Mark Guiliana Jazz Quartet - Jersey

Sorti le: 23/10/2017

Par Julien Giet

Label: Motema Music

Site: http://www.markguiliana.com/

Il est de retour. Mark Guiliana est l’un des batteurs les plus novateurs de son époque, rien que ça. De sa collaboration avec Brad Mehldau (Taming The Dragon ) à sa performance hors du commun sur le disque ultime de David Bowie (Blackstar ) en passant par son travail aux côtés d’Avishai Cohen ou du bassiste Janek Gwizdala, il ne cesse de nous épater en repoussant les limites du son acoustique de la batterie ainsi que du placement rythmique d’une précision chirurgicale. Le précédent album de son quartet était d’excellente facture (on se souvient par exemple de « One Month », chef d’œuvre cérébral qui pourtant nous emporte facilement dans ses « méandres ») et c’est donc impatients que nous allons nous plonger dans l’écoute du dernier opus tant attendu du groupe (si vous souhaitez en apprendre plus sur le personnage, vous pouvez vous référer à notre entretien ).

Pour cette réalisation, Guiliana a choisi le nom de « Jersey » en référence avec le New Jersey dans lequel il a grandi. On retrouve sur cet album Jason Rigby au saxophone, Chris Morrissey à la basse et Fabian Almazan venu remplacer Shai Maestro au piano. Comme toujours, son jazz se révèle narratif, nous menant d’une ambiance à une autre entre tensions et détentes (en témoigne la piste « Jersey  » et son passage calme avant la tempête de groove). Cette musique pourrait s’assimiler à l’œuvre d’un peintre réalisant une toile, piochant ça et là en sa palette de possibilités pour concrétiser au gré de péripéties créatives un paysage cohérent.Dans le Mark Guiliana Jazz Quartet, on ne tombe jamais dans un déballage technique démonstratif de virtuosité. Tout se fait dans la nuance, dans la sensibilité, dans la retenue. La chaleur du son produit un rendu authentique, organique à l’ensemble et rend hommage à des dynamiques de volume respectées. En d’autres termes, c’est un bonheur à écouter. Mark Guiliana use tout au long de sa créativité afin d’exprimer via sa batterie une palette mélodique et harmonique bluffante (le musicien a publié une méthode pédagogique de batterie intitulée Exploring Your Creativity on the Drumset aux éditions Hudson). Il suffit d’écouter la finesse de ses patterns sur «  BP  » et de se délecter du son de sa grosse caisse en parfaite osmose avec celui de la contrebasse ou alors de se laisser hypnotiser par «  The Mayor of Rotterdam  ». Si vous n’êtes pas convaincus, laissez-vous emporter par le très court solo «  Rate  » (pour anecdote, la méthode de batterie de Mark Guiliana s’articule autour d’un dogme qu’il a défini D.R.O.P : Dynamics (nuances), Rate (vitesse), Orchestration et Phrasing (phrasé). Ce «  Rate  » est un excellent aperçu de la vitesse et de la puissance dont est capable Mark Guiliana, héritier de l’influence de Tony Williams entre autres. Pour autant, même s’il s’agit d’un groupe dont le meneur est batteur, le Jazz Quartet recèle un titre sans batterie : «  September  » qui laisse la part belle à un saxophone au son délicieux soutenu par un piano quasiment mystique. Moderne dans sa composition, le jazz de Mark Guiliana n’oublie pas de saluer ses aînés au travers de swings endiablés («  Big Rig Jones  » et son final sublimé par un piano onirique esseulé cherchant du réconfort auprès d’un saxophone au son chaleureux). L’équilibre de présence des quatre musiciens est absolument parfait, les conversations musicales s’effectuent tels des débats constructifs passionnants et passionnés.

Notons également l’excellente surprise de fin d’album que nous a concoctée Guiliana avec ingéniosité; une reprise du titre «  Where are we Now  » de David Bowie (extrait de l’avant-dernier album du chanteur, The Next Day). Hommage poignant empli de délicatesse et de douceur vouant à Bowie un potentiel standard de jazz magnifié encore une fois par l’interprétation sublime du saxophoniste Jason Rigby.

Sans surprise, Mark Guiliana a réuni son quartet pour nous gratifier d’un classique instantané du jazz moderne. Pour autant, d’apparence, cet album n’est en rien élitiste. On peut lui déceler plusieurs niveaux de lecture ; le néophyte pourra savourer la performance de manière passive alors que le passionné tatillon prendra du plaisir à décortiquer les feintes afin de résoudre les équations musicales. Tout le monde peut trouver son compte ; c’est pour cela que la rédaction de Chromatique vous le recommande vivement.