FOCUS : PROG-RESISTE

 

Origine : Belgique
Date de création du magazine : 1995


Prog-résiste est unanimement considéré comme l’un des meneurs de la presse progressive en francophonie et dans le monde, réputation que ses membres défendront début octobre lors de leur convention annuelle. Afin de présenter au mieux l’association, nous avons rencontré Gilles Arend, alias  » Dr. Prog « , l’un de ses géniteurs.

Prog-résiste est une association belge sans but lucratif ayant pour objet de promouvoir le rock progressif en Belgique, en francophonie et partout dans le monde. Prog-résiste édite trimestriellement un magazine de cent trente-deux pages et propose également son propre site internet.

1) Prog-résiste : késako ?

On retrouve à l’origine deux clients d’un magazin de musique namurois, le Music Emporium. Denis Petit (rédacteur en chef de Prog-résiste) et Benoît Delvaux fréquentent assidûment ce disquaire et achètent quasiment tout ce qui sort en matière de disques de progressif. Sachant qu’il existait déjà une presse spécialisée dans ce type de musique en France, les deux compères décident de lancer leur propre fanzine en Belgique, où rien n’existe encore. En septembre 1995, le numéro zéro de Prog-résiste voit le jour. Il est distribué dans une demi-douzaine de magasins de disques à Namur, et certains exemplaires arriveront même à Louvain-La-Neuve. L’un d’entre eux tombera dans les mains de Gilles Arend, un autre fan de progressif qui commande bon nombre d’albums rares chez son disquaire et qui souscrit un abonnement à divers fanzines progressifs de par le monde. Séduit par l’initiative, il contacte les membres fondateurs du magasine et décide de se lancer dans l’aventure. Petit à petit, le noyau rédactionnel grandit et compte alors cinq rédacteurs, évidemment bénévoles.

Le 17 janvier 1999, une petite révolution pointe. Marc Ysaye, animateur de radio reconnu et spécialisé dans le rock, possédant sa propre émission depuis près de vingt ans, décide d’inviter Denis Petit et Gilles Arend dans son émission Les classiques du dimanche matin sur Radio 21, la radio rock du service public belge. Surpris et charmé par la musique diffusée, il décide de poursuivre la collaboration. C’est la naissance de Prog-résiste radio, qui durera deux ans. Du côté du magasine papier, les abonnements triplent. Si le magasine comptait une petite trentaine d’abonnés lors de ses premières heures, il en compte cent cinquante avant que ne commence l’émission de radio. Sous le coup de celle-ci, les chiffres explosent : Prog-résiste compte alors cinq cent abonnés et recrute de nouveaux collaborateurs.

Malgré la fin de l’émission diffusée à large échelle sur Radio 21, le nombre de souscripteurs augmente encore et se stabilise à une moyenne de six cent cinquante, soit une bonne partie de l’audience  » progressive  » de Belgique. Actuellement, la publication tire à neuf cent exemplaires. Outre les six cent cinquante des abonnés, cent-cinquante sont vendus au numéro chez des disquaires (Music Room, Caroline Music ou même la Médiathèque de Seraing) et cent sont utilisés à des fins promotionnelles, envoyés à des groupes ou des labels.

Le lecteur-type : " Ce n’est pas forcément un intellectuel mais du moins quelqu’un qui a un certain niveau de vie, certaines qualités intellectuelles. "

Gilles Arend décrit ainsi le profil type de son lectorat, composé de " quadragénaires essentiellement, des gens nés au début des années soixante donc. A quarante ans, il est issu de la bourgeoisie, sans notion péjorative aucune, simplement issu d’une certaine classe moyenne plutôt aisée où l’on écoutait de la musique dans sa jeunesse. Il est cultivé, a lu beaucoup, s’est intéressé à l’art, à la peinture, des choses qui se retrouvent dans la musique progressive justement. Ce n’est pas forcément un intellectuel mais du moins quelqu’un qui a un certain niveau de vie, certaines qualités intellectuelles. Grâce aux musiques progressives, cette personne parvient à créer un univers parallèle à sa carrière professionnelle.
Ces gens ont des obligations familiales, professionnelles, ils ont réussi dans la vie et via les musiques progressives, ont d’autres aspirations que le classique métro-boulot-dodo. Au sein de notre équipe, quasiment une personne sur deux est informaticienne. Nous comptons aussi des pharmaciens, des professeurs de physique, des instituteurs.
« 

