Devin Townsend – Devin Townsend

ENTRETIEN : DEVIN TOWNSEND

 

Origine : Canada
Style : Rock Progressif Hybride
Formé en : 1994
Line-up :
Devin Townsend – chant, guitare
Brian Waldwell – guitares
Mike Young – basse
Dave Young – claviers
Ryan Van Poederooyen – batterie
Dernier Album :
Accelerated Evolution (2003)
Synchestra (2005)

Ce n’est pas tous les jours que l’on discute avec Devin Townsend ! La sortie de Synchestra était l’occasion toute trouvée pour soumettre le génial Canadien à la question, d’autant que ce disque risque, comme certains de ses prédécesseurs, d’être sujet à d’intarissables controverses. C’est avec un Devin Townsend étonnamment calme, malgré une journée semble t-il bien remplie, que nous nous sommes entretenus. Suite à une erreur d’emploi du temps, l’interview a eu lieu à 22h30 au lieu des 19 heures prévues. Mais, comme pour se rattraper, notre ami s’est montré particulièrement loquace… Morceaux choisis ? Non ! Voici l’intégralité de l’entretien, avec en prime les questions des lecteurs soumises sur le forum !

Progressia : Revenons un instant sur Accelerated Evolution. Il semblerait que l’accueil réservé à ce disque ait été assez mitigé…
Devin Townsend
: J’ai remarqué quelque chose d’assez étonnant : lorsque je sors un album, tout le monde semble déçu et préfère le précédent. Ainsi, quand Accelerated Evolution est sorti, tout le monde me parlait de Terria et attendait un disque dans la continuité de celui-ci. La sortie de Synchestra est imminente et l’on me parle déjà d’une suite logique d’Accelerated Evolution. Je m’évertue pourtant à faire du mieux que je peux (Rires) ! Pour ma part je suis très satisfait d’Accelerated Evolution. J’aime à penser que chacun de mes disques est une entité singulière, a sa propre personnalité et est supposé représenter quelque chose d’unique et de différent des précédents. Accelerated Evolution devait sonner, être composé et présenté d’une certaine manière. A partir de là, j’ai le sentiment d’avoir accompli ma mission. Mon souhait le plus cher est que les fans l’acceptent, mais au bout du compte, si certaines personnes ont du mal avec ce disque, cela ne me gêne pas plus que ça.

Tu mentionnais le fait que chacun de tes disques était une entité à part, ce qui rejoint l’idée que tu as souvent exposée selon laquelle il y aurait une « couleur » générale associée à chacun de tes albums… Bleu pour Ocean Machine, blanc pour Infinity. Quelle serait celle de Synchestra ?
Je pense que la couleur globale de Synchestra correspondrait à celle d’une forêt tropicale, à mi-chemin entre le vert et le brun. Synchestra traite des dynamiques de la vie… le résultat de la rencontre de ces dynamiques est pour le moins chaotique et donnerait, en quelque sorte, une jungle de couleurs.

Peux-tu nous expliquer l’origine du nom de l’album ?
Le terme, en lui-même, n’existe pas. C’est un mot fictif qui résulte de la combinaison des mots « Synchronize » et « Orchestra ». Je l’envisage comme une métaphore pour résumer la vie et la manière dont elle est présente, qui me font penser à une sorte d’orchestre gigantesque.

Toujours dans ce même ordre d’idée, y a-t-il une quelconque symbolique derrière la couverture de l’album ? Synchestra est-il, au même titre que Terria, un album en relation avec la Terre ?
Sans aucun doute, mais l’approche n’est pas la même. J’ai ressenti le besoin de faire cet album après avoir terminé Alien avec Strapping Young Lad : il me fallait passer de quelque chose de surréaliste à un sujet plus « terrien ». Alien, tout comme Infinity, est un disque très froid… du coup, je voulais faire avec Synchestra un disque plus « chaleureux » et plus réaliste, tournant autour des notions d’espoir et de foi dans l’humanité. Je cherchais également à retrouver un environnement plus humain. Je pense y être arrivé.

