Hellfest

06/08/2019

- Clisson (44)

Par Florent Canepa

Photos: Christian Arnaud

Site du groupe : https://www.hellfest.fr/

Juin. Ce mois du soleil qui chauffe, des esprits qui se libèrent, prêts à plonger dans l’été bienvenu mais aussi de la récurrente grande messe métal franco-dominante : le Hellfest. Nous sommes allés grappiller çà et là en terres nantaises et au milieu des hordes de concerts (plus de cent soixante groupes programmés) ce qu’il fallait de décibels plus ou moins subtils, plus ou moins aboutis mais toujours généreux. Car c’est un festival-maître étalon qui s’offre une fois de plus une nouvelle peau – bonus en guise de Knotfest sur le site la veille, espace restauration chic en mode rue pavée et ombrelles ou multiplication des dessoiffeurs au gré de ses priorités. Et sur les pelouses, une avalanche de festivaliers, trop heureux d’être là et de partir à l’assaut des six scènes proposées. Historiquement et depuis sa mise en place, la Valley proposait une programmation en ligne (plus ou moins) avec le corpus éditorial de votre webzine, mais aujourd’hui c’est un peu partout qu’il faut aller à la rencontre, parfois incidemment, de la musique « autrement ».

Affublé d’un créneau ingrat, Klone prend possession d’une main stage en mode déjeuner tardif et on anticipe que cette configuration ne sera peut-être pas le meilleur service à leur rendre. Oserait-on dire que malgré un son très rond et enveloppant, le set dérive vers du sympathiquement ennuyeux ? Concernés, les Français délivrent une suite d’évolutions planantes qui font ressortir le manque de « chansons ». Et pourtant, l’exégète discographique sait que le chemin parcouru est plus qu’intéressant. C’est le problème du butinage festivalier : il n’est pas impossible de partir avant la fin d’un concert, ce que fait une partie de la foule, elle, peu concernée.

Ce jour-là, c’est Dream Theater qui peint le portrait d’un métal progressif flamboyant. Sans doute pas la meilleure performance qu’ils ont proposé en terre nantaise, les Américains font néanmoins résonner la puissance des compositions d’un dernier album bien construit et qui trouve ici son extension live réussie. Pour agrémenter les nouveautés, on se plaît à convoiter des pépites du passé à l’image de « Peruvian Skies », ou, plus ancien encore, le mordant « Lie », qui convient bien à la couleur métal du festival. Huit morceaux d’une setlist composée pour l’occasion puis s’en vont, la tête haute. Côté Français, ce vendredi, c’est Gojira qui devait faire trembler les murs ou plutôt l’air de la main stage. Puissants et narratifs, la bande des frères Duplantier convainc sur ses points forts (« Stranded » ou « L’enfant Sauvage ») mais perd un peu les auditeurs sur la longueur. Il faut dire que – pour ceux qui étaient là quelques heures plus tôt – Mass Hysteria, dans un registre certes différent, avait mis tout le monde d’accord avec un show magistral qui démontrait que la « maturité » n’était pas un vain mot de chroniqueur pour les anciens adeptes du nu métal, aujourd’hui libérés de toute étiquette. Un peu plus tôt et loin des scènes principales, il fallait être attentif à la démonstration des toujours très pros Carcass, assénant une technique plus convaincante que Pestilence, dans une acception death. A retenir aussi : Kvelertak, vraie révélation brutale en concert ou les déments et joyeux drilles costumés de Trollfest.

Jour Deux. Un voyage aux allures FM se préparait avec Def Leppard et Whitesnake mais les accents soniques prenaient une autre forme dans la journée. Trepalium, autre membre du collectif Klonosphere, sortait ses griffes pour réinventer un death électrisant et perturbant. Une demi-heure a suffi pour entraîner une foule ravie d’être là. Au rang des gagnants, on retrouvait aussi The Ocean, qui proposait quelque chose de vraiment différent, épique et post jusqu’au final où son chanteur s’offrit à la foule. Mantar, qui avait excité sur album avec sa formation étonnante batterie-guitare intrigue sur scène mais ne parvient pas à vraiment décoller, malgré un son massif. C’est du côté de Sumac et Cult of Luna en fin de nuit qu’il faudra puiser la force troublante et susciter l’étonnement auditif. Les premiers en assénant une forme de déluge sonore qui en perd plus d’un mais plonge ceux qui le souhaitaient dans une transe sidérante. Les seconds en faisant danser les ombres et les larsens dans un dédale atmosphérique de haute volée. S’il est difficile de faire un compte rendu exhaustif de la pièce montée que constitue un concert de Kiss, ici à la lisière de nos habituelles chroniques, nous dirons seulement que, ce soir-là, il fallait être fou ou sourd pour ne pas avoir une preuve auditive et visuelle de l’évidente place des Américains masqués au panthéon du rock.

C’est déjà le dernier jour qui pour nous allait constituer une apothéose en forme de Tool. Avant cela, place une nouvelle fois au death thrash technique avec une jolie continuité (Trivium, toujours aussi sympathique dans ses accents groove et ses compositions foutraques) et un come back plutôt sympathique (les oubliés Death Angel, en forme pour une après-midi au soleil). Plus persuasifs, Yob donnait à entendre un doom inspiré et plus éloigné des sentiers balisés qu’il n’y paraîtrait. Et pour officialiser la soirée, les Young Gods, étonnante addition à la programmation, déroulaient les arcanes d’un rock industriel planant. Les Helvètes n’avaient pas sorti leurs armes les plus métalliques (exit les compos de TV Sky) mais ont offert à un public clairsemé des accents électroniques et émoustillants. Difficile de passer sous silence l’ultime concert ultra réussi des légendaires Slayer. Point de progressif mais une force de riffs de tous les instants, sous fond de jeux de flammes. Au palmarès de la journée, il fallait aussi retenir Gold et plus particulièrement le jeu de sa chanteuse Milena, magnétique dans son expression dark goth toute en costumes. Autre palme du charme, celle décernée au jazzy doom de Messa et sa chanteuse Sara.

Finir avec Tool, c’est finalement offrir un cadeau de choix à celles et ceux qui sauront le déballer avec délectation. Évident « buzz » de cette édition au regard de leurs rares apparitions scéniques et discographiques, Tool a su créer l’émoi. Une partie du public – l’heure tardive n’aidant pas – ne s’est pas retrouvée dans la hype et le trop d’anticipation est venu à bout de leurs espérances. Les autres groupes de Maynard – Puscifer ou A Perfect Circle, pas plus tard que l’an dernier – avaient laissé une trace indélébile, mais c’est avec la formation culte qu’il fallait compter cette année. Les quelques classiques (« Vicarious » ou « Stinkfist ») se mêlent aux nouveautés qui avaient fait monter les compteurs YouTube au gré de leur tournée. Ce qui fait la force des Américains, outre leurs compositions complexes savoureuses, c’est bien entendu le savant jeu des écrans et vidéos accompagnant chaque titre, et venant titiller les aspects organiques et froids du combo comme son ardeur. Peut-être pas le concert le plus communicatif de ces trois jours mais un moment scénique qui venait conclure trois jours de plaisir, de nerfs, de flammes dans une ambiance toujours aussi décontractée.