Pain of Salvation – Dieu, Daniel et Pain of Salvation

Daniel: Je pense que la plupart des genres musicaux, et peut-être tous, sont nés d’une frustration incessante. Quel que soit le genre musical dont on parle, en l’observant, on remarque qu’il est construit à son origine autour d’un désir de réinvention. C’est ça qui guide, qui pousse les pionniers du genre. C’était vrai pour le jazz, ça l’est pour le metal prog et le rock prog, c’est une manière de réorienter ce qui nous entoure, à un moment précis. Et après cette étape, une fois que le genre est finalement établi, il va attirer des personnes qui apprécieront ses sonorités, exactement comme il est à ce moment. Et c’est en fait une manière de ressentir qui est totalement contraire au processus qui a donné naissance à ce type de musique !

Si on prend les Beatles par exemple, il y a des tas de groupes qui veulent leur ressembler qui n’ont pas compris que ce qui les a poussés à créer leur musique n’est pas du tout qu’ils voulaient ressembler à un tel ou un tel. Il ne voulait ressembler à aucune autre formation, ils voulaient être uniques. Dès que l’on imite quelqu’un qui semble unique, on accomplit l’inverse. Et au fond il n’y a rien de mal à cela ! C’est simplement qu’il y a deux types de création musicale, et dans le prog aussi. Moi, je pense être dans cette première catégorie ; je suis poussé à créer par une frustration permanente et un désir de réinvention. Ce qui veut dire que les albums de Pain of Salvation seront toujours un peu… pétris de frustration, d’un désir de réinvention, et difficiles à cerner.
Beaucoup de personnes aujourd’hui observent notre discographie avec du recul et voient une forme d’unité dans les quatre premiers albums, alors que personnellement, je n’y vois pas cela. Quand nous les avons composés, ils étaient tout autant pétris de frustration, ils étaient tout autant des tentatives de réinvention et de remédiation. Mais avec le temps, enfin, on peut prendre n’importe quel disque aujourd’hui et le comprendre différemment de ce qu’il était au moment de sa sortie, avant qu’il ne devienne un élément constitutif de la norme. Ce qui veut dire qu’avec le temps, on ne parvient plus à l’imaginer autrement ; c’est en fait ce qui s’est passé avec les Beatles et mes parents : pour eux c’étaient des rebelles, ils avaient les cheveux longs, et je ne pouvais pas comprendre ça quand j’étais enfant ! C’était des gens cool à mes yeux, et plutôt sympas, pas des rebelles.

Bien sûr, mais même si le groupe se réinvente, on constate tout de même un fil conducteur d’album en album. Le plus évident dans celui-ci c’est le lien avec Remedy Lane. Il me semble qu’on entend des bouts de « Ending Theme » à la fin du dernier morceau du nouvel album, non ?
Oui, absolument ! En fait, Remedy Lane était autobiographique, et In The Passing Light of Day aussi. D’ailleurs j’ai pensé un moment l’intituler Remedy Lane II, mais nous en avons parlé et on a décidé de ne pas le faire, pour plusieurs raisons. L’une d’entre elle était que nous voulions qu’il soit évalué pour ce qu’il est, pas pour autre chose. On me parle tellement de The Perfect Element Part II (nota bene : l’album Scarsick, en fait), et du troisième volet (nota bene : pas encore existant), et je ne me sentais pas prêt à me lancer encore dans une telle entreprise. Malgré cela, les albums sont effectivement entrelacés, et certaines chansons font même référence à des événements qui sont déjà décrits dans Remedy Lane, dans « Meaningless » par exemple. C’est pour ça, cela me semblait naturel d’aller au bout de l’idée dans le dernier morceau, puisque la mélodie s’en rapproche, et ramener ça à Remedy Lane, rendre la référence complètement évidente.

