EXPO : PINK FLOYD, LA VILLETTE

 

Artiste : Pink Floyd
Lieu : Paris, Cité de la Musique
Date : 12 octobre 2003

L’exposition « Pink Floyd Interstellar » se tient à la Cité de la Musique de Paris, à La Villette, jusqu’au 25 janvier 2004. C’est une occasion unique de découvrir le groupe et ses différentes évolutions, non seulement au travers de sa musique, mais aussi de ses instruments, de son imagerie et de ses mises en scène aussi créatives que spectaculaires depuis 1967.

La visite commence par un long couloir sombre bordé de néons violets qui, tel une porte spatio-temporelle, projette le visiteur 35 ans en arrière tout en l’accompagnant des sons caractéristiques du groupe (gong, tiroir caisse, horloge, téléphone…) et le fait atterrir dans le « swinging London » de la fin des années soixante. On découvre alors dans la pièce consacrée au premier album du Floyd, The Piper At The Gates Of Dawn une réplique exacte de la guitare de Syd Barrett, sur laquelle fut composé notamment le célèbre « Arnold Layne » (dont le « clip » de l’époque passe d’ailleurs en boucle).
Véritable fondateur, âme pensante et créative du groupe à ses débuts, Barrett vit toujours quelque part en Angleterre, reclus. Beaucoup lui vouent un culte indéfectible au point de réaliser une copie de sa guitare.
Les premiers light-shows et diapositives psychédéliques des concerts des débuts sont aussi projetés, rappelant que Pink Floyd s’inscrivait complètement dans cette mouvance psychédélique dont il fut l’ambassadeur le plus prestigieux. Sur une table, quelques livres ayant inspiré le groupe à ses débuts, dont « Le Seigneur Des Anneaux » de Tolkien, qui fut le point de départ de « The Gnome » ou encore « Alice Au Pays Des Merveilles » de Lewis Carrol, permettent de mieux comprendre l’influence d’une littérature où l’imaginaire est roi dans le processus de création des premiers titres. Un écran sur le chemin vers la pièce dédiée à A Saucerful Of Secrets, deuxième et dernier album avec Barrett, diffuse le clip d’une curiosité : « Vegetable Man », titre encore officiellement inédit à ce jour.

La visite se poursuit par ordre chronologique, une pièce étant consacrée à chacun des albums qui sont alors présentés et expliqués succinctement par un petit panneau mural. On quitte l’ambiance psychédélique pour découvrir la période « space rock » durant laquelle le groupe s’oriente vers une démarche orchestrale. Grâce aux archives personnelles de Storm Thorgerson, le célèbre illustrateur du groupe, de Nick Mason ou de Roger Waters, on peut remarquer quelques-uns des célèbres instruments qui ornent l’intérieur de la pochette d’Ummagumma, notamment le célèbre orgue Farfisa dont Richard Wright fut, avec Ray Manzarek des Doors, un des premiers utilisateurs, mais aussi les ustensiles de cuisine évadés de l’imaginaire d’Atom Heart Mother – à la demande de Kubrick d’utiliser l’album comme B.O. pour Orange Mécanique, le Floyd refusa ! – ou les affiches d’époque des films de Barbet Shroeder (More et La Vallée, dont la B.O.F. est Obscured by Clouds, enregistrée à Paris en 1972) dont Pink Floyd composa la musique. More est d’ailleurs doublement à part, puisque l’album fut écrit et enregistré en une semaine !

Le parcours est jalonné de ces micro-pièces hermétiques aux portes transparentes où l’on peut savourer quelques extraits des albums correspondants. La loge consacrée à Meddle, notamment, permet d’apprécier les échos, gongs et sonorités de vents utilisés sur l’album. Passée une reproduction grandeur nature de la vache d’Atom Heart Mother et un orgue Hammond, ancienne possession de Richard Wright, on aborde alors la partie – généreuse – consacrée à Dark Side Of The Moon.

