Arjen Anthony Lucassen – Arjen Anthony Lucassen

ENTRETIEN : AYREON

Origine : Pays-Bas
Style : « Opéras » progressifs
Formé en : 1995
Composition :
Arjen Anthony Lucassen – chant, guitare, basse, claviers
Ed Warby – batterie
Dernier album : The Human Equation (2004)


Alors que The Human Equation, nouvelle livraison du multi-instrumentiste Arjen Anthony Lucassen sous le nom d’Ayreon, a récemment fait son apparition chez les disquaires, un entretien téléphonique avec le Hollandais géant s’imposait, pour tenter d’en savoir plus sur ce projet ambitieux.

Progressia : Commençons par revenir un peu en arrière… avec le recul, quels enseignements tires-tu de ton « expérience » metal avec le projet Star One ?
Arjen A. Lucassen : Star One a été un véritable succès, auquel je ne m’attendais honnêtement pas du tout. Pour moi, ça n’était qu’un side-project, une sorte de réaction. J’avais passé six mois dans le domaine de l’atmosphérique, avec Ambeon, et j’avais envie de quelque chose avec de grosses guitares, qui soit vraiment en contraste, mais je ne savais pas du tout à quoi cela ressemblerait. Au départ, il s’agissait d’un projet avec Bruce Dickinson seul, comme tu le sais sans doute, ce qui ne s’est pas fait, car son manager l’a refusé. Du coup, j’ai repris mes compositions, et j’ai voulu en faire un disque chanté par Russel Allen, de Symphony X. Puis finalement, j’ai eu envie d’y inclure tant d’autres chanteurs qu’il a pris la forme que vous connaissez tous, et Star One est devenu quelque chose d’énorme. Le principe est le même que celui d’Ayreon, en fin de compte, mais les compositions étaient trop heavy pour sortir sous ce nom. Star One a reçu un tel succès que nous sommes partis en tournée, ce qui était plus facile qu’avec Ayreon, étant donné qu’il y a moins de chanteurs sur le disque. Malheureusement, peut-être le sais-tu, nous n’avons pas pu jouer en France…

Et comment ! C’est pour ça que Progressia s’est déplacé en Belgique ! (rires) Enfin… Toujours en termes de rétrospectives… penses-tu aujourd’hui que le fait de séparer The Universal Migrator en deux albums, l’un metal, l’autre atmosphérique, était une bonne idée ? Pourquoi es-tu revenu aujoud’hui à une formule mêlant toutes ces tendances, à la manière d’un Into The Electric Castle ?
Très honnêtement, avec le recul, je ne suis pas persuadé que cette division ait été une si bonne idée que cela… Je tenais absolument à faire quelque chose de nouveau, que je n’avais pas encore abordé. Le premier album d’Ayreon était plutôt old school, le deuxième sonnait au contraire de manière très moderne, le troisième était un véritable opéra, avec énormément de chanteurs, etc. Je voulais aborder les choses sous un autre angle, et j’en suis venu à cette idée de séparer nettement les styles. Mais en fait, une partie de mon public a été un peu déçue par cette nouvelle orientation : je crois que ce qu’ils appréciaient tout particulièrement chez Ayreon, c’était ce mélange des genres au sein de chaque album et même de chaque morceau, or c’est ce qui a disparu avec cette séparation des genres. Je ne regrette rien, mais je me dis parfois que je suis allé un peu trop loin, que cette formule s’est avérée trop limitative et un peu artificielle.

