Double dose infernale

17/10/2022

Hellfest - Clisson

Par Florent Canepa

Photos : Christian Arnaud

Site du groupe : https://www.hellfest.fr

Hellfest 2022, ou « l’édition du siècle ». L’organisation avait mis les bouchées doubles pour la quinzième édition de ce festival qu’on ne présente plus. Deux weekends consécutifs (« Part 1 » et « Part 2 »), sept jours de concerts, et 350 groupes rien que dans la programmation officielle : qu’en retenir au final ?

Les deux dates auront d’abord été marquées par des conditions climatiques très différentes : canicule en Part 1, arrivée des orages et boue en Part 2. Mais en définitive c’est le nombre et la qualité des prestations scéniques qui les distingueront : avantage au premier en termes de qualité, et au second en termes de quantité.

Du Hellfest Part 1, on retiendra surtout la prestation exceptionnelle de Mono. Alliés pour l’occasion à Jo Quail en format quatuor à cordes, les quatre musiciens japonais délivrent un set d’une puissance hypnotique rarement atteinte même sous ce temple du psychédélisme et de la lourdeur qu’est la Valley. Une heure de set où les deux formations tissent la toile d’une musique captivante dont on ressortira abasourdi. L’impact visuel du show est assuré par la disposition des deux groupes : Mono au premier plan, Jo Quail et ses musiciens au second plan, assis sur de petites estrades, bien stables avec leurs instruments. Vers le milieu du set, l’une des musiciennes descendra de son estrade pour rejoindre un clavier positionné tout à gauche de la scène et livrer une prestation piano-voix avec un accompagnement plus léger que ses sept comparses, ce qui assurera le seul intermède réellement aérien d’un show tellurique et enlevé. Une intensité que seuls battront, peut-être, les sept musiciens d’Envy qui succèderont à leurs compatriotes japonais un peu plus tard dans la soirée.

Mention spéciale également à Alcest qui, le lendemain sous la Temple, prouvera qu’il est amplement digne du statut de tête d’affiche qui lui a été conféré pour l’occasion. Neige, Winterhalter et les deux musiciens complétant le line-up de la formation en live délivrent un set onirique et entraînant, en ligne avec la musique et l’esthétique du projet, revisitant au passage l’ensemble de leur discographie (même si la setlist fait la part belle au dernier album, Spiritual Instinct, avec trois morceaux dont l’excellent « Sapphire »). Le son est véritablement impeccable (ce qui est loin d’être systématiquement le cas sous la Temple, comme l’ont prouvé de nombreuses expériences malheureuses), et tous les morceaux prennent ainsi une nouvelle dimension en live, propulsés notamment par un travail d’orfèvre à la batterie. On apprendra le lendemain, en traînant du côté de l’espace VIP, que Neige, insatisfait du rendu de sa voix, aurait décidé de bloquer la rediffusion du concert pourtant capté par les équipes expertes d’Arte Concert, mais ce soir-là dans le public on ne se sera rendu compte de rien, transportés qu’on était par la musique et le chant.

Il faudra attendre la Part 2 et les excellents Zeal & Ardor pour trouver une formation qui sache rivaliser avec les deux précitées. Sous une Temple pleine à craquer, les cinq musiciens (dont deux choristes) réunis autour de Manuel Gagneux enflamment la foule de leur fusion originale entre gospel habité, rock’n’roll puisé aux sources mêmes du Crossroads et fièvre métallique luciférienne. La prestation sera d’une qualité telle qu’elle fera de l’ombre aux deux groupes suivants, pourtant têtes d’affiche de cette journée sous la Temple. Peut-être est-ce dû à l’absence de surprise, mais Heilung, découvert sous cette même tente en 2018, livre à nouveau une exécution sans faute de sa cérémonie païenne antique reconstituée, sans que l’émotion soit autant au rendez-vous. Solstafir, également vu ici en 2018, donnera ensuite un concert plus « propre » qu’il y a quatre ans – le groupe étant arrivé à Clisson sans son matériel, il avait dû emprunter des instruments à droite à gauche, et avait livré un set honnête, mais un peu écourté et forcément moins virtuose. L’intensité est cependant là aussi un peu moindre qu’avec Zeal & Ardor. Peut-être est-ce dû à un choix de morceaux différent, laissant de côté les hymnes entraînants de l’excellent Berdreyminn qui figuraient au menu de l’édition 2018 ?