Le titre « Gaïa » semble aborder le thème de l’écologie. Te sens-tu concerné par ce sujet, pour le moins important ?
Absolument, même si ce titre n’est pas à proprement parler une chanson « pro-écolo ». Disons simplement qu’elle donne une idée de ce que signifie le fait d’être humain aujourd’hui sur Terre et de ce qu’implique ce que nous faisons subir à la planète chaque jour en nous comportant comme nous le faisons.

Tu as l’air de prendre ce sujet très à cœur. Qu’est-ce qui t’inquiète le plus lorsque tu en parles ?
Je ne me considère pas vraiment comme quelqu’un d’« inquiet » à proprement parler. Il va se passer certaines choses sur la planète, on le sait, et l’important n’est pas de savoir si je suis inquiet ou non. Je ne suis pas fataliste non plus, mais c’est un fait, et je pense que ce qu’il nous reste de mieux à faire en tant qu’êtres humains est de se préparer à être confrontés à ces grands changements, peu importe leur nature. Quand tu as bu ou fumé et que par conséquent tu ne possèdes plus toute ton acuité, tu ne peux pas faire face aux événements de la même manière qu’en étant totalement sobre. Sur ce point, les dix dernières années de ma vie constituent un véritable foutoir ! Aujourd’hui, je suis à un stade de ma propre évolution où je peux prendre ce qui vient à bras le corps, sans avoir besoin de quoi que ce soit d’extérieur. Ainsi, en tant que personne, au niveau individuel, mon message est le suivant : s’occuper de soi avant de s’occuper de ce qu’il y a autour de soi, pour pouvoir, ensuite, être capable de se tourner vers l’extérieur.

Mais alors, comment comprendre le message que tu cherches à faire passer sur ce titre ?
Je pense qu’il faut se poser la question de savoir ce que ce genre de question sur l’environnement représente pour toi, en tant qu’individu, et non pas « comment je peux aider l’environnement ? En recyclant mes cannettes ou en n’utilisant plus de savon ? etc… ». La réflexion va au-delà de ces simples recettes de cuisine : que peux-tu faire à titre individuel pour t’ouvrir aux réalités de la vie ? A cet égard, les messages de Pepsi ou du Kentucky Fried Chicken ne sont pas des exemples à suivre (Rires) !

A l’inverse de la sonnette d’alarme qu’est « Gaïa », « The Baby Song » semble plus positif. Est-ce que la perspective de donner naissance à un enfant dans les années à venir te semble joyeuse ?
Je ne sais pas si « joyeuse » est le terme approprié… Je dirais plus qu’elle est « étrange ». J’ai trente-trois ans, mon épouse en a trente-six, il va donc bien falloir finir par se pencher sur le sujet, un jour ou l’autre. Sur Alien, j’ai abordé le sujet de l’enfance d’une manière assez négative, sur le titre « Possessions ». Synchestra étant l’antithèse d’Alien, « The Baby Song » entre par définition en contradiction avec « Possessions ». Mais aucune de ces approches n’est bonne ou mauvaise… C’est juste une question de perspective.

Quelle a été la place du graphisme de Synchestra dans ton esprit ?
Il touche vraiment à la Terre… c’en est fini des extra-terrestres. Il signifie également ce que représente pour toi le fait d’être humain, d’accepter tes fautes. Je crois que le graphisme repose en fait sur la notion de « garder les pieds sur terre ». J’en ai cette fois confié la réalisation à un français, Geoffrey Rousselot, qui est également en charge de mon site internet. Par le passé, j’ai collaboré avec Travis Smith, que j’ai découvert par le biais des travaux qu’il avait fait pour Opeth. Je juge notre collaboration très fructueuse et il n’est pas improbable que je fasse à nouveau appel à son talent par la suite.

