ENTRETIEN : NEMO

 

Origine : France
Style : rock progresif
Formé en :2000
Composition :
Jean-Pierre Louveton : chant, guitare
Guillaume Fontaine : claviers, choeurs
Lionel B. Guichard : basse
Jean-Baptiste Itier : batterie
Dernier album : Prélude à la Ruine (2004)


Réglé comme une horloge, Nemo livre à la même période de l’année et pour la troisième fois consécutive son nouvel album. Mais avec l’excellent Prélude A La Ruine, les efforts des Français pourraient être enfin être payants. Le groupe revient sur son nouveau-né et explique en détail sa conception.

Quel bilan dressez-vous de Présages ?
Jean-Baptiste Itier :
Pfffuuu… (rires)
Jean-Pierre Louveton : Cet album nous a valu la reconnaissance de tous les fanzines et webzines qui l’ont eu entre les mains, et de certains magazines nationaux. Nous n’avons à ce jour reçu aucune mauvaise critique de cet album. Certains ont même dit qu’il faisait partie des meilleures productions de ces cinq dernières années, mais cela n’a malheureusement pas suffit, et les ventes restent à ce jour très faibles. Musicalement je le trouve très réussi, même si avec le recul ressortent quelques imperfections de production, d’écriture et d’interprétation.

Vous n’avez eu aucun contact sérieux avec un label ?
JP :
Non, malheureusement. On pourrait aussi dire qu’on n’a eu aucun contact avec un label sérieux. Il faut dire que nous sommes difficiles, et que le jour où nous signerons sur un label, ce sera pour avoir mieux que ce que l’on a déjà, et ce sera sans concessions. J’ai bien peur que l’on ait du mal à trouver. Mais ce n’est pas une condition à la survie du groupe, étant donné qu’Internet nous apporte des outils assez efficaces pour nous vendre nous-mêmes.

Le bassiste Benoit Gaignon a quitté le groupe il n’y a pas très longtemps. Etait-ce pour des divergences musicales ?
JP :
On peut dire ça comme ça. Son style ne correspondait plus à celui de Nemo. Nous allons pouvoir explorer de nouveaux horizons avec Lionel.

Lionel, peux-tu te présenter brièvement à nos lecteurs ? Comment as-tu rejoint Nemo ?
Lionel B. Guichard :
Les personnes qui parcourent le site de Nemo peuvent m’apercevoir aux côtés de JP, dans ses toutes premières formations. Mais concernant Nemo, c’est après quelques années sabbatiques que ma cinq cordes m’a rappelé à l’ordre et quelle ne fut pas ma joie lorsque six mois plus tard, j’allais me hisser du statut de fan du groupe à celui de membre…

Quel est ton parcours musical ? Es-tu familier avec la musique progressive ? Quelles sont tes influences ?
LB :
J’ai fait quelques années de piano classique vers l’âge de six ans, mais ce n’est que dix ans plus tard, comme autodidacte aidé de quelques cours, que la basse quatre cordes est devenue ma raison d’être. C’est tout d’abord le heavy metal qui m’a attiré mais dans les années quatre-vingt j’ai pris une claque avec Yes et ses riffs, ses chœurs, et sa grosse section basse/batterie. J’ai joué dans le groupe Anesthesia, qui s’est fait les dents sur un répertoire alliant pour moitié reprises hard et compositions, puis dans Lazy Lizard, groupe privilégiant les compositions et les concerts. Quelques autres formations diverses : rock, reggae, pop… Puis dix années sabbatiques… Donc j’ai la ferme intention d’en découdre à présent. Je ne pense pas être étranger à la fibre progressive, même si je n’ai repris ma quête culturelle qu’il n’y a peu de temps. Voila seulement un an que j’ai découvert Spock’s Beard, Dream Theater, The Flower Kings…Mais pour ce qui est de mes influences musicales, avoir fait le vide toutes ces années me permet, je pense, de ne pas me reporter à un groupe ou un bassiste en particulier mais de distiller mes propres sensations venant d’un large paysage musical.

Parlons de Prélude A La Ruine. Tout comme l’a fait Marillion avec Marbles entre autres, vous avez utilisé le système de pré-commande. L’expérience a-t-elle été concluante financièrement ?
Guillaume Fontaine :
Le système de pré-commande est une obligation pour nous. Financièrement nous n’avons jamais eu les moyens de boucler nos budgets sans pré-réservations.
JP : Il n’y a pas tellement de rapports avec Marillion… L’apport des réservations pour Prélude à la Ruine a été d’un quart du budget à peu près. Avec leurs treize mille pré-commandes, les gars de Marillion ont dû financer leur album entier et plus…(NdRC : la pré-commande chez Marillion avait pour but affiché de financer la campagne marketing de Marbles)

Vous n’avez pas peur qu’avec ce système les acheteurs finissent par devenir plus exigeants, et ainsi exercer une pression artistique sur le groupe ?
G :
La pression artistique, on se la met tout seul, je ne vois pas qui pourrait nous la mettre plus !
JP : Les gens pré-commandent nos albums car ils nous font confiance. Ils aiment notre musique et je ne verrais pas l’intérêt de nous la faire changer ! C’est un choix personnel de réserver nos albums. Celui qui ne trouve plus son bonheur dans notre musique a le droit de ne plus investir.

