Initiative H - Broken Land

Sorti le: 17/05/2018

Par Jean-Philippe Haas

Label: Neuklang

Site: http://initiative-h.com/

David Haudrechy et son Initiative H avaient frappé un très grand coup en 2015 avec Dark Wave, un album d’une imparable classe joué par un big band en parfaite synergie, alliant un jazz nuancé et accessible à une pléthore d’autres genres musicaux. Il semblait difficile de lui donner un successeur digne de ce nom en utilisant les mêmes ingrédients tout en évitant la redite. Broken Land se situe pourtant sur la même marche – la plus haute – que son devancier. Armé d’une pareille dynamique cinématographique et d’un concept unificateur, cette troisième initiative finit d’asseoir les Toulousains aux côtés des plus enthousiasmantes formations françaises de jazz telles Théo Ceccaldi Freaks ou Thomas de Pourquery Supersonic.

Avant même d’avoir entendu la moindre note, la pochette comme l’intérieur du disque ne laissent aucun doute quant au thème de Broken Land : côté visible, une surfeuse insouciante entre dans l’eau pendant que semble brûler la forêt en arrière-plan… Côté caché, on découvre les treize musiciens le visage souillé par une marée noire. Dès l’ouverture (« Broken Land », « Signes »), des tonalités assez sombres, distillées par des cuivres mélancoliques, criards ou presque funèbres parfois dessinent un indéniable pessimisme, reflet du triste état de notre planète. Combinant des grooves infernaux (« Just Dust », « Trouble ») sur lequel se posent des trompettes loquaces à des passages quasi-symphoniques ou des moments planants, l’album balaie un spectre émotionnel large, où le spleen et le désenchantement laissent entrevoir çà et là quelque espoir. L’ambiance pesante de « Fun Kills », sa lente ouverture menaçante et son crescendo / accelerando final contraste ainsi avec un « Failure » déchirant qui n’est pas sans évoquer de loin en loin les ambiances créées par Serra sur « le Grand Bleu ».

Mais au-delà de l’unité thématique et de la richesse de l’inspiration, c’est encore une fois ce sentiment d’écouter un vrai ensemble et non une addition d’individualités, qui domine. Si des plages sont ménagées pour permettre à chacun des musiciens de s’exprimer, si telle ou telle composition met en valeur tel ou tel groupe d’instruments, on sent que ce joli monde s’entend à merveille et que tout s’articule parfaitement bien, sans concurrence entre l’électrique et l’acoustique, dans l’unique but de servir la musique, celle d’une bande son d’un film catastrophe doux-amer, où quelques notes d’optimisme se cachent néanmoins en filigrane.

David Haudrechy réitère l’exploit de Dark Wave : proposer un album d’une extrême beauté mélodique, sans une once de remplissage ni temps mort, qui s’écoute d’une traite. Signe parmi d’autres que le groupe entre dans la cour des grands, il se produira au festival de Marciac cet été. On sait que le monde du jazz français, comme il l’a démontré ces dernières années, valorise la jeunesse et reconnaît la valeur de ses pairs, alors pourquoi pas une Victoire en 2018 ?