Marillion – Marillion

ENTRETIEN : MARILLION

 

Origine : Royaume-Uni
Style : Rock "néo"-progressif
Formé en : 1980
Composition :
Steve Hogarth – chant, guitare
Steve Rothery – guitare
Mark Kelly – claviers
Pete Trewavas – basse
Ian Mosley – batterie
Dernier album : Marbles (2004)


Quelques heures avant le concert à l’Elysée-Montmartre, nous avons profité d’une demi-heure de discussion avec Pete Trewavas pour en savoir plus sur l’élaboration de Marbles et les raisons de certains choix commerciaux et artistiques.

Progressia : Marbles est sorti depuis quelques semaines et vous avez commencé votre tournée européenne. Etes-vous contents de la façon dont ça se passe pour le moment ?
Pete Trewavas : Marbles a reçu un accueil très favorable, tant de la part des fans que des médias, ce qui est une très bonne nouvelle pour nous. Certains même disent que c’est ce que nous avons fait de mieux ! Il est sans doute un peu tôt pour en être sûr… Je suis content que cela plaise, car entre les paroles, les mélodies et le soin apporté au support, Marbles a beaucoup d’atouts à mon avis. Nous avons commencé la tournée depuis un mois et, franchement, nous n’avons pas eu de soirée décevante. Sans doute notre deuxième concert à Tilburg en Hollande hier soir était-il mieux que celui du début du mois, mais le premier était surtout un échauffement. Pour le moment, il semble que les choses ne pourraient pas aller mieux !

Aviez-vous prévu d’enregistrer un double album ou bien est-ce la conséquence naturelle d’un volume devenu trop important et qu’il était préférable de publier d’un seul coup ?
Nous n’avions pas l’intention d’enregistrer un double album au départ. Les trois premiers mois d’écriture ont d’ailleurs été assez difficiles. Nous sommes rentrés très vite en studio après la dernière tournée, sans avoir pris le temps de nous reposer vraiment ni d’organiser nos idées, ne serait-ce que pour être à nouveau dans un état d’esprit favorable au travail collectif. Nous avons donc plutôt travaillé chacun de notre côté, et persévé jusqu’à ce que progressivement, l’inspiration revienne et le stress disparaisse : nous avons alors retrouvé le plaisir de jouer de la musique ensemble et enregistré beaucoup plus que prévu. L’incertitude du début nous a certainement conduits à beaucoup écrire, d’autant plus que nous avons continué à le faire pendant le travail d’arrangement avec Dave Meegan et même presque jusqu’à la fin de l’enregistrement. En fait, plus nous avançions, plus nous avions des idées qui nous semblaient à chaque fois un peu meilleures. Nous avons même dû en laisser une partie de côté, quatre ou cinq titres en fait !
Comme nous n’avions pas de contraintes, nous avons vraiment pris le temps de faire le tri parmi toutes ces idées et ensuite parmi les titres une fois enregistrés. Le choix d’un double album nous a permis d’exploiter plus de choses : donner de la place aux titres "Marbles", par exemple. "Drilling Holes" n’aurait également peut-être pas vu le jour si nous avions eu en tête la limite d’un album simple, alors que là, nous avons osé la développer.

Marbles n’est disponible en magasin qu’en version simple, car les distributeurs ont estimé trop difficile de gérer une version double. Quelle était la principale raison avancée : le coût, la rareté du format… ?
Plusieurs raisons en fait : le coût bien sûr, qui était censé freiner les achats, et la difficulté à proposer un double aux points de vente… Comme tous ceux à qui nous nous sommes adressés nous disaient cela, nous avons rapidement décidé de ne proposer qu’une version simple aux distributeurs mais aussi de promouvoir le double par nos propres moyens. Maintenant que le disque est sorti, que les premières semaines de vente se passent bien et que nous sommes diffusés en radio, les distributeurs nous rappellent pour obtenir le double ! Beaucoup parmi eux avaient exprimé des doutes sur la démarche consistant à proposer le double via un coupon inséré dans le simple. Je crois que la plupart des gens qui achètent un disque de Marillion connaissent l’offre proposée et ont déjà fait un choix, mais nous souhaitions le proposer quand même.