C’est la raison pour laquelle tu es revenu à la formule de Into The Electric Castle ?
Oui, bien sûr. J’ai pris acte de ce bilan un peu mitigé de The Universal Migrator, et je me suis dit que j’allais cette fois faire le contraire, et synthétiser tous les styles que je pratique et que j’affectionne sur un seul et même album. De plus, j’adore vraiment tous les passages dialogués sur Into the Electric Castle, qui sont particulièrement générateurs d’émotions. Je suis donc revenu, totalement consciemment, à cette formule déjà parcourue. Tout en composant, j’avais déjà planifié ces contrastes et décidé de cette diversité des émotions. A y regarder de plus près, je pense que The Human Equation est une grande synthèse de tout ce que j’ai fait jusque là : les grandes envolées lyriques et épiques du premier album, l’aspect électronique du second, les dialogues chantés du troisième, certaines des ambiances du Dream Sequencer et les parties franchement heavy de Flight of the Migrator. Mais ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit : il y a bien de nouveaux éléments dans The Human Equation. Et je pense que tout y est un peu plus paroxystique, comme si j’avais creusé, poussé plus loin le concept d’écriture… Cela dit, je n’ai pas particulièrement planifié cette diversité accentuée. Les choses sont arrivées « comme ça », en fonction de l’humeur, j’ai écrit et enregistré ce que je ressentais. Par contre, à partir du moment où j’ai remarqué cette tendance au renforcement des contrastes, je me suis appliqué à la développer : si je composais une partie très folk, je décidais d’y associer une instrumentation vraiment particulière, en employant de vrais instruments, et pas des samples, etc. J’aime vraiment développer les contrastes… ça maintient l’auditeur éveillé ! (rires)

Faut-il déduire de cette analogie que tu fais entre The Human Equation et tes albums précédents que tu as composé tous ces disques exactement de la même manière ?
Tout à fait (rires). En fait, j’écris toujours selon le même procédé. Je passe beaucoup de temps sur ma guitare, à chercher des idées, que j’enregistre pour en faire des documents de travail. J’y reviens quelques temps après, et je repasse tout en revue, pour faire le tri de ce qui vaut la peine d’être gardé. Je retravaille ensuite les passages sélectionnés, et je me mets vraiment au travail. Je fonctionne toujours de cette manière.

The Human Equation est un double album très copieux… mais tu n’as pourtant pas eu tant de temps que cela entre la fin de l’aventure Star One et l’enregistrement de ce nouvel Ayreon… Comment fais-tu ?
Effectivement… L’élaboration de Into The Electric Castle m’avait pris à peu près deux ans, il me semble. En comparaison, les choses ont été cette fois-ci plus rapides et se sont mieux passées, puisqu’en un an, tout était en boîte. Cela ne signifie pas que la musique soit meilleure… mais j’ai réussi à améliorer mes méthodes de travail, à perdre moins de temps. J’ai beaucoup gagné en confiance en moi, je connais bien mieux l’équipement informatique de mon studio, que j’ai équipé avec de nouveaux programmes qui fonctionnent mieux, les idées me sont venues plus facilement, beaucoup de jeunes groupes talentueux ont émergé – ou je les ai découverts – et m’ont ouvert des perspectives, etc.

Si tu ne devais garder que deux chanteurs parmi les participants à The Human Equation, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Ta question est horrible. Ce serait comme demander à un père lequel de ses enfants il préfère ! Tous les chanteurs ont été extraordinaires à mes yeux, et ils m’ont tous vraiment surpris, d’autant que l’on a vraiment passé de bons moments. Tu peux d’ailleurs le voir sur le DVD de l’édition limitée de l’album : on me voit aller chercher les chanteurs à l’aéroport, on les voit en studio, on nous voit rire lors des pauses, etc. Je ne peux pas en choisir un parmi l’ensemble, ils m’ont tous tellement apporté… S’il fallait vraiment choisir celui qui m’a le plus surpris, je dirais qu’il s’agit de cette jeune fille mexicaine, Marcela Bovio.

C’est étonnant : elle est presque totalement inconnue, et tu lui as donné un rôle extrêmement important… cela n’a pas dû être une décision simple… Comment l’as-tu découverte ? Et comment as-tu su qu’elle était la bonne personne pour ce rôle, qui lui va en fin de compte très bien ?
J’ai en fait cherché à faire à peu près ce que j’avais fait avec Ambeon, faire découvrir un nouveau talent. J’ai été tellement surpris de ce qu’Astrid (NDLR : la jeune chanteuse du projet Ambeon) avait fait, que je me suis dit qu’il devait y avoir dans le monde d’autres jeunes artistes aussi talentueux, auxquels je pourrais apporter quelque chose, donner une chance de percer. Je suis donc passé par le site internet d’Ayreon, en demandant à ceux qui le fréquentaient de m’envoyer des démos de ce qu’ils faisaient, ou des enregistrements de « petits » groupes qu’ils connaissaient, afin de me faire découvrir de nouvelles voix. J’avais pris l’engagement d’enrôler l’un de ces chanteurs pour Ayreon. J’ai du recevoir environ cent-cinquante disques, que j’ai tous écoutés. C’est alors que je suis tombé sur la voix de Marcela. Elle chantait en espagnol, et j’ai été complètement soufflé, j’en ai eu la chair de poule. Je l’ai immédiatement contactée, lui proposant de venir en Hollande pour enregistrer des parties de chant. Mais elle a beaucoup hésité, elle n’avait jamais quitté le Mexique, et n’était pas très rassurée. Elle est finalement venue, accompagnée de son petit ami. Je m’attendais à rencontrer quelqu’un de timide, peu sûre d’elle-même et d’assez inexpérimentée, mais en fait, elle s’est montrée extrêmement intelligente, pleine d’humour et d’idées. C’est une charmante jeune femme extrêmement créative, et j’ai été extrêmement satisfait de sa participation au disque, elle a plus que comblé mes attentes. De son côté, c’était un peu comme un rêve qui s’exauçait, car c’est une grande fan d’Ayreon.

