Porcupine Tree - Le trait d'union

02/11/2022

Zénith de Paris - Paris

Par Florent Canepa

Photos : Benjamin Delacoux / Gérard Drouot Productions

Site du groupe : https://porcupinetree.com/

Setlist :

Set 1 : Blackest Eyes - Harridan - Of the New Day - Rats Return - Even Less - Drown With Me - Dignity - The Sound of Muzak - Last Chance to Evacuate Planet Earth Before It Is Recycled - Chimera's Wreck / Set 2: Fear of a Blank Planet - Buying New Soul - Walk the Plank - Sentimental - Herd Culling - Anesthetize - Sleep Together / Encore: Collapse the Light Into Earth - Halo - Trains

Près de douze ans d’absence. Loin des regards, loin de la scène, mais pas loin du coeur car Porcupine Tree a su garder sa place de choix auprès de ses fans et sans doute d’une communauté plus large grâce à l’amplitude de la carrière solo de son principal instigateur. Car Porcupine Tree est protéiforme par essence : d’abord projet solo/duo potache de fin d’école, puis band à part entière, et enfin reconstitution partielle mais tout de même forte autour du leader désormais incontesté. Difficile de passer sous silence (dans tous les sens du terme) l’absence de Colin Edwin, disparu des radars, de la promo et de la compo, mais dont l’assise droite et groove à la fois résonne encore dans tout le corps. Nate Navarro qui officie sur scène fera tous ses efforts et substitue le dynamisme à la nonchalance de son prédécesseur, mais le groupe ayant atteint une alchimie particulière en quatuor, sa disparition n’est pas neutre.

Généreux et ne partageant l’affiche qu’avec eux-mêmes pour notre plus grand bonheur, les Anglais nous offriront ce soir là près de trois heures de show, divisées en deux parties avec un entracte en son coeur pour reprendre ses forces (ou une bière, selon). Le démarrage est certes amoindri par les réglages d’ingénierie sonore sur le mordant « Blackest Eyes », mais rapidement la vitesse de croisière s’installe sur les titres du récent Closure/Continuation. Une partie du public encore assez étranger aux nouvelles compositions du groupe s’enthousiasme rapidement pour « Harridan », petit manuel de Porcupine Tree illustré qui passe par toutes les ambiances, mêlant métal, tribal, pop, psyché. C’est à ce moment que Richard Barbieri commence à montrer son talent de designer sonore, installant des nappes dont le versant électronique fait parfois penser à Tangerine Dream. Enchaînant sur le faussement pop « Of the new day », Porcupine Tree prouve que les compositions studio trouvent une nouvelle saveur sur scène. Il faut dire que Steven Wilson aura depuis plus de vingt ans travaillé son assurance sur scène, en tant que chanteur et performeur. Peut-on même comparer le jeune intello timoré des débuts, presque caché derrière sa guitare et ses cheveux, à l’icône progressive d’aujourd’hui, dopée par ses escapades solo, depuis devenues la norme. La voix plus assumée et plus en force se passe majoritairement d’effets (et de falsettos !) et offre un côté brut et rock, les facéties atmosphériques étant réservées à Randy McStine et ses choeurs particulièrement réussis, que ce soit pour doubler ou en écho du maître de cérémonie. « Of the new day », ce sont aussi des riffs qui frisent avec le rock alternatif et déploient toute leur force avec des effets visuels hypnotiques en fond de scène.

On termine la (re)découverte du dernier album avec « Rats Return », fan service plus assumé aux amateurs de mesures composées. Plus assis et peut-être un peu moins percutant que sa version sillon, le morceau a aussi le mérite de valoriser la rythmique Gavin Harrison / Nate Navarro qui fonctionne plutôt très bien. On embarque ensuite dans la machine à remonter le temps avec le floydien « Even Less » (dans sa version un peu écourtée). Majestueuse comme à son habitude, cette interprétation fait honneur aux précédentes et installe aisément le groupe une fois de plus dans le panthéon des musiques progressives et expérimentales. L’inaltérable « The Sound of Musak » enfonce le clou et le set soulignera d’ailleurs l’importance de la pierre angulaire que représente In Absentia et ses sonorités plus métal. La majorité de la set list se concentre en effet sur cet album et le dernier en date, joué dans son intégralité. Précédé d’une brit joke (et aussi vrai regard de Wilson) sur l’évolution de la musique et sa banalisation dans l’environnement humain, ce titre phare de la carrière du groupe emporte l’adhésion d’une salle qui commence à réellement communier et sait parfaitement pourquoi elle est là. Encore un cran plus pop (on est chez Radiohead première période si l’on veut), « Drown with me », morceau hyper réussi et mélodique du back catalogue du groupe s’offre une nouvelle jeunesse et fait balancer les têtes et les coeurs. En regard, le récent « Dignity » s’impose en miroir et affirme son statut de nouveau classique acoustique, dans la veine de Blackfield, le final incisif et cosmique en plus.

