Youn Sun Nah

15/10/2017

Salle des fêtes - Schiltigheim

Par Jean-Philippe Haas

Photos: Samson Kadouche

Site du groupe : https://www.younsunnah.com/

La tournée marathon de la Sud-Coréenne Youn Sun Nah passait, ce 10 octobre 2017, par la salle des fêtes de Schiltigheim. L’une des plus grandes artistes du jazz vocal actuel venait défendre sur scène son superbe She Moves On, un album marqué avant tout par les songwriters emblématiques américains. Devant une salle comble et conquise d’avance, la plus francophile des chanteuses de jazz a offert une performance flamboyante.

Des quatre musiciens qui l’accompagnent, seul Brad Jones à la contrebasse figure sur le disque. L’incontournable Frank Woeste au piano et Fender Rhodes, Tomek Miernowski aux guitares et Ben Perowsky à la batterie complètent donc le groupe de la tournée. D’une petite voix presque murmurée en français, langue dans laquelle elle s’exprime aisément, Youn Sun Nah salue le public alsacien avant d’entamer son tour de chant. Celui-ci sera d’une intensité rare. Car si son dernier album comporte de nombreuses reprises, la chanteuse réussit à transfigurer chaque titre, grâce à la puissance et l’expressivité de sa voix, à lui donner un nouveau relief, tel ce « Drifting » de Jimi Hendrix où elle monte de façon vertigineuse dans les aigus, à la lutte avec la guitare déchaînée de Tomek Miernowski sur un final éblouissant. Et puis il y a bien évidemment « She Moves On » de Paul Simon. Ce titre est placé sous le signe de l’enthousiasme, du swing, avec une interprète qui lâche les chevaux non seulement vocalement, mais également physiquement, quitte à sortir du périmètre sécurisé de son pied de micro.

La qualité de l’acoustique participe largement à la fête : malgré le contraste parfois important entre les titres, le son est parfait, équilibré, ce qui est loin d’être la norme actuellement, même dans le jazz. Tout est donc réuni pour faire de ce concert un moment inoubliable. Le public est promené en permanence de moments recueillis, presque solennels, en jaillissements d’énergie positive, comme cette version explosive de « Take Me To The River » d’Al Greene. C’est que l’électricité s’accorde autant que les sonorités acoustiques avec la voix de la Coréenne, parfaitement à l’aise dans ces registres très différents. Timbre éraillé de crooner ou chant limpide et haut perché, Youn Sun Nah marie technique parfaite et exaltation, menant les spectateurs à travers un large spectre émotionnel jusqu’à leur donner le frisson. Qu’il s’agisse de « No Other Name », un duo intimiste avec Tomek Miernowski, sorte de ballade triste aux reflets country (et popularisé par Peter, Paul & Mary dans les années soixante) ou d’une composition enjouée et très rythmée comme « Momento Magico » d’Ulf Wakenius où tous les musiciens s’en donnent à cœur joie, la chanteuse ravit la salle avec un organe vocal qui semble capable de tout. On n’est même pas surpris de l’entendre reprendre d’une voix rocailleuse le « Jockey Full of Bourbon » de Tom Waits (qui figure sur l’album Voyage de 2008), mais simplement subjugué par la performance et convaincu de participer à un grand moment de musique.

En premier rappel, « The Dawntreader » de Joni Mitchell semble conclure le spectacle en apothéose. Le public est debout et applaudit à tout rompre, jusqu’à ce que l’artiste réapparaisse pour démentir presque timidement qu’il s’agissait du dernier morceau. Le vrai final, ce sera une sublime reprise de « Avec le temps » de Léo Ferré, chargée de conviction et d’émotion, ultime démonstration du talent hors du commun de Youn Sun Nah.