Globalement, cet album donne l’impression que les parties vocales ont été taillées sur mesure pour chacun des chanteurs, en fonction de leur domaine. Ne penses-tu pas qu’il aurait pu être intéressant, au contraire, de les sortir de ce qu’ils font d’ordinaire, de tenter certains « contre-emplois » ?
En fait, c’est quelque chose que j’ai déjà fait : par exemple, j’ai donné à chanter à Bruce Dickinson des parties extrêmements lentes. Mais cette fois, j’ai cherché à exprimer des émotions très précises, et c’est précisément pour cela que j’ai choisi ces chanteurs. Je savais que Devin Townsend serait la personne idéale pour incarner « Rage », et je n’aurais pas souhaité l’entendre chanter autre chose. Il serait bien sûr très intéressant d’utiliser Devin ou d’autres dans des genres qu’ils ne pratiquent pas d’habitude. Mais ce serait un autre projet… ce n’est pas ce que j’ai recherché cette fois. Je voulais que ces chanteurs soient exactement comme ils sont d’ordinaire.

Il semble, à l’écoute de The Human Equation, que le style Ayreon évolue vers des ambiances plus sombres, et surtout vers des climats beaucoup plus émotionnels, comme peuvent le faire certains groupes de la scène scandinave actuelle, tels Opeth ou Pain Of Salvation, par exemple. Que penses-tu de ces groupes ?
J’apprécie ce courant musical, j’aime Opeth, Tiamat, Anathema, ou ce que peut faire Dan Swanö, par exemple… En fait, j’ai toujours aimé ça… déjà, à l’époque, quand Black Sabbath a en quelque sorte inauguré cette tendance musicale extrêmement sombre, j’ai adoré. Mais je ne pourrais pas me contenter d’écrire de la musique évoluant dans un seul univers, que ce soit celui-là ou un autre. Même si j’essayais d’écrire quelque chose de sombre, je ne pourrais pas m’empêcher d’y ajouter un passage folk guilleret, un gimmick électronique, un bon vieux riff metal, etc… Maintenant que j’y repense, je dois dire que j’aime assez les nouvelles tendances gothiques, ou l’évolution d’un groupe comme Opeth. Je ne sais d’ailleurs pas vraiment pourquoi, parce que je suis vraiment quelqu’un de positif, à la base !

Tu as tout de même l’air d’être très « à jour » dans tes connaissances de la scène metal progressive actuelle… Dans toute cette nouvelle génération de groupes, y a-t-il des chanteurs que tu souhaiterais avoir sur un prochain album ?
Oui, bien sûr ! Tu parlais de Pain Of Salvation… J’adorerais travailler avec Daniel Gildenlöw. Le chanteur d’Evergrey m’intéresserait aussi. Sinon, j’aime beaucoup The Mars Volta, et j’apprécierais le fait de travailler avec un chanteur de ce genre. Il y a en ce moment un nombre important de jeunes chanteurs qui apparaissent, un peu dans le style Radiohead / Muse, et cela m’ouvre de nouvelles perspectives ! J’ai envie d’explorer toutes ces nouvelles voies/voix.

