Red Fiction - Visions of The Void

Sorti le: 13/11/2020

Par Jean-Philippe Haas

Label: Tzadik

Site: https://www.redfiction.com

Membre de Secret Chiefs 3 et d’Estradasphere, puis maître d’œuvre d’Orange Tulip Conspiracy et d’Atomic Ape, Jason Schimmel s’était fait discret depuis Swarm. Désormais signé par Tzadik, le label de John Zorn, il opère avec son nouveau groupe Red Fiction un virage assez serré que le visuel macabre laisse deviner.

Pourtant, « Kerberos » semble reprendre les choses là où Schimmel les avaient laissées. Ce mélange expérimental et presque exclusivement instrumental de rock sauvage, de jazz et de folklore balkanique s’inscrit bien dans la continuité de ses précédentes productions, tout comme la profusion d’instruments : outre le trio guitare / basse / batterie, les compositions sont copieusement arrosées de saxophones, de trompette et de flugelhorn, mais aussi de clarinette, d’accordéon, de bouzouki, et d’alto. Mais si le titre d’ouverture rappelle bien le style qu’on connaissait au musicien, la suite est loin de broder sur le même canevas. Visions of The Void bifurque sur un chemin très cahoteux : les guitares sont beaucoup plus nerveuses, plus heavy, les saxophones troquent parfois leurs voix chaleureuses contre des plaintes suraiguës (la source d’inspiration de Ryan Parrish ne laisse à ce sujet aucun doute) et divers effets électroniques sous-tendent toutes ces rugosités. Tout cela distille au long de l’album une ambiance délétère, une tension à couper au couteau, que quelques rares passages seulement viennent atténuer. Certains titres particulièrement pesants comme « Laceration » évoquent des groupes comme Jerseyband, dans la façon qu’ont le saxophone ténor et les grosses guitares de générer un véritable rouleau compresseur. D’autre part, les plages les plus courtes explorent de nouveaux territoires, entre bruitages et illustration sonore, comme sur le brumeux « Pratfall II », rampe de lancement pour le sombre « Clone 13 » ou l’angoissant « Chromatopsia » et son final quasi black metal. L’association entre la sauvagerie électrique et la chaleur des instruments acoustiques n’est pas toujours heureuse et beaucoup s’y sont cassé les dents, mais Schimmel, fort d’une longue expérience, sait parfaitement doser et adapter la production à ces échanges entre deux univers généralement peu perméables.

Visions of The Void est le côté obscur de son créateur, un album où une lourdeur oppressante a remplacé les insouciantes péripéties d’autrefois. Pour autant, les réjouissances musicales sont nombreuses et pour peu qu’on apprécie les groupes cités en introduction, on trouvera largement son compte dans cet album tortueux.