Alex Henry Foster & The Long Shadows au Zèbre de Belleville, Paris

24/10/2021

Le Zèbre de Belleville - Paris

Par Thierry de Haro

Photos: Christian Arnaud

Site du groupe : https://alexhenryfoster.com/

Setlist :

Ouverture - Slow Pace of the Winds - Summertime Departures - Winter Is Coming In - The Hunter (By the Seaside Window) - All the Violence in the World - Shadows of Our Evening Tide

Au lendemain d’une première partie (aussi intense que trop courte) du concert de The Pineapple Thief à l’Elysée Montmartre, Alex Henry Foster & The Long Shadows réservaient à leurs fans et aux nouveaux convertis de la veille, près de deux heures de musique au Zèbre de Belleville, un endroit si chaleureux qu’on pourrait se demander s’il n’a pas été conçu pour le groupe. Un après-midi unique en son genre, tant musicalement qu’émotionnellement, tant et si bien qu’il était impossible de ne pas relater ces fragments instantanés d’une  alchimie si pure à nos chromaticiens (et sympathisants) – dont la quête de la jouissance musicale absolue constitue à jamais leur richesse …

Dimanche 24 Octobre 2021, 15h30 … une épaisse fumée blanche s’élève d’un marécage sonore bleuté – musique envoûtante et paroles vagabondes – comme une insoutenable légèreté de lettres dans les circonvolutions enivrantes d’une guitare qui enrobe peu à peu nos sens : Alex Henry Foster & The Long Shadows sont entrés sur la scène d’un Zèbre de Belleville, paré de ses plus belles rayures en cette circonstance, sous les ovations d’un public conquis par avance. Il faut dire, qu’au-delà d’une musique en tous points remarquable, planante, gorgée d’émotions, nos Québécois véhiculent une bienveillance, un amour sincère, aussi bien pour celles et ceux qui voyagent en leur compagnie depuis plusieurs années, que pour les nouveaux ‘arrivants’ – dont votre humble serviteur fait désormais partie. Un exemple concret : à peu près 2h de concert, puis un peu plus de 2h30  d’échanges, de ‘hugs’, de sourires avec des musiciens – dont l’état d’esprit est indiscutablement  commun et réciproque avec son auditoire : le goût du partage,  le regard compréhensif et si proche de l’humain, celui qui souffre, celui qui est heureux, celui qui perd pied et celui qui revit. Bref, ‘l’Amour de l’Humain’ avec un grand ‘H’. Et avec une grande Hache pour trancher avec délicatesse les moments intenses d’un bonheur, qu’Alex et ses amis de toujours vont redistribuer à toutes celles et ceux qui se sont regroupés devant la scène !

Le public ayant été convié à s’installer confortablement dans la zone de bien-être générée par ‘Slow Pace Of The Winds’, Alex Henry Foster et ses ‘amis de toujours’ (la même bande avec laquelle il avait parcouru le monde dans toute sa dimension – époque ‘Your Favorite Enemies’, son groupe précédent) vont distiller tout au long du show quelques joyaux de ‘Windows In The Sky’- le dernier et magnifique album studio d’Alex.

‘Ô Temps suspend ton vol !’ disait Lamartine au bord du Lac, qui était sans doute celui des signes, tant la symbolique de cet album nous transfigure entre espoir d’un renouveau et désespoir de la perte d’un être cher. Mais surtout de nous arrêter, de laisser ‘le temps au temps’, d’alimenter notre réflexion sur le vrai sens de cette oscillation entre pleurs et culpabilisation avec celle du soleil levant, du regard sans fard sur soi-même, avec ses forces et ses fragilités. Il y a tout dans cet album dont le terme ‘somptueux’ serait une insulte à mes propres émotions, tant elles sont au-delà de ce simple mot.

- Que dire alors de l’interprétation ‘live’ d’une partie de cet album ? 
- Une grande claque !
- Des preuves ?
- Oui, par exemple, mon titre préféré, ‘Summertime Departures’ !
- Et alors ?
- Un peu moins de 5mn30s en version studio … plus du double en live – et surtout un côté ‘psyché’ vers la moitié du titre : 
  rythmes récurrents et invitation à l’oubli, chacun se noyant dans l’océan d’une salle transportée dans une autre dimension ! 
  Et ce morceau a duré plus de 21mn au Zèbre !
- Vous exagérez !
- Mais regardez donc cette vidéo … ce n’est pas celle du Zèbre, mais celle du Festival de Jazz de Montréal 
  … ça donne une idée de la puissance dévastatrice du riff final … qui commence à la moitié du titre ! 
- ‘Sometimes I dream I could sail through the past, beyond my craving illusions to let my teardrops fall into the ocean … into the ooceann’
- Mais revenez donc sur terre !
- ‘into the Ooocceeaann … the Ooocceeaann’ !