« Love » est le premier extrait de l’album à paraître en single… Pourquoi avoir choisi ce titre ? Penses-tu qu’il soit représentatif de ton type d’écriture musicale ? Et d’ailleurs… pourquoi un single ?
Parmi les problèmes que pose ma musique, il y a entre autres le fait qu’aucun morceau n’est réellement représentatif de ce que j’écris. Quel que soit le titre que je choisis, il passera forcément sous silence une facette de ma musique. Il faudrait que chaque single dure une demi-heure pour être un tant soit peu représentatif. Du coup, c’est un choix difficile. Mais j’ai tout de même voulu tenter l’expérience et faire ce single pour une raison simple : certains de mes amis font souvent écouter ma musique à des gens qui ne viennent ni du monde du progressif, ni du monde du metal. Souvent, ils apprécient, et achètent immédiatement tous mes albums, sans réellement savoir à quoi s’attendre, sans connaître réellement ma musique. Or, le seul moyen d’atteindre ce type de gens, qui ne passent pas par les circuits musicaux spécialisé, reste la télévision ou la radio : d’où l’importance de disposer d’un titre dont le format soit compatible avec ces médias grand-public. Je tiens vraiment à partager ma musique avec le plus grand nombre de gens possible…

A propos de l’album lui-même, maintenant… Pourquoi as-tu décidé de te consacrer à un scénario extrêmement individuel, et d’abandonner le domaine de la science-fiction auquel tu semblais tellement tenir ?
En fait, ce n’est pas si éloigné que cela… L’histoire de The Final Experiment est avant tout très personnelle, et tourne autour des émotions de ce ménestrel aveugle. De même, Into The Electric Castle traite des émotions humaines, que l’extraterrestre cherche à comprendre. En apparence, ces histoires ont l’air d’être de petites nouvelles de science-fiction. Mais au fond, le principe est toujours le même : l’homme et ses émotions, même si beaucoup de gens n’ont pas semblé s’en appercevoir, et n’ont vu que l’aspect un peu kitch du scénario de science-fiction. Cette fois, j’ai décidé de tenter de mettre de côté ce vernis de fiction, pour me concentrer sur l’essentiel du propos, avec une trame beaucoup plus simple.

Quelles ont été tes sources d’inspiration ? Et comment expliques-tu le fait que le découpage de l’histoire est très proche de celui d’un scénario de film ?

Tu sais, je suis un immense amateur de films ! Je passe mon temps devant la télévision. J’adore évidemment la science-fiction, mais tout comme j’aime différents styles de musiques, je ne m’arrête pas à ce genre cinématographique. A mon avis, l’écoute d’un album est une sorte d’aventure… ou du moins, cela devrait l’être. C’est la raison pour laquelle mes albums sont si longs : il me faut le temps de développer l’histoire… la plupart de mes disques durent en fait le temps d’un film ! C’est quelque chose qui vient de loin. Quand j’étais jeune et que je me passais en boucle Jesus Christ Superstar, cela ne signifiait pas simplement écouter de la musique, mais cela voulait aussi dire s’évader, exactement comme lorsque l’on regarde un film, même sans images ! Et c’est exactement ce que je souhaite faire aujourd’hui. Je veux proposer aux gens un moyen d’évasion, je veux leur apporter une dimension supplémentaire, ne pas me limiter à leur proposer de la musique…

Sans révéler la fin de l’histoire, comment pourrais-tu expliquer le message que tu as cherché à transmettre avec cet album ?
En fait, je n’ai pas véritablement cherché à faire passer un message particulier. En fait, et même si cela peut paraître très basique, je cherche principalement à divertir les gens. Maintenant, chacun peut toujours trouver dans ma musique un message qui lui sera propre, s’il le souhaite. Pour cet album, le message serait sans doute de ne pas hésiter à se confronter à ses propres émotions, d’être honnête vis-à-vis de soi-même, même lorsque c’est douloureux, et d’être honnête vis-à-vis de notre entourage. C’est sans doute ce que j’ai voulu exprimer dans cet album…