A combien revient la production d’un album comme Prélude A La Ruine ?
JP :
Environ 3500 euros, mais avec le single on a dépassé les 4500 euros.

En complément de ce nouveau disque, vous avez effectivement sorti le titre  » Eve & Le génie Du Mal  » en single. Pourquoi ce choix ? Est-ce dans le but d’accrocher plus facilement les maisons de disque ou les radios ?
G : Sans parler de maisons de disques ou de radios, le but premier était d’attirer un nouveau public, plus large que le public rock prog pur…
JB : Je pense qu’  » Eve  » est un morceau abordable pour le plus grand nombre, bien qu’elle n’ait pas été composée dans ce sens.
JP : L’idée du single est venue après avoir composé ce titre, et s’est imposée comme une évidence. Ce n’est pas tous les jours que l’on compose des chansons assez simples et courtes pour figurer sur ce format ! Ce simple nous sert de CD promo.

JP, sur ce single figurent deux titres en anglais,  » Strawberry Fields Forever  » des Beatles et  » The Cyclop’s Eye « . Ce dernier fait-il partie des trois titres que vous aviez précédemment enregistré en anglais afin de démarcher à l’étranger, comme tu l’as évoqué dans notre précédent entretien ?
JP :
Oui. Il nous reste les versions anglaises de  » La Dernière Vague  » et  » Sur La tombe du Phénix « , qu’on ressortira peut-être un jour.

Comptez-vous enregistrer quelques titres de Prélude A La Ruine en anglais également ? Ou était-ce exceptionnel la dernière fois ?
JP :
Non, nous ne le referons pas, sauf si on nous le demande. A l’époque de Présages, nous voulions démarcher les labels étrangers, ce qui n’a pas fonctionné. Donc pas de remords : notre musique n’intéresse pas les labels, ni en français, ni en anglais. Je n’en ressens aucune tristesse, car les labels ont une logique commerciale qui guide leurs choix, et Nemo n’a pas prouvé qu’il pouvait être rentable. Le jour où on vendra deux mille exemplaires, je pense qu’on sera convoités. Mais nous n’aurons alors plus besoin de label. Je trouve ça amusant. Donc à mon sens, tout ça n’a rien à voir avec la musique.

Avez-vous repris  » Strawberry Fields Forever  » spécialement pour le single ? Où est-ce un titre que vous faisiez bien avant ?
G :
Nous l’avons spécialement montée pour le single, mais nous en avions eu l’idée depuis fort longtemps.

Comment s’est déroulée l’écriture de ce nouvel album ? Avez-vous conservé les mêmes méthodes que pour Présages ?
G :
Oui.
JB : Ca s’est passé comme ça devait se passer, nous n’avons n’a pas de recette pour faire du rock progressif, on fait juste de la musique.
JP : En effet, on a fait comme on a l’habitude de faire, c’est-à-dire travailler les idées de l’un ou de l’autre, ou des trucs trouvés en répétition. J’ai amené quelques morceaux tels  » O.G.R.E.  » ou  » Du Mauvais Côté « .  » Tous Les Chemins  » a été fait en répétition sur des idées de Guillaume.  » Cluster 84  » a été le mariage entre le rythme de JB et des riffs que j’avais trouvé de mon côté, etc.

Cet album prend comme toile de fond le début du XXe siècle et ne s’inspire plus vraiment de la fiction comme l’étaient vos deux précédents disques. Que raconte Prélude A La Ruine ? Quel est son thème général ?
JP :
Prélude A La Ruine parle de l’évolution du progrès au XXe siècle à travers la vie d’un homme né en 1904 et mort en 2004. De par son année de naissance, notre gars a vécu toutes les grandes avancées et toutes les grandes guerres. Chaque titre représente une époque, à la fois de sa vie, et du siècle.  » Les Temps Modernes  » parle de son enfance où ses livres d’écoles vantaient les promesses d’un progrès qui lui rendrait la vie plus facile.  » Du mauvais côté  » met en scène l’homme après sa mort, qui nous dit qu’on s’est trompé sur toute la ligne, car nous aurions dû tourner les recherches vers la lutte contre la mort plutôt que vers les armes de plus en plus meurtrières. Mais je ne vais pas tout décrire, on en aurait pour trois pages !