Justement, au sujet de « Meaningless », qui est un excellent morceau, vous avez décidé de mettre Ragnar en avant sur le chant, ce qui était une très bonne idée à mon sens. Vos deux voix s’associent à merveille ! Quand avez-vous décidé de cela ? Est-ce que le groupe serait prêt à proposer cela plus souvent, peut-être en concert ?
Oui, c’est mon intention en tout cas. Pour les concerts que nous avons pu faire pour l’instant, je lui ai laissé « Undertow » et certaines parties de « Beyond the Pale ». En fait, à chaque fois que j’ai l’impression que la musique correspondrait à sa voix et que ça serait stupide de ne pas le faire, je le fais. Ce serait bête, quand on a ce talent au sein du groupe, de ne pas l’utiliser. C’est un outil formidable, tout comme les autres outils que chacun nous incarnons. Pour ce morceau en particulier, tout vient de Ragnar. Il m’a envoyé quelques démos, parmi lesquelles un morceau m’a frappé, et je me suis dit qu’il fallait sa voix. Une fois que je l’avais entendu, j’étais tellement habitué à entendre sa voix dessus que je n’avais même pas envie de me rajouter dessus à l’origine… mais on m’a convaincu de le faire quand même.
Il faut peut-être que l’on amène ce genre de changement lentement… nous avons des fans qui sont très tolérants mais jusqu’à un certain point. Il y a toujours un côté conservateur au sein des fans.

Tu veux dire que certains de vos fans ne voudraient pas que quelqu’un d’autre que toi chante ?
Daniel – Des fans m’ont supplié de ne pas faire chanter Ragnar, ce qui est totalement con à mon sens. Ça m’enrage, pour être honnête. Je suppose que c’est parce qu’il vient d’un style musical qui ne leur correspond pas, que ce sont des progueux très conservateurs… je ne sais pas vraiment, mais j’ai reçu des messages à ce sujet, lu des commentaires. Pour moi c’est évidemment un atout d’avoir sa voix au sein du groupe, et un talent que je souhaite définitivement utiliser à bon escient. Mais on va essayer d’amener ça doucement.

Tu parles du groupe, ce qui m’amène à la question suivante : les paroles, les histoires viennent de toi sur le nouvel album, mais à quel moment intervient-il au final ?
Pour cet album, Ragnar et moi avons tout composé et enregistré, y compris la basse et les synthés pour les démos. Les autres sont arrivés assez tard dans le processus, mais c’est différent sur tous nos disques en fait. Je pense que là, ça s’est fait comme ça par nécessité ; tout le monde était assez occupé et dispersé, il aurait été compliqué de tous nous réunir. Et si on commence à enregistrer et que l’on est cinq, et que la fois d’après il en manque trois, ça devient difficile d’avancer correctement. Si on est simplement deux, ça devient plus simple, et il n’y a pas besoin de laisser des gens derrière pendant le processus. Mais c’est également très différent d’un point de vue créatif. C’est comme à l’école, quand on travaille sur un projet à quatre ; très rapidement, on se retrouve à seulement deux qui travaillent effectivement. Mais si on commence à deux, tout se passe bien. Je pense que c’est une des raisons. Et puis c’est plus simple quand on est deux ; plus on est nombreux, plus on s’expose à des failles je dirais. C’est bien d’avoir un partenaire puisqu’on peut échanger des idées, mais si on est très nombreux, il y a trop d’opinions, et cela rallonge le processus avant l’enregistrement d’une démo. Si on est juste deux, on peut faire ça rapidement, l’enregistrer, et puisque tous les membres du groupes sont multi-instrumentistes, on est bien plus efficace comme ça.