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Ta communication auprès du public et des médias, dans les mois précédant la sortie de l’album, a été exemplaire et le nom d’Ayreon s’en est trouvé très médiatisé… Aurais-tu élaboré une sorte de business plan ? Etait-ce pour toi un moyen d’attirer un maximum de gens, ou as-tu cherché par ce biais à faire monter la pression et l’envie d’un bel objet, avec coffret, DVD, édition limitée, etc., pour éviter le piratage ?
En fait, c’est un peu paradoxal. D’un côté, je veux partager ma musique avec le plus grand nombre de gens possible. Et évidemment, dans ce but, Internet est un outil magique : des gens n’ayant jamais entendu parler de Ayreon peuvent télécharger puis écouter ma musique… et après tout, c’est pour cela que je l’écris, c’est ce que je recherche ! Mais évidemment, il y a le problème de ceux qui téléchargent la musique sans acheter, et là, ça me pose sincèrement un problème. J’essaye de vivre de ma musique, le produit de la vente de mes disques est mon seul revenu, et le fait que mes albums se vendent est aussi le seul moyen que j’ai pour écrire et composer le suivant. Si je devais pointer à l’usine chaque jour, je n’aurais ni le temps ni la disponibilité d’esprit pour composer et enregistrer ! Bref, tu connais le problème. Du coup, si je soigne autant la présentation, les éditions limitées, si je fais mon maximum pour ajouter à l’album des bonus, comme le DVD cette fois, c’est bien sûr que j’essaye de donner envie aux gens de posséder l’objet, et non uniquement le contenu de l’album téléchargé et gravé sur un CD-R quelconque. Je suis vraiment satisfait de ce DVD : je pense qu’il est chouette pour les fans de voir la manière dont l’enregistrement de l’album s’est déroulée, et tout l’aspect « caché » du processus, y compris au quotidien (on me voit aller chercher les chanteurs à l’aéroport, etc.)… A mon avis, il vaut vraiment le coup !

Cela n’a pourtant pas empêché The Human Equation d’être disponible sur les réseaux de peer to peer plus d’un mois avant sa sortie…
Je sais bien… Au début, j’étais totalement anéanti, et franchement furieux : le jour même de la diffusion des exemplaires promo, le disque était disponible sur Internet ! J’ai piqué une véritable crise de colère, je me suis mis à hurler contre tout le monde, à jeter en l’air tout ce qui me tombait sous la main, etc. J’étais dans un état de rage indescriptible. Je me suis senti tellement trahi ! Comme tu l’as vu sur notre site internet, nous avons tout fait pour construire tout un plan de communication, pour faire grimper la tension, pour donner envie aux gens en leur donnant régulièrement des informations précieuses, etc. C’était devenu comme un jeu pour moi, comme pour une partie de mon public, c’était vraiment excitant. Et tout à coup, un crétin de journaliste recevait le promo et ne trouvait rien de mieux que de le faire circuler sur le web ! De quel droit ce sale type se permettait-il de faire ça ?!!! C’est tellement idiot ! Peu à peu, j’ai réussi à me faire à cette idée, à accepter la situation. Malheureusement, c’est quelque chose que tu ne peux pas faire cesser, il y aura toujours des gens qui trouveront le moyen de faire ce genre de truc. Du coup, j’essaye vraiment de voir le côté positif des choses… après tout, c’est aussi une forme de promotion auprès de gens qui n’écoutent que la radio… Mais en même temps, je sais pertinamment – puisque certains me l’ont dit ouvertement ! – qu’une partie des gens ayant téléchargé l’album estiment ne plus avoir besoin de l’acheter. Et là, franchement, ça me pose problème. De même que la copie… que je trouve plus dangereuse que le téléchargement, en fait. Le téléchargement est surtout dangereux pour les mauvais albums : si ton disque est nul, celui qui le téléchargera se dira qu’il a bien fait de ne pas prendre le risque de l’acheter, et effacera vraissemblablement les morceaux téléchargés. Mais si tu fais un bon album, nombreux seront ceux qui chercheront à l’avoir, et qui le copieront auprès de leurs amis, etc. Le téléchargement fait perdre en qualité, mais la copie est vraiment fidèle. Du coup, on peut largement s’en contenter, même si on apprécie l’album et qu’on le trouve bon ! Je crois cependant que le public progressif est plutôt honnête, sincère et dévoué, en majorité. La plupart sont vraiment des fans hardcore qui, même s’ils téléchargent l’album, feront l’effort d’acheter le « vrai » disque à sa sortie. Je fais donc confiance à mon public dans cette affaire, je sais que, dans leur grande majorité, ceux qui ont téléchargé le disque avant sa sortie l’ont aussi acheté… En tous cas, je croise les doigts ! Ce qui m’inquiète davantage, c’est la diffusion des MP3 du disque auprès de gens moins scrupuleux !