La version double a donc des chances d’être disponible en magasin ?
C’est encore difficile à dire, mais nous en discutons.

Comment avez-vous décidé de la répartition des titres entre l’album simple et le double ?
Dès le début, nous souhaitions que "Invisible Man" et "Neverland" ouvrent et finissent l’album. Puis nous nous sommes dits "au moins deux ou trois "Marbles"", puis tous… puis quelques chansons au milieu ! La version simple a été voulue plus forte, plus directe que la double qui se prête plus à une écoute attentive pour deux heures de Marillion. Il fallait aussi que le simple représente à la fois les aspects sombres et ceux plus clairs de Marbles, c’est donc une forme d’équilibre.

Steve Hogarth a déclaré que Marbles traduisait des sentiments personnels (ce que l’on perd au fur et à mesure que le temps passe) et une inquiétude par rapport à l’évolution du monde en ce moment…
Il y a en effet un peu de tout ça. "Invisible Man" parle du monde qui s’affole. Quelqu’un d’âge mûr, devenu cynique et revenu de tout, s’interroge sur la difficulté, voire notre renoncement, à rendre la vie un peu plus agréable. C’est aussi une façon d’exprimer l’anxiété croissante par rapport à des conflits qui devraient être résolus depuis longtemps, mais qui s’éternisent à cause d’intérêts politiques et financiers. L’expression "losing marbles" (NdlR : perdre la tête) se retrouve sous forme d’image dans la plupart des paroles de l’album. Aujourd’hui, comme d’habitude, l’actualité est déprimante. Par exemple, j’écoutais l’autre jour à la radio une analyse sur l’évolution de la violence en Angleterre. Si tu regardes les chiffres, statistiquement la violence n’augmente pas, mais les gens ont bien cette impression ! Beaucoup ont peur d’utiliser les transports en commun le soir, c’est une forme de terreur collective.

Est-ce que la musique globalement calme et atmosphérique est une réponse à un environnement qui change de plus en plus rapidement et au manque de réponse à la violence ? Est-ce une incitation à la réflexion ?
Oui bien sûr. Aujourd’hui la tendance au zapping est massive. Il faut en permanence entretenir l’attention par une succession de changements plus ou moins artificiels, dans la pub par exemple. La possibilité de prendre du temps pour soi, pour réfléchir devient presque un luxe aussi, on ne peut pas toujours se le permettre. Musicalement, ce nouvel album est aussi une réponse à l’album précédent (Anoraknophobia) qui était très dynamique et rythmé.

Pour revenir sur les propos de Steve H., quelles compensations peut-on trouver par rapport à ce que l’on perd avec le temps qui passe ?
On trouve forcément des compensations, mais je pense que l’on a tendance à perdre plus que ce qu’on peut gagner à partir d’un certain point… C’est comme ça…

Peut-être gagne-t-on une forme de sagesse ?
Oui, de la sagesse ! (un temps de réflexion). Peut-être des gens comme nous ont cette chance, puisque nous recherchons plus du sens que l’argent ou le pouvoir.

Lors de ton dernier entretien avec Progressia, tu nous avais confié qu’il y aurait une sorte de concept dans Marbles mais qu’il appartiendrait aux auditeurs de le découvrir ! Il semble qu’en fait il n’y ait pas de récit au sens strict du terme, mais une sorte de fil conducteur par rapport aux sujets dont nous venons de parler. Est-ce exact ? Si oui, est-ce que le choix et l’ordre des titres de la tournée essaieront de refléter cela ?
Oui c’est bien cela, il ne s’agit pas d’une histoire, ni même d’un fameux "concept" (rires) ! Nous essayons effectivement de présenter ce fil conducteur lors ces concerts et la plupart des titres de la version simple, en substituant "The Damage" à "Drilling Holes".