Depuis sa création, différentes étapes ont jalonné le parcours du magazine : « La première phase était vraiment celle du bricolage artisanal. La deuxième, celle du passage à l’association de fait. C’est à ce moment que l’on a vraiment commencé à se réunir sérieusement, où l’on a commencé à distribuer les disques que l’on recevait aux différents rédacteurs.
L’étape suivante a été l’organisation sous forme d’ASBL (
NdRC : Association Sans But Lucratif, l’équivalent de la Loi 1901 en France) afin d’obtenir un statut officiel, étant donné que l’on commençait à gagner de l’argent que l’on réutilisait pour tirer plus d’exemplaires mais également pour le passage en offset. Il fait savoir que nous sommes passés de la photocopieuse à nos propres imprimantes puis à la quadrichromie et l’offset. Actuellement nous avons le dos [de la revue, NdRC] collé, un certain professionnalisme. Nous sommes actuellement arrivés à une nouvelle étape, celle de l’éclatement en différentes cellules. Nous sommes pour le moment douze dans Prog-résiste, mais ces douze personnes n’ont pas la même implication. Il y a des éléments moteurs qui travaillent beaucoup, qui ont vraiment envie de s’investir et puis ceux qui ont moins de temps. Dans un objectif d’efficacité, on réorganise tout avec des adresses postales et électroniques différentes pour la trésorerie, le secrétariat, les abonnements, le marketing, la promotion. Actuellement nous faisons des réunions de rédaction deux fois par trimestre afin de préparer nos numéros « .

" la forme est magazine mais le fond est fanzine "

Une interrogation persiste, faut-il considérer Prog-résiste comme un magazine ou comme un fanzine ?  » Je me suis souvent posé la question. Le terme fanzine reste toujours connoté négativement : mal imprimé, pas professionnel… or je trouve qu’au fil des années, on est devenu de plus en plus professionnels. Même si on le prend à la rigolade et que l’on fait ça de manière très décontractée, on a des échéances à respecter et on considère cela comme quelque chose de très sérieux. Mais d’un autre côté, dans le ton de l’écriture on ressemble plus à un fanzine. Donc, finalement, la forme est magazine mais le fond est fanzine, on parle de nous à la première personne, comme un fan qui parle à un fan, parfois on tutoie même le lecteur, c’est ça l’esprit fanzine.  »

2) Que trouve-t-on dans Prog-résiste ?

Le magazine repose sur une maquette plutôt stable, divisée en deux grandes parties : l’une plutôt orientée rédactionnel (articles, interviews,…), l’autre étant dédiée aux chroniques de disques. Chaque numéro ayant un thème bien précis, celui-ci est traité en profondeur. Ainsi, le numéro trente-quatre contient par exemple un dossier spécial consacré à Steve Hackett.

On retrouve bien sûr d’autres rubriques au sein de cette partie rédactionnelle.
 » L’encyclopédie médicinale du Dr Prog « , qui figure en 2éme de couverture, revient sur un artiste du passé qui mériterait d’être redécouvert. Le Dr Prog (Gilles Arend) donne un descriptif aussi parlant que possible de la musique du groupe, tout en revenant sur sa carrière, ses particularités et sa discographie.  » Le divan du Dr Prog  » consiste en l’analyse d’un fait d’actualité, le Dr Prog y apportant ses éclairages sur la question, avec un ton très personnel. Les pages  » Es Quwès  » contiennent des interviews d’artistes, alors que celles consacrées au Spirit of 66 (salle de concert Verviétoise) rendent compte des concerts qui s’y sont déroulés les trois deniers mois. La rubrique  » WéWéWé  » traite sur une page un site Internet qui pourrait être consulté avec intérêt, et en fin de magazine se trouvent les brèves de l’actualité progressive ( » Quoi de neuf, Docteur Prog ? « ). Elles sont divisées en plusieurs parties :  » Jurassic Prog  » aborde l’actualité des dinosaures de la scène progressive,  » Vol au-dessus d’un nid de prog  » traite de l’actualité des groupes contemporains actifs alors que  » Les petites maisons dans le prog  » aborde les derniers événement importants s’étant déroulés au sein des principales maisons de disques du genre. Pour clore cette rubrique,  » Si le prog m’était conté  » rassemble des livres, fanzines, radios et festivals traitant du sujet favori des lecteurs de Prog-résiste. Enfin, « The prog must go on  » propose un agenda des concerts ayant lieu en Belgique, en Hollande, en Angleterre, en France mais aussi au Canada.

La deuxième partie de Prog-résiste, consacrée aux chroniques de disques se divise en plusieurs rubriques. Au sein de celles-ci, certains disques ont droit à un traitement de faveur : ainsi, ceux que la rédaction considère comme indispensables, faisant partie de son  » top vingt  » pour les trois derniers mois ont droit à une chronique s’étalant sur une page entière. Première rubrique figurant au sein des chroniques :  » Progresix chez les Goths « , consacrée aux disques gothiques et sombres à tendance progressive, entre cinq et dix disques en moyenne par numéro.  » Full Metal Market  » présente des albums de metal progressif ou à tendance progressive, soit une quinzaine par numéro.  » L’actu prog  » reprend tout ce qui rentre sous l’appellation générique de progressif et constitue donc le gros de la partie chroniques du magasine, entre soixante-dix et quatre-vingt disques. Un peu à part puisque en marge de l’actualité musicale,  » Du neuf avec des vieux  » parle d’albums passés presque inaperçus à leur époque mais qui méritent que l’on s’y intéresse de nouveau. Enfin,  » La moulinette  » traite de groupes qui se rapprochent du progressif mais sans en faire partie, l’oeuvre en question étant rapidement présentée au sein d’un texte court, mis en marge d’une autre rubrique.