Les compositions de Prélude A La Ruine sont très instrumentales, et particulièrement travaillées. Etait-ce un choix de votre part de davantage miser sur le côté instrumental, ou cela s’est-il fait naturellement lors de l’écriture ?
JB :
Il y a une grosse partie de  » naturel  » dans notre façon de composer, bien que la recherche de sonorités et d’idées nouvelles nous importe beaucoup.
JP : Pour le côté instrumental, chacun le voit différemment sans doute, car nous avons eu à plusieurs reprises la réflexion inverse. Ce qui est sûr, c’est que les morceaux sont plus touffus, qu’il y a plus d’idées à la minute que sur nos albums précédents. Quant au fait que les compos soient plus travaillées, je suis de cet avis. Nous avons énormément progressé, et nous pouvons maintenant nous attarder un peu plus sur les détails, car nous mettons moins de temps à construire nos morceaux.

Vous avez également durci le ton sur cet album. Certains passages, par exemple sur le titre  » Tous Les Chemins « , sont typiquement metal. Est-ce quelque chose que vous comptez développer sur les prochains albums, ou est-ce seulement ponctuel ?
G :
On ne sait jamais de quoi demain sera fait. L’inspiration, sur un album ou un titre, ne se calcule pas et nous ne dressons jamais de plans sur la couleur éventuelle d’un album.
JP : Le hard-rock, comme beaucoup d’autres styles, fait partie de nos influences, mais il est impossible de dire si ce côté de notre musique ressortira plus ou moins sur le prochain album. On pourrait se dire :  » le metal a plus d’audience que le prog, composons donc plus metal « , mais ce n’est pas notre façon de procéder, et je pense que ça briderait notre créativité. De plus, les gens qui aiment Nemo n’aimeraient pas plus que nous ce cantonnement dans un genre. Notre musique est faite de mille ingrédients, et qui sait celui qui ressortira de nos prochaines compos ?
JB : J’ai quand même acheté une double-pédale.(rires)

Y’a-t-il un titre qui vous ait demandé davantage de travail que les autres ?
JB :
Non
JP : On a quand même eu du mal à venir à bout de  » Les Yeux Fermés « , mais c’est vrai que chaque titre nous a confronté à des difficultés différentes.

On trouve quelques judicieuses interventions de violon sur deux titres. Comptez-vous le réutiliser dans vos prochains morceaux, ou même élargir à d’autres instruments tel le marimba déjà présent sur  » Prélude A La Ruine  » ?
G :
On peut te faire la même réponse qu’à la question sur le côté metal. Qui sait ? JP : On fait ça sur le moment. Mais comme nous sommes friands de nouvelles sonorités, on peut miser sur le oui, sans doute. Mais j’insiste sur le côté non calculé : le violon sur  » Les Temps Modernes  » demandait vraiment à être là, mais comment le savoir avant de composer le titre ?

Justement, vous avez ajouté le violon seulement après avoir terminé la chanson, ou l’idée vous est venue pendant l’écriture ?
JP :
Après. Peu de temps avant d’entrer en studio en fait.

Présentez-nous rapidement les musiciens invités de cet album…
JP :
On ne présente plus Pascal Bertrand, qui tenait la batterie sur notre premier album. C’est un percussionniste classique et nous lui gardons une place sur chaque album. Joanna, qui tient le violon, est en fait l’amie de JB. Elle joue depuis des années, mais pour son plaisir, ainsi que le nôtre.

Guillaume, il me semble que lorsque tu as intégré Nemo, tu ne savais pas vraiment ce qu’était le progressif et le rôle que devait adopter un claviériste dans ce style. Mais sur cet album, ton jeu a évolué et tu as une approche plus typique d’un claviériste progressif justement. Qu’en penses-tu ? Crois-tu aujourd’hui avoir une meilleure idée du rôle d’un pianiste progressif ?
G :
J’ai développé une façon de jouer qui me semble proche de ma conception du claviériste de progressif. Il reste beaucoup à faire mais merci pour le compliment ! Mes influences y sont pour beaucoup. J’espère cependant ne pas développer de stéréotypes. En tout cas, je m’attacherai à ne pas m’enfermer.

Y’a-t-il des claviéristes de prog que tu admires en particulier ?
G :
J’aime beaucoup Jordan Rudess, Tomas Bodin ou Ryo Okumoto. Neal Morse aussi, pour sa capacité à faire tant de choses même temps.

Quel est votre titre favori de Prélude… ? Et pourquoi ?
LB :
 » Le Monde A L’envers « , car il regroupe toutes les facettes de Nemo.
G :  » Tous Les Chemins « , parce que c’est le premier qu’on a écrit et qu’il a donné le ton pour les autres.
JB :  » O.G.R.E.  » . Je trouve que le chant tient vraiment sa place dans ce titre.
JP : Je suis incapable de répondre, et ce pour la première fois de notre courte carrière.