Steve Vai est invité sur « Triumph »… Des années après ta participation à Sex And Religion, l’approche est-elle toujours la même ?
Absolument pas ! Synchestra peut-être perçu comme une synthèse des dix dernières années de ma vie. Après l’époque du Steve Vai Band, j’ai traversé un long trou noir. Aujourd’hui j’ai tourné la page et je considère m’en être sorti. Je souhaitais donc clore ce chapitre en invitant Steve sur un de mes titres. Il joue sur « Triumph ». Ce choix n’est pas anodin. Dans ma tête, il était prévu dès le départ qu’il joue sur cette chanson. C’est symbolique.

Hormis Steve Vai, y a-t-il un artiste avec lequel tu aimerais vraiment travailler ?
(Réfléchissant)… Non, pas vraiment. Tu sais, je suis le plus heureux du monde lorsque je fais ma propre musique. Si pour une raison ou une autre, je suis amené à collaborer avec quelqu’un d’autre et que la tournure prise me satisfait, je réitèrerai certainement l’expérience. Mais pour être honnête, je ne suis pas à la recherche de nouveaux talents, je suis content de la manière dont je travaille et, plus important, je suis content des gens avec lesquels je travaille. J‘ai pris part l’an dernier à l’album d’Ayreon, mais je dois t’avouer que je ne suis pas très friand de ce genre de collaboration. Ceci dit, j’y ai tout de même pris du plaisir : le titre sur lequel j’ai chanté était très bon, et j’ai enregistré mes parties en une semaine.

Comment t’organises-tu quand tu te mets à composer du nouveau matériel ? Est-ce que tu es du genre à te concentrer sur un projet particulier à un moment précis, ou à l’inverse enregistres-tu tout ce qui te passe par la tête, pêle-mêle ?
Il faut voir la question sous plusieurs angles. Quand l’inspiration me vient, j’écris. Mais je suis bien incapable de te dire quand « ça » vient, je fais de mon mieux, c’est tout. Je le vois ainsi.

Serais-tu tenté de composer une œuvre pour un orchestre symphonique ?
Pourquoi pas ? Ça pourrait être une expérience enrichissante. Mais je préfère qu’on me sollicite pour ce genre de projets, ça ne fait pas partie a priori de mes projets à venir. Toutefois, si la demande existe…

Tant que l’on touche, de loin, au monde de la musique classique en parlant d’orchestre symphonique… Est-ce que tu écoutes ce genre de musique ?
J’aime beaucoup Igor Stravinsky. J’apprécie également beaucoup de compositeurs de musiques de films comme John Williams ou Andrew Lloyd Weber, car ils arrivent à mettre en musique les émotions perceptibles à l’écran. Cela dit, je n’ai pas un esprit très tourné vers le classique. Je sais juste que j’aime certaines choses, mais ça s’arrête là, ça ne m’émeut pas outre mesure.

Il est question que tu fasses un album de musique « ambiante ». Info ou intox ?
Info. J’ai déjà sorti un premier disque dans cette veine, Devlab, disponible sur mon site. J’en suis extrêmement fier ! Je travaille désormais sur un deuxième album de ce style, qui devrait s’appeler The Hammer, et être basé sur de très basses fréquences. Le tout prend une bonne tournure actuellement et je suis très motivé par ce projet !

As-tu d’autres projets en cours ?
Concernant Strapping Young Lad, cinq titres sont en chantier, presque achevés. J’espère qu’on rentrera en studio en mars prochain. Je vais également partir en tournée d’ici deux mois avec le Devin Townsend Band aux Etats-Unis et en Europe.

Et tu dors quand même un peu, de temps en temps ?
Non (Rires) ! Je travaille tout le temps, et quand je ne travaille pas, je me dis : Devin, il faudrait que tu te mettes au boulot ! (Rires) !