Exit la pop et bienvenue dans l’univers atmosphérique. Car c’est aussi cela la force de ce groupe unique : trouver une cohérence (un album de Steven Wilson n’est pas un album de PT qui a des marqueurs spécifiques) tout en offrant une gourmandise de styles ou d’aspérités. On se laisse ainsi porter par le trop rare « Last chance to evacuate planet earth before it’s recycled ». Comme le souligne Steven à un moment du concert, c’est aux T-shirts des fans que l’on reconnaît l’hagiographie d’un groupe. Et ce soir-là on pouvait trouver effectivement aussi bien Bauhaus que Dream Theater. Ces plages plus aériennes permettent de réveiller les claviers de Monsieur Barbieri qui s’en donne à coeur joie (enfin… toujours tout en flegme). Le final du premier set prolonge le voyage cosmique avec « Chimera’s wreck », extrait du dernier album. Dix minutes planantes à souhait et finalement hommage au passé plus éthéré du groupe, quand les mid tempo faisaient loi. Randy Mc Stine se montre encore solide à la fois dans les choeurs mais aussi dans les soli. Avec son mantra « I’m afraid to be happy and I / Couldn’t care less if I was to die », le morceau fleuve distille parfaitement son ambiance avec un lightshow démentiel. Il faut souligner d’ailleurs cet aspect de la tournée qui se focalise plus sur des effets hypnotiques ou enveloppants de lumière (selon les ambiances) que sur des accompagnements visuels vidéo, comme ce fut le cas par le passé, et encore chez les maîtres du genre comme Tool. Cette sobriété permet de se concentrer sur le propos musical, et le pari esthétique est réussi.

C’est déjà la fin d’un premier set tellement dense que l’on comprend la nécessité d’un entracte (qu’il soit psychique ou technique). Vingt petites minutes plus tard, c’est parti pour l’acte II qui, comme un miroir du premier set, démarre par un titre d’ouverture qui met tout le monde au garde à vous : « Fear of a blank planet » et sa syntaxe dépressive qui n’offre que peu d’espoir aux générations futures, à part des pilules pour faire passer la pilule. Un peu moins sauvage et réussi que les versions au moment de la promotion de l’album, le titre reste néanmoins très plaisant et affirme l’aspect métal progressif du groupe. Petite pause acoustique avec l’étonnant et rare « Buying new soul » (où l’on perçoit les liens non explicites entre Porcupine Tree et Pinapple Thief où officie désormais Gavin Harrison). Comme sur « Last Chance », Steven Wilson prend plaisir à reprendre les claviers qu’il snobait un peu plus sur ses présences soniques solo. Pépite méconnue du catalogue, le titre en sacrifie forcément d’autres qui auraient pu être retenus, mais prend tout son sens et son envol en provoquant l’enchaînement vers l’électro psyché « Walk the plank ». On bascule plus chez Depeche Mode à ce moment là et le son rappelle aussi The Future bites, dernier effort solo inégal de Steven Wilson. Richard et Steven peuvent continuer de dialoguer et la basse de Nate Navarro se fait plus pertinente. Véritable dédale soundscape, le morceau est presque étonnant pour Porcupine Tree, mais pas tant que cela lorsque l’on repense à l’odyssée Voyage 34. Le groupe aurait pu retenir « Lazarus » mais c’est « Sentimental » qui officie comme ballade mélancolique et stellaire. Steven, seul en scène avec son Mac et son piano, est presque une photographie du jeune adolescent qu’il devait être, la tête remplie de mélodies qu’il a pu exprimer sous des formes si multiples. Changement de ton radical avec la meute de « Herd Culling », brillant morceau de Closure/Continuation, dont l’aspect incisif est renforcé par un petit film d’animation en vision subjective. Un riff comme un écho vingt ans après « The Sound of Musak » mais aussi proche de certains traits très metal de The Incident (totalement absent des deux sets !) avec son criant « Liar ».

Vous en voulez encore ? C’est parti pour dix-huit minutes du chef d’oeuvre « Anesthetize » et son passage hyper métal en milieu de parcours, comme le souligne Steven Wilson avant d’attaquer cet Everest musical. Mon voisin se navre un peu que ce ne soit pas « Arriving somewhere » qui ait occupé cette place mais, entre les deux, c’est un peu le choix de Sophie. Et il faut bien dire que personne n’a boudé son plaisir en gigotant ardemment sur la deuxième partie du titre, dont la puissance mélodique pop sous des habits rock emporte toujours tout sur son passage. On poursuit le chemin balisé avec le frontal « Sleep Together », noir comme l’encre et sa rythmique répétitive et hypnotique. Ici aussi on aurait pu lui substituer un titre plus fin et surprenant du catalogue mais qu’importe. Les rappels arrivent et tout le monde est déjà conquis par la déflagration sonore et visuelle qui vient de s’abattre sur le Zénith, et encore incertain qu’un tel événement se reproduise de sitôt.

Le magnifique « Collapse the light into earth » avec Steven et son piano, seuls en scène, nous démontre s’il en était besoin à quel point il est un compositeur de génie qui pourrait tutoyer les classiques Anglais, à commencer par les Beatles. « Halo » redonne un petit coup d’énergie et représente (enfin !) un aperçu de ce fantastique album qu’est Deadwing. Metal, groove et pop dans son refrain, ce morceau n’est pas le meilleur du groupe mais un digne représentant de tout ce qu’il sait faire. Steven y gratte avec désinvolture et espièglerie. Dans une dernière adresse à la foule, il se désolera mais finalement plus trop que Porcupine Tree n’ait jamais eu de hit single, de classic track, de ceux qui de « Eye in the sky » d’Alan Parsons à « Creep » de Radiohead s’immiscent dans l’inconscient collectif. Le Daily Telegraph qualifiait il y a peu Steven d’ « artiste le plus couronné de succès dont vous n’avez jamais entendu parler ». « Trains », en final assez classique, permet aux fans de clapper avec entrain et de reconnaître une dernière fois le talent phénoménal d’écriture et de jeu du groupe, qui même s’il devait disparaître complètement (Closure, plus que Continuation) laisse derrière lui un héritage hallucinant qui est inoxydable pour plusieurs vies ou réincarnations.