellement de trucs dessus que je suis capable de passer de la musique brésilienne à Pantera en passant par Nickelback (Rires). Ca dépend du moment ; dans un aéroport par exemple, j’écouterai quelque chose de plus calme mais dans l’avion ce n’est même pas en rêve car il y a trop de bruit et ce n’est pas l’endroit idéal. J’aime écouter des pianistes classiques de même que des guitaristes classiques.

Tu disais écouter de la musique classique pour travailler sur des parties de claviers… Quels sont tes compositeurs favoris ?
J’aime Beethoven, Debussy, Ravel et quelques « déjantés » comme Stravinsky ou Boulez. Mais j’écoute Boulez pour essayer de comprendre une musique difficile à assimiler. Je fais pareil avec Death pour pouvoir mieux comprendre les groupes de death metal. Je n’achèterai pas un de leur disque mais deux ou trois titres me suffisent pour me mettre dans le bain.

Qu’en est-il de la tournée ?
Patience, c’est pour février prochain. Nous souhaitons enregistrer un DVD lors de cette tournée pour commémorer le quinzième anniversaire du groupe.

Et pourquoi pas à Paris ?…
Edu
: Pour ma part j’adorerais !
Kiko : Ce serait chouette d’enregistrer à Paris, je me souviens bien sûr du Holy Live, c’était démentiel. Mais hélas, il n’est pas évident de choisir une date car il faut être en parfaite harmonie avec l’équipe de tournage, le réalisateur etc… donc oui, la France, mais bon : wait and see !

Messieurs terminons sur une note sportive et objective avec la Coupe du monde de Football : Qu’avez-vous pensé de France-Brésil ?
Kiko
: (dépité) Allez les Bleus ! (en français dans le texte) ! Plus sérieusement vous avez mérité de gagner le quart de finale, c’est indiscutable !
Edu : Vous deviez gagner la finale, c’est triste que ça se soit fini comme ça !
Kiko : Vous avez mis une belle fessée à l’Italie lors des éliminatoires, vous avez pris votre revanche et de belle manière ! (NdDan : n’empêche, ça n’enlèvera pas leur étoile, snif !)

Propos recueillis par Dan Tordjman

site web : http://www.angra.net

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