Avant de passer aux questions des membres de notre forum, peux-tu nous dire quels sont les disques sur tu écoutes en ce moment ?
Catch 33 de Meshuggah, Ghost Reveries d’Opeth, Delirium Cordia de Fantomas, et j’aime beaucoup le dernier album de Mastodon, Leviathan.

As-tu une idée approximative du nombre de fans que tu as en France ?
200 (Rires) ? Sincèrement je ne me suis pas vraiment posé la question. Ecrire de la musique est la seule chose que je puisse faire, et je le fais du mieux que je peux. Si je me mets à penser aux fans, je risque d’écrire de la musique pour eux et non plus pour moi. Lorsque j’écris, je ne pense absolument pas au public… Ceci étant d’ailleurs dit avec le plus grand des respects, car sans ce public, je ne suis pas grand chose. Je fais juste de mon mieux et j’espère, avec l’inspiration présente à ce moment-là, que ça leur plaira.

Certains t’ont découvert grâce à ta version du classique de Rush « Natural Science » que l’on peut trouver sur l’album hommage Working Man
(Il coupe) Je me souviens effectivement de ce projet… puisque je me suis fait incendier de tous les cotés (Rires) ! De mémoire, beaucoup n’ont pas aimé ma version. Pour le public de Rush, ce groupe est parfois une véritable religion. Ma version étant différente de celle de Geddy Lee, ils ont pris cela comme un blasphème (Rires) ! Sérieusement, je crois que j’ai entendu tout ce que l’on peut dire de négatif sur un morceau de musique concernant cette reprise. On m’a même accusé d’avoir totalement démoli ce chef-d’œuvre ! Mais je m’en fous, je ne suis pas du genre conservateur. Je suis fan de Rush depuis toujours, mais quel est l’intérêt d’une reprise si on fait exactement la même chose que la version originale ? Si le but n’avait été d’enregistrer qu’une pâle copie, j’aurais refusé de prendre part au projet.

Ce que tu dis là est vraiment surprenant, car pour beaucoup, « Natural Science » est au contraire le sommet de l’album…
Ce disque a dû sortir il y a une dizaine d’années maintenant… Du coup, avec le recul, les avis ont peut-être changé. Tant mieux, ça me fait plaisir. Mais crois-moi, à la sortie de l’album, j’en ai vraiment pris plein la tête (Rires)!

Si l’église de Saint-Devin-Townsend venait à voir le jour dans l’avenir, y ferais-tu quelques apparitions divines à la messe ?
(Rires) Je ferais probablement quelques apparitions pour dire aux fidèles : « Hé, regardez, je suis un idiot, ne l’oubliez pas » ! (Rires)

Te sens-tu bien ces temps-ci (NdDan : allusion au titre « Sunshine & Happiness ») ou penses-tu que la peine et la tristesse stimulent davantage la créativité ?
Je pense qu’on a besoin de notre coté sombre. On a besoin de peine et de tristesse pour rehausser notre bonheur.

Tu as donné naissance à un son particulier, très typé, construit sur une accumulation de couches sonores, des mélanges de guitares et claviers, etc. Est-ce le résultat d’un travail de longue haleine sur la production ?
Absolument. Cette préoccupation est la mienne depuis que j’ai entendu Hysteria de Def Leppard. Je dois également beaucoup au son de guitare de Mattias Jabs (Scorpions) sur l’album Worldwide Live ainsi qu’à la chanteuse Enya, en-dehors de choses plus « habituelles » comme Metallica, Slayer ou Fear Factory. Tu m’as l’air surpris de ma réponse… mais c’est la stricte vérité (Rires) !

Le mot de la fin ?
Je souhaite à vos lecteurs une excellente année, et de faire face à la vie avec beaucoup de force et de certitudes. J’espère vous voir nombreux lors de notre prochain passage à Paris.



Propos recueillis par Dan Tordjman,
avec des questions de Julien Weyer.

site web : http://www.hevydevy.com

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