Pour continuer sur l’album, j’aurais voulu qu’on parle des paroles. Elles sont, à mon sens, un des éléments les plus intéressants de la musique de Pain of Salvation, et c’est probablement l’aspect le plus constant au sein de votre évolution. Dans cette constance, on retrouve le rapport à la divinité. Comment te positionnes-tu vis à vis de cela, pourquoi penses-tu que cela continue à être aussi présent dans vos créations ?
Je suis une de ces personnes qui a toujours voulu croire mais n’y est jamais parvenu. Je pense que j’ai toujours été fasciné par le rapport de l’espèce humaine aux divinités et aux religions. Je suis absolument convaincu qu’il n’y a pas de divinité, du moins pas comme les religions essaient de la définir. Mais je suis tout autant convaincu que la religion pour l’humanité est peut-être liée à l’évolution. C’est un peu comme créer les parents que nous n’avons pas quand nous grandissons. Il m’arrive de parler avec Dieu de temps en temps, de m’excuser pour ne pas croire en lui, ou en elle. Quand notre plus jeune enfant est né, je lui ai parlé, puisqu’il est né avec une trisomie 21. Il a eu beaucoup de problèmes durant les trois premières semaines ; on les a passées à l’hôpital, pendant que nos deux autres enfants étaient à la maison avec leur grand-mère. On se battait pour qu’il puisse respirer correctement, et c’était vraiment dur. Je me souviens très bien, un de ces jour-là, je suis allé dans la salle de bain, j’ai regardé dans le miroir, et j’ai parlé à Dieu. Je lui ai dit : “je sais qu’on a une relation assez étrange, mais là tu n’es pas en train de m’aider. Tu es censé être tolérant, alors maintenant je vais te demander de me laisser te haïr un peu. Si tu es seulement la moitié de ce que les gens disent que tu es, je suis sûr que tu pourras t’en servir et rendre ça utile”. Cela m’arrive de temps en temps, d’avoir des conversations avec ce Dieu auquel je ne crois pas.
Je pense que je parle de Dieu sur l’album parce qu’à chaque fois que quelqu’un survit à quelque chose d’affreux, ou presque, les gens se tournent vers Lui et le remercient. Ces gens vivent des expériences traumatisantes, qui les changent, et soudainement ils croient en Dieu. Mais ça, je n’ai jamais réussi à le comprendre. Je suppose que ça paraît intolérant de ma part, ou alors que je manque d’imagination. Je vois les choses comme ça : donc, s’il m’arrive quelque chose de terrible, peut-être que je me mettrais à croire en Dieu. Mais après, je vais peut-être me mettre à croire au père Noël, que la terre est plate, je ne sais pas ? Je ne comprends pas, pour moi ça a toujours été impossible d’en arriver là. Je pense avoir été ouvert d’esprit, prêt à recevoir, mais non. Il fallait que j’en parle dans l’album, parce que si je ne l’avais pas fait je me serais senti malhonnête. Même si je ne crois pas en Dieu, même si je pense que l’univers est déjà en soi fondamentalement incroyable tel qu’il est.

Je pense comprendre, je crois. Pour rester sur les paroles, le morceau « Full Throttle Tribe » m’a également surpris. Sachant que Pain of Salvation est, malgré tout, un groupe, raconter une telle vision de la solitude, c’est une idée assez forte…
Quelle partie exactement ?

A la fin. Le personnage commence la chanson en expliquant qu’il est seul ; puis il a sa tribu, mais finit par redevenir seul…
Cette chanson parle en effet de mon rapport au groupe. Des raisons qui font que nous en constituons, et pourquoi on se bat pour les maintenir à flot. A l’école, je ne me suis jamais senti intégré, et je n’avais pas l’impression de pouvoir m’intéresser aux mêmes choses que les autres. Je me sentais à la fois plus jeune et plus vieux. J’étais parcouru par des pensées qui me terrifiaient que mes camarades ne semblaient pas avoir. De nos jours, j’aurais peut-être été diagnostiqué d’un léger syndrome d’asperger, ou d’un trouble du déficit de l’attention, mais on ne disait pas ce genre de choses à l’époque. J’étais toujours le type qui était trop… quelque chose, trop silencieux ou trop bavard. C’est pour ça que former un groupe, ça me semblait être ma manière à moi de former une famille, ma tribu. Etre attaché à une équipe de sport, ou à la nation, je ne l’ai jamais ressenti comme je le dis au début de la chanson. Je pouvais créer une bulle dans laquelle je pouvais réellement être moi… parce que beaucoup de musiciens sont comme ça. Dans l’industrie de la musique, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui me ressemblaient, ce qui m’a fait beaucoup de bien. Même s’il a fallu du temps et des efforts pour pousser le groupe à avancer.
Puis, la deuxième partie du morceau, je m’en souviens très bien, c’était pendant une tournée… Joan (Langell) avait déjà quitté la formation et c’était difficile pour nous tous, mais nous étions enfin en train d’arriver à un point où on se sentait à nouveau comme une famille. Et puis Johan Hallgreen nous a annoncé qu’il allait partir, qu’il ne pouvait plus tenir. Il allait faire une dernière tournée, mais il voulait rester chez lui, voir sa famille et ses enfants. Ce que je comprends parfaitement, c’est très difficile d’être dans le milieu quand on a une famille, cela prend du temps et de l’énergie et tout le bénéfice finalement n’est visible que sur scène. Ta famille, elle, ne bénéficie de rien de tout ça. Lors de cette tournée, tout en sachant que Johan allait partir, on savait aussi que Fred s’apprêtait à arrêter. Il était en pleine dépression à ce moment là, et ça a été très dur pour tout le monde. D’autant plus que je savais que j’allais voir sur Internet les fans spéculer sur les raisons de son départ. A dire que c’est difficile de bosser avec moi, si c’était ma faute puisque j’étais toujours dans le groupe. Moi, je ne peux pas partir, c’est juste qui je suis, ce que je fais. Mais j’ai aussi eu le sentiment que je n’avais aucune idée de comment repartir après ça. On était dans cette salle de concert, les fans criaient notre nom alors que j’étais sous la douche et je ne n’étais même plus sûr si Pain of Salvation existait encore… et pourtant nous allions aller sur scène, tout en sachant que nous étions en train de nous effondrer. Je me souviens m’être senti triste, et vide, et empli de doute. Mais il fallait tout de même y aller et faire plaisir à tous ceux qui nous attendaient.