Envisagez-vous de jouer l’intégralité du double album comme vous l’avez fait pour Brave il y a une dizaine d’années ?
Peut-être un jour… pas sur cette tournée ! Ce serait un concert de deux heures rien que pour Marbles, sans doute un peu difficile pour un public pas encore tout à fait familier de l’œuvre.

Est-ce qu’un single plutôt facile d’accès comme « You’re gone » est un moyen d’élargir votre public ? Ou simplement de rappeler que Marillion est toujours bien vivant ?
Nous avons longtemps hésité avant de sortir un single. C’est en général une bonne publicité pour un album et une tournée mais nous n’en attendions pas énormément non plus. Il y a aussi toujours le risque de donner une image faussée de ce qu’est vraiment le groupe et sa musique, voire que certains pensent que nous sommes devenus un groupe de pop, etc. Toutes les personnes que nous interrogions trouvaient que "You’re gone" était le meilleur titre pour un single. Evidemment, le fait d’être bien placés dans les charts non seulement en Angleterre mais aussi en Hollande nous a surpris et ravis ! Il est d’ailleurs question d’en sortir un deuxième bientôt.

Certaines personnes sur notre forum de notre discussion vous félicitent pour votre tentative de contourner les contraintes du "business musical" et des majors, mais certains (parfois les mêmes) se demandent pourquoi les disques vendus via le Racket Club ne sont pas moins chers par rapport au prix habituel. Que peux-tu leur dire ?
Je ne trouve pas que les prix soient trop élevés. Pour Marbles, nous proposons d’ailleurs un choix assez vaste entre le single, l’album simple, l’album double et la version "deluxe". Il m’est arrivé d’acheter des imports japonais trois ou quatre fois plus chers qu’un album normal en Angleterre, simplement parce que j’étais accro à un groupe et je voulais une version plus soignée que l’originale. En fait, la question du prix se pose surtout par rapport à la valeur que l’on accorde aux choses, à mon avis. Bien sûr nous gagnons de l’argent avec Racket Records, mais crois-moi, nous ne jetons pas l’argent pas les fenêtres : nous réinvestissons autant que possible dans notre activité.

Il n’est donc pas forcémement possible de baisser les prix lorsque l’on dispose de son propre label et que l’on vend une partie de sa production en direct ?
Non ! C’est même presque le contraire. Nous avons des employés à payer, les relations publiques, les taxes, tous les frais d’une entreprise de production et distribution en fait. La liberté a un prix. Cela serait peut-être différent si nous sortions un album tous les six mois (à ce moment, on signale à Pete qu’il doit rejoindre les préparatifs sur scène). Okay, une dernière question ?

Dirais-tu aujourd’hui que Marillion est toujours un groupe de rock progressif ?
Nous sommes plus progressifs que certains groupes étiquetés "progressifs" qui tendent à reculer ! (rires) Mais cela dépend de comment on définit le terme.

Bien sûr, quelle est donc ta définition ?
Aller de l’avant, tout simplement la définition du dictionnaire en fait.

Il ne s’agit donc pas pour toi d’un genre étriqué, passéiste…
Si un peu, lorsque l’on ne désigne par progressif que des groupes qui s’attachent avant tout à des figures de style (longs solos de guitare), des instruments particuliers comme les "mini-moogs", des trucs un peu rétro. Franchement, je suis heureux que nous ayons évolué. Cela dit je pense que des titres comme "Neverland" et "Invisible Man" sont vraiment progressifs dans tous les sens du terme ! Nous avons été catégorisés de tellement de manières de toutes façons…

Photo de Pete Trewavas par Serge Llorente, www.progpix.com

Propos recueillis par Julien Weyer

site web : http://www.marillion.com/