Steven Wilson - The Harmony Codex

Sorti le: 29/09/2023

Par Raphaël Dugué

Label: Virgin Music Group

Site: https://stevenwilsonhq.com/

« Trop seul en studio, trop rongé par ses références, pas assez net dans son propos […] Steven part seul sur les sillons et nous laisse sur le bord de la route. », c’est ainsi que se terminait notre chronique sur le précédent album de Steven Wilson, The Future Bites qui avait globalement déçu. En effet, comme il nous l’indiquait dans une interview en 2021, The Future Bites est l’un de ses albums solo les moins collaboratifs. Est-ce parce qu’il avait senti l’impasse dans laquelle il s’était enfermé ou simplement pour trouver du nouveau, toujours est-il que The Harmony Codex prend la direction opposée pas tant musicalement que du point de vue de la production.

Car Steven Wilson s’est entouré de nombreux·ses musicien·ne·s issus de différents genres musicaux apportant une fraîcheur bienvenue. On retrouve certains compagnons de route de longue date, Nick Beggs, Theo Travis, mais aussi de nouveaux venus comme Samuel Fogarino, batteur du groupe Interpol, ou Nils Petter Molvær , trompettiste norvégien vétéran du label de jazz ECM. Les contributions de Niko Tsonev à la guitare, à qui Wilson a demandé des soli étranges et beaux, sont particulièrement réussies. Cet aspect collaboratif est marqué aussi dans la composition puisqu’ Adam Holzman est crédité sur « Economies of Scales » pour la création du motif électronique et que Ninet Tayeb est créditée seule (une première sur un album solo de Wilson) sur le magnifique « Rock Bottom », une ballade puissante qui n’aurait pas été déplacée pour le générique d’ouverture d’un James Bond.

De The Future Bites, il reprend et explore les éléments les plus saillants (l’électro, les claviers analogiques) et laisse de côté le moins réussi (le disco, le funk, la pop évidente). Ces éléments électroniques sont ici mélangés avec le progressif de Hand. Cannot. Erase. (« Impossible Tightrope » et « Staircase » en sont de parfaits exemples), l’indus de Insurgentes (qu’on retrouve sur l’excellent « Beautiful Scarecrow ») et les expérimentations des débuts de Porcupine Tree influencés par Pink Floyd et Tangerine Dream (« The Harmony Codex ») sans oublier la sensibilité pop qui traverse l’œuvre de SW (« What Life Brings »). En ce sens, The Harmony Codex est bel et bien un nouveau territoire sur lequel toutes ces influences se croisent pour dessiner un paysage musical inédit à la fois atmosphérique et étrange.

Steven Wilson met moins l’accent sur les mélodies (qu’on retrouve quand même sur les superbes harmonies vocales de « Economies of Scale ») pour travailler les ambiances, les textures sonores et la dramaturgie des titres. Car cet album met souvent en place des dispositifs sonores élaborés afin d’accentuer certains moments particuliers comme l’arrivée de la voix a capella après une introduction électronique puissante et 8 secondes (!) de silence sur « Inclination » ou la basse qui ne rentre que lors du solo de guitare sur « What Life Brings » pour lui donner plus d’impact. Le magnifique « Staircase », en est l’exemple le plus évocateur, titre qui propose un véritable voyage ne ménageant pas les surprises. 

Côté sonorité, The Harmony Codex est loin d’être un album électronique froid notamment grâce à l’emploi de synthétiseurs analogiques (Moog, ARP 2600, Moog Arpeggiators). Wilson joue aussi du contraste entres sonorités froides et instruments plus chaleureux (la trompette sur « Inclination », la guitare acoustique de « Economies of Scale »). Le mixage renforce cette approche avec des basses extensives, une nouveauté pour Wilson qui nous avait habitués à des mixages plus analytiques (on est loin de Fear of a Blank Planet). Dans son ensemble, le disque est un véritable travail d’orfèvre qui fourmille de détails dans les textures et les ambiances. Une densité qui n’est jamais étouffante. 

Avec The Harmony Codex, Steven Wilson réussit à transcender ses différentes influences pour proposer une œuvre plus singulière et convaincante que ses deux derniers albums. Encore une réussite pour un artiste dont la créativité musicale ne semble pas être affectée par les années.