L’album, dont le trentième anniversaire a servi de prétexte à l’exposition, peut y être écouté dans sa nouvelle version SACD 5.1. Une interview extraite du live à Pompei est projetée où l’on peut notamment voir Gilmour coucher ses parties de guitare sur le final de « Total Eclipse ». On découvre aussi dans cette salle, pèle-mêle, la Stratocaster du guitariste, la batterie décorée de Nick Mason, le fameux orgue rotatif VCS3, aussi utilisé par les Who sur Who’s Next, hantant « On The Run » de ses boucles technoïdes et les premières ébauches originales d’Hipgnosis pour la pochette de l’album. On peut lire également comment Clare Torry, pétrifiée de trac devant Rick Wright, interpréta pourtant en une seule prise ses inoubliables vocalises sur « The Great Gig In The Sky ». Wright est en effet le compositeur du titre, une ancienne improvisation de claviers et de guitare nommée « The Mortality Sequence » puisée dans sa peur de la mort (écoutez attentivement, à l’instant 3’31 : « I never said I was frightened of dying » murmuré en arrière-plan) , qui s’est structurée avec le temps. Torry continue le mouvement, puisque l’histoire dit qu’elle-même a improvisé cette ligne de chant devenue mythique. On la retrouvera plus tard chez Tangerine Dream…
Ceci n’est pas le seul point remarquable du disque, puisque sorti le 23 mars 1973, il est resté 741 semaines dans le top 200 et s’est vendu à plus de trente-trois millions d’exemplaires. Son ingénieur du son est aussi passé à la postérité : déjà reconnu par la critique pour son travail novateur sur The Dark Side…, il le sera aussi en tant que musicien avec notamment Eye in the Sky… il s’agit bien sûr de cet obscur assistant-ingénieur crédité sur la dernière œuvre des Beatles, Let it Be : Alan Parsons !

On poursuit naturellement notre visite par la case Wish You Were Here, album hommage à la raison perdue de Syd Barrett. On y découvre un cliché amusant du pauvre type en feu de la pochette de l’album courant vers une source d’eau pour l’éteindre ou, beaucoup plus émouvant, le fameux « little black book with my poems in » décrit dans The Wall par Roger Water mais in vivo cette fois, et où figurent les premières ébauches à peine raturées des textes de « Shine On You Crazy Diamond ». Une anecdote à propos de WYWH ? En Mai 1975 un homme obèse et chauve se présenta au studio où le Floyd enregistrait. C’était Syd Barret… étrange coincidence puisque l’album parle justement de lui. Le groupe ne le reverra plus..
L’étape suivante consacrée à Animals rappelle le motif de la présence de cet immense cochon gonflable à l’entrée de l’exposition – le même cochon qui flotte sur la pochette de l’album – et des panneaux explicatifs resituent l’album dans le contexte économique, social et politique de l’époque. Les Londoniens et les habitués de l’Eurostar, dont le trajet longe le site, reconnaitront sur cette couverture l’usine aux cheminées caractéristiques, érigée à deux pas du quartier de Vauxhall, dans le sud de la capitale britannique, et désormais désaffectée. Enfin, un exemplaire d’Animals Farm d’Huxley, inspirateur de cette fable politique, est abandonné sur une table.

Un hall entier est naturellement attribué à The Wall. On est invité, pour y parvenir, à franchir un mur comme on passerait de l’autre côté d’un miroir. On y découvre alors les marionnettes grandeurs natures de Pink ayant servi pour la tournée, l’immense console quadriphonique (ayant encore servi récemment) qui permettait en concert de faire passer le son d’un côté à l’autre de la scène, et dont l’utilisation est d’ailleurs illustrée par le bruit assourdissant du bombardier Stuka qui clôt « In The Flesh ». Le fameux gong orné des deux marteaux caractéristiques côtoie les masques à l’effigie des quatre membres du Floyd (figurant également sur la pochette de Is There Anybody Out There ?), que les roadies arboraient pour tromper le public ou encore l’un des bras mécaniques qui faisaient tomber une à une les briques du mur tout en les retenant pour qu’elles ne blessent personne.

Quelques ébauches de Gerard Scarfe, l’illustrateur de The Wall, guident alors le visiteur vers une petite pièce légèrement en hauteur à la décoration très sobre consacrée à The Final Cut, le premier album sans Rick Wright, poussé dehors par Waters. Un mannequin y arbore le costume du père de Waters, Eric, mort en Italie, à Anzio, en 1944 et à qui l’album, « requiem post guerre », est dédicacé, et un petit écran diffuse en boucle le clip de « Not Now John ». Volontairement en retrait, une pièce sous chapiteau est consacrée aux deux derniers albums. On y découvre notamment un des lits géants, répliques de ceux visibles sur la pochette, utilisés pour la tournée de A Momentary Lapse Of Reason, une reproduction des statues ornant la pochette de The Division Bell, une maquette de Mark Fisher représentant la scène de la tournée colossale qui suivit en 1994 et les projections du gigantesque écran circulaire de cette tournée.

Cette exposition s’avère passionnante pour les néophytes comme pour les connaisseurs passionnés du groupe. C’est aussi l’occasion de constater que le Floyd n’a pas pris une ride, que Rock’n Folk l’aimait dans les années 70 et que le public de la formation, au vu de la fréquentation en ce dimanche d’octobre, se renouvelle seul ! On regrettera seulement des salles exiguës et une gestion du son parfois approximative qui transforme l’ensemble en joyeuse cacophonie mais pour une fois qu’une rétrospective de cette classe est organisée en France, ne boudons pas notre plaisir.

Pierre Graffin

site web : http://www.cite-musique.fr/

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