Cette voix posée sur un fil, dont la teneur émotionnelle fait tomber goutte à goutte des perles de félicité sur nos âmes embuées par les sentiments d’Alex, cette sensation unique et réciproque où chacun de nous y retrouve des lambeaux d’existences vécues, d’expériences à partager … peut-être une des raisons de ces moments uniques où les concerts et les ‘after-shows’ durent autant de temps ! Alex Henry Foster vit intensément sur scène, il crie sa peine, il transpire son bonheur retrouvé, sombre à nouveau dans un océan de rictus désespérés, puis renaît – oscillant entre doutes profonds et certitudes modérées. Alex Henry Foster est une personnalité rare, capable de transcender ses états d’âme devant un auditoire qui s’imprègne de ses émotions, comme de rares personnes sont capables de le faire : Jacques Brel à une époque, Steve Hogarth plus récemment.

Mais Alex n’est pas seul, Alex n’est plus seul après son exil à Tanger, faisant suite aux tourments d’une situation ambigüe entre reconnaissance et désamour d’un père qui n’a jamais été aussi présent depuis qu’il n’est plus là ! Les ombres de son passé sont toujours là, faisant corps avec lui à travers une musique exceptionnelle que l’ensemble du groupe magnifie sur scène. Il suffit d’écouter, puis de se laisser peu à peu aspirer dans les affres d’un ‘Winter is Coming’ bouleversant, suivi de ‘The Hunter (By The Seaside Window)’ pour se perdre dans les méandres obscurs de journées a priori sans lendemain. On se laisse alors emporter par les désirs troublants d’une musique, aussi complice que sangsue, qui nous drape de sa vertigineuse beauté, pour nous emmener de l’autre côté de la rive, là où les enfants qui pleurent un être cher, construisent les fondations d’un renouveau blotti entre les balbutiements d’un passé trop chaotique, trop fraîchement vécu ou volontairement ignoré, et la nécessité – voire l’évidence – de renaître de ses tortures intérieures en y projetant les lueurs puis les lumières d’un espoir qui va peu à peu couvrir de son aura bienfaitrice chaque parcelle abîmée par une vie que l’on aurait souhaitée autrement moins rugueuse.

Le souffle haletant d’un groupe à l’unisson, les flashs stroboscopiques qui s’entrechoquent entre rythmique et guitares, les notes qui défilent sous les doigts d’une basse hypnotique tenue par Jeff Beaulieu, tissant sa toile à régner entre les cordes du duo Sef-Ben Lemelin et les peaux de Charles Allicie – cette symbiose dont Miss Isabel constitue l’indispensable ciment aussi bien harmonique que vocal … tout cela constitue le ressenti qui nous transporte, titre après titre, vers la plénitude des sentiments, probablement recherchée par chacun d’entre nous. Et c’est sans doute pour cette raison que le temps s’arrête – ou en tous cas que l’on a tous envie de bloquer les aiguilles de l’horloge de nos propres vies – sur ces moments intenses de partage que l’on est en train de vivre …

Le concert se termine sur ‘Shadows Of Our Evening Tides’, note d’espoir et ode à la lumière qui renaît après tant de sentiments contrastés. Un titre dont le refrain aurait même pu être écrit par Coldplay (la voix d’Alex étant ici proche de celle de Chris Martin sur celui-ci), tant le côté pétillant de la résurrection s’impose à nos oreilles ! Bien évidemment, la mise en lumière de ce titre, placé en fin de concert entraîne une interprétation tout autre que celle du disque, où l’espérance s’entrelace avec la résignation au fil des sillons (voir interview à suivre). Mais ce joyau transcendé par les interventions vocales de Miss Isabel, toujours placées à l’endroit où l’excellence harmonique se doit d’atteindre l’olympe musicale, apporte l’adrénaline passionnelle que tout mélomane avide de sensations recherche dans sa quête de ’l’absolu féérique de la musique’.

Un concert d’Alex Henry Foster & The Long Shadows est tout cela, un festin d’émotions dont chaque spectateur-convive se délecte pour en tirer la saveur intense de la joie qui va irriguer ses sens. Ils reviendront à l’été 2022 sur Paris et j’ai même entendu dire que certains allaient décaler leurs vacances d’été pour être présents en ce 4 Août au Supersonic …