Pour cette copieuse édition 2022, Part 2 se poursuit ensuite avec la prestation très attendue de Earth sous la Valley. Les parrains, que dis-je, les patrons d’un rock instrumental lourd ayant donné naissance au style « drone/doom Metal » livreront un show en tout point conforme à nos attentes : lent, planant et décontracté à la fois – de quoi nous consoler d’avoir déserté les Mainstages boueuses où se succèdent à la même heure les vétérans du Metal indus Ministry et Nine Inch Nails.

Dans la famille foutraque mais virtuose, c’est Igorrr qui investira la scène de la Temple le lendemain, pour un show retardé en raison de problèmes techniques, mais ne souffrant d’aucune baisse d’intensité une fois lancé. On en retiendra tout particulièrement la présence scénique et vocale fascinante de la chanteuse de la formation.

Nouveau moment de communion enfumé et psychédélique avec les Suisses de Monkey3 dont les volutes de son lourd s’élèvent avec ferveur sous la Valley, pour la grande joie des fidèles réunis. Une heure de trip intense et bienveillant qui nous aura permis de découvrir pour la première fois la magie live de ces vétérans. Par-delà les différences stylistiques évidentes, on pensera avec émotion au magnifique show donné sous cette même Valley en 2019 par leurs compatriotes des Young Gods. Quand il s’agit de musiques expérimentales, la Suisse en a manifestement sous la pédale !

A l’image de Mono & the Jo Quail Quartet pour le Hellfest – Part 1, c’est une nouvelle fois une collaboration qui nous livrera la prestation la plus mémorable de cette Part 2. Converge : Blood Moon voit en effet les quatre musiciens du groupe de post-hardcore Converge investir la scène de la Valley aux côtés de Chelsea Wolfe et de ses deux acolytes. Ensemble, les sept musiciens livreront une version habitée de leur album Bloodmoon : I paru en décembre dernier. Occupant tout l’espace sonique entre post-hardcore et doom Metal, teinté de cette touche « gothic » propre à Chelsea Wolfe, le set présente un point de fusion original où l’agressivité de Converge se voit sublimée par l’apport de Chelsea Wolfe et de ses deux musiciens, et où la léthargie qui guette par moments la prêtresse de l’americana gothic-rock sur ses derniers albums est ici réveillée par le quatuor emmené par Jacob Bannon et Kurt Ballou. Une alliance somme toute inévitable, si l’on songe que Converge est originaire de Salem… la ville des sorcières.

Nous terminerons ce Hellfest – Part 2 par l’évocation de la prestation scénique de la formation bordelaise culte Year Of No Light. Après sept ans d’absence discographique et un retour entravé, comme pour beaucoup d’autres, par l’irruption du Covid, le sextuor compte bien profiter au maximum de la demi-heure qui lui est offerte sous la Valley pour remettre les pendules à l’heure. Ce sera chose faite avec un show impeccablement construit, enchaînant Objuration et Alètheia (imparable single à l’introduction reconnaissable entre mille), les deux morceaux d’ouverture de Consolamentum (2021), et se terminant par l’ambitieux Stella Rectrix datant de Tocsin (2013). C’est avec ce mur de son dont le souvenir résonne encore à nos oreilles que nous clôturerons en beauté ce millésime 2022, déjà devenu un classique !

Ce live report a été réalisé avec la fantastique et précieuse complicité de Marc-André Allard, correspondant sur place car votre humble serviteur, attendant un heureux événement, a hélas dû laisser sa place dans le mosh pit. Mille mercis à lui !