3) Qui a sa place dans Prog-résiste ?

Le but des chroniques est de donner une impression générale, un instantané de ce que contient le disque, si possible en le comparant avec une référence connue. À cet égard, les rédacteurs sont totalement libres de s’exprimer, d’inclure leur personnalité dans leur travail. Tous les disques sont notés entre zéro et cinq et, pour l’instant, l’équipe chronique tous les disques qu’elle reçoit, même les plus amateurs et mal enregistrés. La colonne  » moulinette  » est d’ailleurs consacrée à des artistes qui n’ont pas ou peu de rapport avec les musiques progressives mais dont le magasine décide de parler, marquant ainsi sa volonté d’ouverture. Prog-résiste traite donc désormais toutes les musiques progressives… et plus encore. « Je pense que l’on couvre désormais le spectre plus large des  » musiques progressives  » davantage que celui plus restreint du  » rock progressif « . D’ailleurs, quand je me présente à un label, je dis que l’on parle des musiques progressives et, c’est de plus en plus le cas, notre spectre musical s’est beaucoup agrandi ces dernières années, on couvre un peu toutes les musiques non commerciales.  »

Gilles Arend considère que les musiques progressives sont bel et bien accessibles à tous, du moment que l’on a l’envie, la passion et la patience de les découvrir. «  On peut s’intéresser à tout et devenir spécialiste en tout, il suffit d’y mettre le coeur, l’envie et le courage. Ce qui est assez dommage, c’est que beaucoup de gens ne prennent même plus la musique comme un art car les majors du disque font tout pour en faire un produit de grande consommation. Certains disques sont même utilisés comme produits d’appel chez Carrefour… Ce n’est pas comme cela que l’on traite la musique, surtout pas chez Prog-résiste. La musique, c’est de l’art avant tout, et il faut une démarche personnelle pour aller à sa rencontre, se bouger un peu, comme se déplacer pour aller admirer une exposition de peinture. Il ne faut pas attendre que la télévision nous dicte l’artiste que l’on doit écouter. En tout cas avec le progressif, ça ne fonctionne pas comme ça.  »

4) Où l’on apprend comment Prog-résiste voit le progressif…

La définition du courant par son rédacteur en chef passe par quelques groupes : pour son aspect émotionnel, classique et symphonique, il considère Genesis comme l’ultime représentant du style. Un deuxième groupe marquant reste Yes, en raison de la technicité plus apparente de leurs morceaux, mais aussi King Crimson  » qui a inventé le rock progressif et resté progressif tout au long de sa carrière  » (In The Court Of the Crimson King, 1969) malgré le fait qu’il jouisse de beaucoup moins de reconnaissance que les groupes précités.
Ces formations se situent au moment de la période phare du genre (70-75), la seconde moitié des années soixante-dix ayant été plus stationnaire avant le plongeon dans l’oubli des années quatre-vingt, véritable période noire.
Le retour se produit au début des années quatre-vingt-dix avec l’avènement d’Internet et la croissance des échanges d’informations, la découverte et redécouverte de bon nombre de groupes, preuve que la scène progressive existait bel et bien, malgré une absence complète de médiatisation.

Gilles Arend estime que l’avenir des musiques progressives passe aujourd’hui par Dream Theater, estimant qu’il faut quelque chose de moderne, de plus jeune et accrocheur. De plus, le metal progressif garde quelque chose de plus rock, plus simple, accessible et écoutable que les autres courants au sein du prog.

" Ce style n’a pas d’avenir commercial "

«  Ce qui est bien avec ce groupe assez populaire, c’est qu’il fait parler du progressif à travers sa large audience, l’affluence à ses concerts et sa relative présence médiatique. Cela ne peut qu’avoir des retombées positives pour le reste du courant. Dans une moindre mesure, des groupes comme les Flower Kings, Spock’s Beard et Porcupine Tree commencent à faire également parler d’eux, les deux derniers ont d’ailleurs fait la première partie de Dream Theater à un moment ou à un autre de leur carrière. Il est relativement dommage de se dire que des groupes aussi géniaux que After Crying ou bien A.C.T ne connaîtront jamais une renommée, un avenir aussi énorme, car l’avenir du progressif en tant que tel, il est là ! Malheureusement, cette musique est trop complexe pour le grand public et c’est là que le problème se situe. Ce style n’a pas d’avenir commercial et il me semble assez clair qu’il restera underground. De toute façon, les musiciens de progressif se satisfont de peu, le simple fait de savoir qu’ils ont une poignée de fans de par le monde leur donne l’envie de continuer à s’exprimer.  »

Julien Van Espen

site web : http://www.progresiste.com/fr/

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