L’enregistrement s’est-il déroulé de la même manière que Présages ?
JP :
Nous avons déjà eu plus de temps pour enregistrer. Deux semaines de studio, une semaine d’overdubs chez moi, et une semaine de mixage, ce qui au total représente en gros le double de temps que pour Présages. L’autre différence est que nous avons tout enregistré sur ordinateur alors que précédemment on travaillait sur des magnétos numériques à bandes. L’informatique offre énormément plus de possibilités lors du mixage. Nous procédons toujours de la même façon en studio. Nous choisissons un titre, et nous gardons la prise quand la partie de batterie est bonne. Ensuite nous réenregistrons la plupart des instruments séparément. Les soli sont gardés pour la fin, et la plupart ont été enregistrés chez moi, car nous avions épuisé notre temps de studio.

Lors de la composition, vous arrive-t-il de mettre de côté certains titres car pas assez bons ou cohérents avec le reste ?
JP :
Jamais. Quand on développe une idée, c’est qu’on l’a trouvée bonne dès le départ. C’est arrivé une fois pour le premier album, mais c’était parce qu’on n’avait pas eu le temps d’enregistrer le titre en question. Du coup, toutes les idées ont été recyclées dans Présages, Prélude…, et sans doute le suivant. Rien ne se perd.

Pouvez-vous nous expliquer la présence du poulpe que l’on retrouve sur la pochette ? Que signifie-t-il ?
G :
C’est l’oppression de la société sur l’individu. Les huit bras donnent et reprennent, ils te séduisent et te trompent.
JP : Sur la couverture le tatouage du gars symbolise la société qui nous marque et nous emprisonne tous, notamment par le besoin de confort que l’on a développé avec le progrès. Sur le CD, un homme essaie d’en soustraire un autre à l’emprise du poulpe en l’arrachant. Rigolo, non ?

Quels sont vos projets à venir ?
JP :
Nous préparons des concerts pour 2005, avec notre nouveau bassiste.

J’ai ouï dire qu’un concert en commun avec Saens et Lac Placide serait programmé en 2005. Vous avez du concret à ce sujet ?
JP :
C’est juste. Ce sera en avril et ça risque fort d’être une super soirée, de plus unique, qu’il ne faudra pas manquer. Mais il y aura plus d’infos très bientôt sur le forum de Progressia !

Etant donné que vous semblez avoir le rythme de sortir un album tous les ans, pensez-vous déjà à l’écriture du prochain disque ?
G :
On ne peut pas s’arrêter ! (rires)
JB : Les idées sont là, mais…
JP : On fait plus qu’y penser, étant donné qu’on a déjà écrit deux nouveaux titres plutôt longs. Mais de là à dire qu’il y aura un quatrième Nemo dans un an… Cela dépend trop des ventes de Prélude A La Ruine. Au stade où on en est, les premières ventes de l’album ont servi à payer les dettes contractées pour sa réalisation. Il faudra donc qu’on en vende encore autant pour avoir au moins une partie du budget du prochain. Tu vois ?

JP, tu prépares un nouvel album solo pour 2005. Peux-tu nous en dire plus ? Sera-t-il dans la lignée de Noir & Blanc ?
JP :
Oui, j’ai en effet composé une quarantaine de minutes de musique pour moi, ce qui représente à peu près les trois quart du prochain album. J’en suis à un point où je peux parler assez clairement de son contenu : il n’aura qu’un lointain lien de parenté avec mes deux albums précédents, et sera beaucoup plus proche de la musique de Nemo. Je vais inviter quelques amis, notamment notre ingénieur du son Olivier Soumaire qui est un excellent batteur, quelques guitaristes de ma connaissance et peut-être une ou deux chanteuses. Je pense qu’il sortira avant l’été, mais tout ça dépend aussi de l’argent…

Et pour finir, auriez-vous une anecdote amusante ou un bon souvenir concernant Nemo à nous raconter ?
JP :
Des bons souvenirs à chaque fois qu’on monte sur scène, c’est à dire trop rarement.
JB : Moi sur scène je casse toutes mes baguettes, comme cette fois où j’en ai cassé trois en un demi morceau !
G : Au Prog’Sud cette année, j’ai cassé huit touches du piano numérique du festival ! (NdG : Ces gens-là sont des sauvages !)
JB : Il y a aussi la fin du concert de Prog’sud, où Benoît a béni la foule, ce qui nous a valu de voir notre réputation de groupe chrétien renforcée. (rires)
JP : Ce qui, je le rappelle, est totalement faux !

Propos recueillis par Greg Filibert

site web : http://www.nemo-world.com

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