Ayreon n’a jamais tourné… Peut-on, cette fois, espérer quelque chose, ou The Human Equation restera-t-il, lui aussi, un projet studio ?
Une fois de plus, il ne faut pas espérer d’incarnation scénique du projet. Les raisons sont toujours les mêmes : il serait impossible d’arriver à réunir les onze chanteurs sur scène ! Des groupes comme Dream Theater ou Opeth ont une activité quasi-permanente et écument les scènes lorsqu’ils ne sont pas en studio ! Transposer le disque sur scène – en dehors des ces questions de disponibilités – demanderait trop de travail et coûterait beaucoup trop cher, malheureusement. .

Du coup, quelle sera la prochaine étape pour Ayreon… ou pour Arjen ?
Je vais te dire : je n’en ai pas la moindre idée ! Je sais juste que je vais laisser reposer Ayreon pour au moins deux ans, car ce projet me demande un tel investissement d’énergie et d’émotions que j’en sors épuisé et complètement vidé à chaque fois. Après chaque sortie d’album, Ayreon me laisse sans la moindre idée, sans la moindre créativité, et même sans la moindre envie de musique. C’en est même horrible : dès le matin, je suis complètement déprimé, je ne fais rien de mes journées, etc., jusqu’au jour où je m’apperçois que peu à peu, je commence à retrouver un état normal, lentement, les idées reviennent, et le cycle est relancé. Dans ces moments de quasi-renaissance, je sais que je repars vers un autre projet, mais je n’ai alors pas la moindre idée de ce dont il s’agira. Ce que je fais actuellement pourra devenir un album solo, un album de Ambeon, un autre Star One ou tant d’autres choses encore. Je n’en ai pas la moindre idée

Passons désormais aux questions des membres de notre forum…

Ecris-tu tes morceaux pour une voix particulière, ou au contraire, recrutes-tu les chanteurs en fonction des morceaux écrits ?
Les parties de chant sont écrites POUR les chanteurs, en fonction de leur voix, de leurs qualités, de leurs capacités et des émotions qu’ils dégagent. Je commence par composer l’ensemble de la trame instrumentale, puis je recrute les chanteurs. J’associe ensuite chaque voix aux parties lui correspondant le mieux, puis seulement, j’écris les paroles et l’histoire prend tout son sens. Pour prendre un exemple concret : je n’avais pas décidé d’avoir un rôle correspondant à celui de Love dans l’histoire, et pour lequel j’ai recherché une chanteuse, mais j’avais décidé de travailler avec Heather, et j’ai donc introduit le personnage dans l’histoire.

Tu sembles avoir une certaine prédilection pour le vocoder et les voix « trafiquées ». Penses-tu pouvoir écrire un jour un titre entier pour ce type de voix ?
En fait, j’adore la musique électronique et l’usage des voix qui peut y être fait. J’adore des groupes comme Kraftwerk ou Tangerine Dream, et qui sait, peut-être un jour composerai-je un album entièrement électronique avec uniquement des voix vocodées !

Le chant de James LaBrie semble plus intéressant et surtout plus varié chez Ayreon que dans Dream Theater ! Lui as-tu laissé totale liberté, ou lui as-tu donné des indications précises sur ce que tu souhaitais entendre ?
En fait, nous avons travaillé en totale coopération. Je voulais qu’il chante de la manière la plus émotionnelle possible. Je lui ai demandé ça, en lui disant que je ne voulais pas de choses trop techniques ou trop « propres ». J’ai écrit les parties de chant de manière à ce qu’elles correspondent au mieux à cet usage précis de sa voix, je lui ai enregistré des guide-vocals, comme pour tous les autres chanteurs, et je lui ai dit : « voilà ce que j’entends, mais je t’en pries, chante-le à ta manière, mets-y tout ce que tu as dans le ventre. Tu es libre de coller à ce que j’ai écrit, ou de changer les lignes de chant, peu importe. Je veux que ce soit vraiment toi. » Concernant James, il est, la plupart du temps, resté très fidèle à ce que j’avais écrit.

