Soft Machine - Facelift France And Holland

Sorti le: 25/03/2022

Par Florent Simon

Label: Cuneiform records

Site: https://www.softmachine.org/

Jamais avare en sorties depuis ces vingt dernières années, principalement chez Cuneiform Records ou MoonJune Records, Soft Machine n’avait quasiment rien d’autre à proposer que des lives aux allures de bootlegs. Si l’intérêt éveillé par ces disques est évident pour ces pionniers musicaux, celui-ci est trop souvent réduit à peau de chagrin à cause d’une qualité quasi-systématiquement médiocre. Le récent coffret 2xCD + DVD chez Cuneiform Records viendra-t-il relever le niveau, comme le Switzerland 1974 l’avait fait il y a quelques années ?

Commençons par une rectification : non, il n’y a pas que des rééditions. En 2018 est sorti un très bon nouvel album studio Hidden details attendu depuis des décennies. C’est donc avec une lueur d’espoir que nous abordons cette nouvelle archive -plus ou moins déjà connue par bribes- qui fera sans nul doute de nous les témoins d’une période maîtresse en matière de croisement entre jazz-rock et rock progressif.

Il s’agit donc de la seule archive vidéo de ce quintet, dont des extraits seront utilisés dans l’émission française Pop 2, et qui était déjà sorti en 2008 sous le nom de Live In Paris 1970. Le son et l’image y sont heureusement améliorés, du moins selon le dossier de presse. Car si la qualité sonore est supérieure aux précédentes éditions, d’épouvantables montages entre les sources sont toujours bien présents, de quoi rendre l’auditeur frustré par ces montagnes russes audibles.

Ce nouveau témoignage nous plonge donc ici entre le deuxième album Volume 2 (sorti en mars 1969 par obligation contractuelle, après avoir remplacé un Kevin Ayers introuvable par leur road manager et ami bassiste Hugh Hopper) et le troisième album Third encore dans les cartons. Pendant ce laps de temps, ils deviendront un des premiers fers de lance du courant jazz-rock de l’époque aux côtés de Miles Davis avec Bitches Brew ou Frank Zappa avec Hot Rats.

Nous retrouvons donc au bord de la machine molle à ce moment-là les toujours géniaux Mike Ratledge (claviers, flûte), Robert Wyatt (batterie, vocaux), Hugh Hopper (basse, guitare, alto sax) augmenté de Elton Dean (alto sax, flûte, claviers) et rejoints ici par Lyn Dobson (soprano sax, flûte, harmonica, vocaux), futur-ex cinquième membre officiel. Notons d’ailleurs qu’entre octobre et décembre de cette année 1969, ils deviendront un septet avec Nick Evans et Marc Charig, de quoi confirmer leur intentions instrumentales jazz. Mais l’idée sera rapidement abandonnée du fait des problématiques scéniques et financières d’un groupe de cette taille.

En ce qui concerne le contenu, nous retrouvons le menu du futur et culte Third (dont certaines parties proviennent d’autres concerts de la tournée) : «Facelift», «Moon in june», «Slightly all the time» ou encore «Out-bloody rageous» qui deviendront des références de leur catalogue scénique dans le futur, sans oublier la suite plus progressive «Esther’s Nose Job».

Le premier CD, dédié au concert du 2 mars au Théâtre de la musique de Paris, propose donc après les pièces «Eamonn Andrews», «Mousetrap» et «Backwards» ces longs morceaux aux ambiances tour à tour inquiétantes, nostalgiques, exploratoires et parfois emprunts de psychédélisme un brin désuet. Quelques surprises se cachent au détour d’un solo de flûte, ou d’une intervention vocale expérimentale, le tout dans un enchaînement maîtrisé. 

On regrettera que «Moon in june» soit ici tronqué de son solo d’orgue alors qu’il est présent sur d’autres éditions, d’autant qu’il faisait un pont parfait vers l’intervention vocale improvisée de Robert Wyatt, sorte d’incantation acidulée et reverbée. On appréciera par contre les auto-références mélodiques passées ou futures, comme le thème de «Dedicated to you but you weren’t listening» (Volume 2) ou la citation de «Pigling bland» (Soft Machine 5).

Le second CD donne un aperçu d’un autre concert de la tournée au Concertgebouw d’Amsterdam le 17 janvier, soit un peu plus tôt. Ce disque bonus n’a que peu d’intérêt, malgré un son correct et plus régulier. Il reprend les mêmes morceaux, et commence d’ailleurs en plein «Facelift». Il n’y a guère que «12/8 theme», morceau inédit pas désagréable, mais qui n’apporte rien de neuf.

Après le départ de Lyn Dobson, Third sort en juin 1970. Ce dernier y sera quand même invité, ainsi que les compères Nick Evans et Jimmy Hasting aux vents ainsi que Rab Spall au violon. Cet album sera le témoignage des dernières traces du psychédélisme et de parties chantées au sein de ce groupe qui n’en finira pas de se réinventer durant une décennie marquée de changements incessants.

Cette sortie a donc de quoi redonner des couleurs au groupe qu’on ose de nouveau appeler Soft Machine, et se pose comme le dernier document jalon à ranger entre les deuxième et troisième volets de son atypique discographie.