Ange - Au Dela du Délire

Sorti le: 01/10/2002

Par Pierre Graffin

Label: Philips

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Ange est un mystère. Groupe franc-comtois mené par le génial Christian Décamps, il remporta un succès commercial sans précédent malgré l’ignorance imperturbable des media, et fut longtemps taxé de Genesis français. Pourtant, la comparaison n’est que très partielle et rend peu compte de l’originalité du groupe. Au-delà Du Délire est leur premier véritable album concept et troisième album studio. L’incomparable « Fantastique Epopée Du Général Machin », qui figura quelques mois plus tard sur leur premier album, Caricatures, avait permis au groupe de remporter la finale du Golf Drouot en 1970, véritable tremplin du rock à l’époque, de signer un contrat chez Philips et de faire la première partie de la tournée de Johnny Hallyday ! Ange est aussi un des rares groupes français capable de réunir deux mille personnes à la Mutualité début 1974 et de se permettre de reprendre Brel (« Ces Gens Là ») sur Le Cimetière Des Arlequins sans être ridicule (Mathieu Chedid, dit « M », ne réitérera l’exploit que plus de vingt ans après, avec « Au Suivant »).

Au-delà du Délire devint disque d’or peu de temps après sa sortie et s’imposa d’emblée comme LE chef d’œuvre incontestable du groupe. Narrant les aventures de « Godevin le Vilain », il plonge immédiatement l’auditeur dans une ambiance moyenâgeuse de mystères et de légendes, littéralement portée par une structure mélodique de très haut niveau. Francis Décamps, frère de Christian, réussit même à bidouiller son Hammond pour le faire sonner comme un Mellotron et donner ainsi une teinte inimitable à ce qui sera le « son Ange » au fil des albums suivants, Emile Jacotey et l’excellent Par Les Fils De Mandrin, Grand Prix du Disque de l’académie Charles Cros en 1976.
Si l’on réussit à faire abstraction d’un traitement sonore un peu daté, on ne peut être qu’admiratif devant le génie pur de ce disque où les ambiances sont tour à tour fiévreuses (« Si J’étais Le Messie »), violentes (« Les Longues Nuits d’Isaac ») ou même empreintes d’une délicieuse perversion (« Ballade Pour Une Orgie »). Le tout est interprété avec une sensibilité et une maestria proprement époustouflantes. Si certains titres évoquent irrésistiblement, c’est vrai, le Genesis de Foxtrot, c’est avec une telle sincérité et un tel talent que l’on oublie vite la comparaison après quelques écoutes.
L’album est de surcroît littéralement habité par la poésie et l’âme tourmentées de Christian Décamps, un des rares poètes français vivants à ce jour, aussi brillant qu’injustement méconnu. Il mènera « son » groupe jusque dans les années 2000 avec une ténacité rare malgré les différents et nombreux changements de personnel.
La dernière tournée avec la formation originale eut lieu en 1995. Elle remporta un succès sans précédent et fit l’objet de l’enregistrement de deux albums live, Rideau ! et A…Dieu. Ce dernier reprend d’ailleurs Au-delà Du Délire dans son intégralité, preuve de la longévité exceptionnelle de ce disque qui s’impose comme une étape incontournable pour tout fan de rock progressif qui se respecte.
Bien au-delà encore, il s’agit surtout d’un album magistral, envoûtant, et passionnant de bout en bout.