Il parait que tu as toujours voulu travailler avec Kate Bush… Or Sharon Den Adel a une voix qui en est très proche, et de plus en plus. Peut-on attendre un projet vous réunissant à nouveau ?
Pourquoi pas ! Ce qu’elle fait au sein de Within Temptation est très bien, le groupe avance beaucoup et son succès grandit ! Mais si nous avions l’opportunité de travailler à nouveau ensemble, je serais ravi de le faire ! Mais sur The Human Equation, il y avait déjà Heather Findlay, et je trouve également sa voix très proche de Kate Bush sur « The Eleven Day » !

Souhaiterais-tu travailler un jour avec des chanteurs tels Mike Patton ou Jorn Lande ?
Ces deux chanteurs font bien évidemment partie de la liste des gens que j’aimerais voir un jour sur un album d’Ayreon ! La première fois que j’ai entendu Faith No More, avec The Real Thing, j’ai été totalement soufflé par Mike ! Quant à Jorn Lande, du point de vue technique, je pense que c’est le meilleur chanteur de la scène metal actuellement, aux côtés de Russel Allen.

Et penses-tu retravailler un jour avec des gens ayant déjà enregistré sur certains de tes albums, comme Neal Morse ou Russel Allen ?
J’en ai effectivement l’intention ! Pour l’instant, j’ai toujours cherché à travailler avec de nouvelles voix, à faire des choses inédites, et je n’ai donc pas repris de chanteurs d’un album à l’autre. Mais je sais que dans les années à venir, je chercherai à approfondir certaines collaborations. J’ai pris tant de plaisir à travailler avec certains chanteurs qu’il serait idiot de s’en contenter et de ne pas chercher à aller plus loin.

Tu as quitté le domaine de la science-fiction avec The Human Equation. Etait-ce un besoin ?
J’avais vraiment envie de quelque chose de nouveau, de renouveller mon approche d’Ayreon. Et, quelque part, je pense que j’avais aussi envie de prouver à certains de mes détracteurs que j’étais capable d’autre chose, que je n’étais pas limité au domaine de la science-fiction un peu kitch, que je pouvais traiter tout simplement des émotions humaines. Mais c’est amusant : tu as sans doute remarqué que les vingt dernières secondes du disques sont occupées par un rappel de la voix du Dream Sequencer… comme si je n’avais pas pu m’empêcher de glisser une touche de science-fiction tout de même ! Mais je ne veux pas en dire trop à propos de la présence de cette voix. C’est à chacun de décider ce qu’il en est !

Et peut-on attendre un projet Star Two ? (rires)
Comme je te l’ai dit, je ne planifie jamais rien… mais je pense que oui ! J’ai pris tant de plaisir à travailler sur ce projet, et ce disque a été un tel succès que je pense poursuivre l’aventure un jour.

Et pour ce qui est d’Ambeon ?
C’est exactement la même chose ! J’ai vraiment envie de poursuivre sur cette lancée, mais il y a tout de même un problème : je n’arrive absolument pas à joindre Astrid ! C’est consternant, elle a quitté ses parents, elle a quitté l’école, elle est partie vivre loin de chez elle avec un type. J’ai essayé d’entrer en contact avec elle, mais elle ne m’a jamais répondu… Enfin… il y a toujours la possibilité de faire un album d’Ambeon avec quelqu’un d’autre !

Tu as l’air très versé dans tout ce qui est technologies sonores et musicales. Penses-tu proposer un jour des remixes en 5.1 de tes albums ?
Oui, bien sûr ! C’est même un projet déjà dans mes tiroirs ! Sur le DVD bonus de The Human Equation, il y a un mix 5.1 du single, et pour moi, cela ouvre de nouvelles perspectives : ma musique est très chargée, avec énormément de superpositions de voix et d’instruments, et la stéréo réduit considérablement toute cette ampleur. Le mix en 5.1 permet bien plus de choses… et il est aussi bien plus facile à réaliser ! Bref, je ne suis pas encore certain que cela se fera, mais j’aimerais réenregistrer Actual Fantasy et en sortir une version 5.1.

Pour conclure : y a-t-il une question que tu aurais aimé que l’on te pose et que nous ne t’avons pas posée ?
Euh… tu sais, tu m’as déjà posé beaucoup de questions, et j’ai passé ma journée à faire des interviews… je crois que je n’ai plus rien à dire ! (rires)

Propos recueillis par Dan Tordjman,
sur des questions de Djul et Fanny Layani

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