Romantic Warriors IV - Krautrock – Part I

Sorti le: 30/09/2019

Par Jean-Philippe Haas

Label: Zeitgeist Media

Site: http://www.progdocs.com/

Adele Schmidt et Jose Zegarra Holder continuent sans relâche de vous raconter la grande histoire des musiques progressives au travers de leur série documentaire nommée Romantic Warriors. Le troisième volet vous avait entraîné dans les contrées chamarrées et jazzy du genre appelé Canterbury, l’occasion d’entendre une dernière fois feu le truculent et si attachant Daevid Allen. Ce quatrième volume s’attaque à une mouvance née en Allemagne : le Krautrock. Une dénomination pas forcément engageante qui englobe pourtant des artistes innovants comme Kraftwerk, Tangerine Dream, Ash Ra Tempel et Can (on vous conseille d’ailleurs l’excellent livre d’Eric Deshayes) ou encore le bien-nommé Neu ! Pas moins de trois parties sont prévues pour vous conter la passionnante aventure de ces groupes pour la plupart oubliés ou redevenus confidentiels aujourd’hui, mais animés dans les années soixante-dix par l’envie commune d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice des musiques expérimentales et de se démarquer de la domination anglo-saxonne et américaine. Des sous-titres en français, anglais et italien permettent d’y comprendre quelque chose dans un reportage où l’on s’exprime en anglais et dans la langue de Goethe. De nombreuses anecdotes parsèment les entretiens, et les Allemands n’en sont pas avares !

La première partie, présentée ici, a pour ambition de dresser un portrait des pionniers du genre, issus principalement des régions de Cologne et de Düsseldorf. C’est à Can que revient l’honneur d’ouvrir le bal. Chaque membre, à commencer par Irmin Schmidt, raconte « son » Can, emblématique formation qui a réuni des musiciens d’horizons aussi différents que le rock, la musique classique, le jazz. Cet agrégat improbable a composé et enregistré, souvent spontanément, quelque chose de réellement nouveau, bien éloigné de ce qui déferlait dans les oreilles des Occidentaux à cette époque. Les univers très variés des musiciens, les nouvelles technologies, la répétition de séquences, l’intégration de sons de l’environnement et, instrument à part entière, la voix, qu’il s’agisse du chant rythmique de Malcolm Mooney ou celui, dans une langue inventée, de Damo Suzuki : toutes ces composantes ont fait de Can un groupe unique dont l’influence est encore reconnue de nos jours.

Mais « Krautrock » une étiquette on ne peut plus volatile. Ainsi les membres de Floh de Cologne se définissent non comme des musiciens mais comme des acteurs jouant de la musique, et n’ont pas grand-chose à voir avec Can, avec leurs textes satyriques, outranciers, influencés par de grands auteurs allemands tel Bertold Brecht. Et Kraftwerk, qui d’un rock expérimental au tout début des années soixante-dix, est peu à peu passé à une musique presque intégralement électronique, avec le succès que l’on connaît, ne ressemble également qu’à lui-même. Parmi les musiciens qui en ont fait partie à ses débuts, on trouve Michael Rother et le batteur Klaus Dinger, membres fondateurs de Neu ! Dans le chapitre consacré à cette formation plutôt radicale, les auteurs en profitent pour rendre hommage aux hommes de l’ombre, assis derrière leur console, des ingénieurs du son au rôle prépondérant comme Conny Plank. Ce magicien du bidouillage sonore n’a pas été pas étranger à la personnalité et la singularité du son de Neu ! Outre les groupes de Krautrock, son CV contient des collaborations prestigieuses : Scorpions, The Killing Joke ou encore le premier album de Rita Mitsouko. Arte lui a consacré en 2019 un documentaire intitulé Mon père Conny Plank, révolutionnaire du son.

On a du mal à croire aujourd’hui que ces formations pour le moins atypiques ont eu un succès réel voire massif en Allemagne, et certains d’entre eux même à l’international, tant leur musique était parfois totalement anti-commerciale. A cette époque, un temps lointain et révolu où les maisons de disque prenaient des risques, un groupe alors totalement inconnu appelé Faust et muni seulement d’une demo, a même obtenu une somme d’argent considérable de Polydor pour enregistrer son premier album ! Le sextuor, avec son bassiste français Jean-Hervé Péron, a ainsi pu passer de nombreux mois à peaufiner ses enregistrements dans la campagne allemande, dans une école transformée en studio. Depuis, Faust est devenu une référence du genre et continue inlassablement à produire des disques.

Le film de la paire Schmidt / Zegarra Holder se termine comme il a commencé : en donnant la parole à un jeune groupe de la scène Krautrock. L’introduction avait été confiée aux Allemands d’Electric Orange, la conclusion sera laissée à Wume, duo mixte de Baltimore, dont le nom s’inspire de Wümme, le petit village où Faust enregistra naguère. En attendant la seconde partie du documentaire, les bibliophiles mélomanes (et anglophones) pourront se reporter à l’ouvrage Krautrock – Cosmic rock and its legacy publié en 2009, un ouvrage un peu austère mais plutôt complet. Si on peut regretter l’absence d’extraits vraiment consistants, voire de titres entiers joués par les groupes (ne serait-ce que pour donner au novice une idée globale de ce qu’est le Krautrock), on (re)découvre avec plaisir ce pan un peu oublié mais si riche de la musique d’avant-garde qu’ont produit nos chers voisins teutons.