Nous sommes à court de temps, mais si je peux me permettre une dernière question. Peut-être voudrais-tu recommander quelques albums à nos lecteurs, ou des choses que tu as vues ou lues récemment ?
J’aimerais recommander… déjà, on est dans la période des fêtes, enfin je ne sais pas quand cette interview sera publiée, mais tout de même. Il y a quelques chansons de Noël que j’adore ; la version de « Have yourself a merry little Christmas » de Judy Garland, et puis j’écoute beaucoup « Holly Leaves and Christmas Trees », la version d’Elvis Presley. C’est assez mielleux mais il y a un passage qui rend le morceau absolument incontournable… quand la progression arrive sur l’accord mineur, c’est magnifique. Oh, et « Little Altar Boy », des Carpenters, magnifique chanson que j’ai entendue il y a quelques années, elle complète très bien ma playlist de Noël. Pour ce qui est d’albums qui m’ont plu récemment, j’ai vraiment aimé un EP de The Parlor Mob. Je ne me souviens plus du titre, il y a cinq morceaux et c’est très bon, je le recommande. (nota bene: il parle probablement d’un EP du groupe justement intitulé The Parlor Mob).

Merci beaucoup !
De rien. J’ai vraiment hâte de monter sur scène pour jouer le nouvel album !


Chromatique : Depuis Be, il paraît évident que Pain of Salvation est dans une démarche d’exploration. Comment vois-tu ce nouvel opus dans cette logique évolutive, après les deux Road Salt ?

Daniel: Je pense que la plupart des genres musicaux, et peut-être tous, sont nés d’une frustration incessante. Quel que soit le genre musical dont on parle, en l’observant, on remarque qu’il est construit à son origine autour d’un désir de réinvention. C’est ça qui guide, qui pousse les pionniers du genre. C’était vrai pour le jazz, ça l’est pour le metal prog et le rock prog, c’est une manière de réorienter ce qui nous entoure, à un moment précis. Et après cette étape, une fois que le genre est finalement établi, il va attirer des personnes qui apprécieront ses sonorités, exactement comme il est à ce moment. Et c’est en fait une manière de ressentir qui est totalement contraire au processus qui a donné naissance à ce type de musique !

Si on prend les Beatles par exemple, il y a des tas de groupes qui veulent leur ressembler qui n’ont pas compris que ce qui les a poussés à créer leur musique n’est pas du tout qu’ils voulaient ressembler à un tel ou un tel. Il ne voulait ressembler à aucune autre formation, ils voulaient être uniques. Dès que l’on imite quelqu’un qui semble unique, on accomplit l’inverse. Et au fond il n’y a rien de mal à cela ! C’est simplement qu’il y a deux types de création musicale, et dans le prog aussi. Moi, je pense être dans cette première catégorie ; je suis poussé à créer par une frustration permanente et un désir de réinvention. Ce qui veut dire que les albums de Pain of Salvation seront toujours un peu… pétris de frustration, d’un désir de réinvention, et difficiles à cerner.
Beaucoup de personnes aujourd’hui observent notre discographie avec du recul et voient une forme d’unité dans les quatre premiers albums, alors que personnellement, je n’y vois pas cela. Quand nous les avons composés, ils étaient tout autant pétris de frustration, ils étaient tout autant des tentatives de réinvention et de remédiation. Mais avec le temps, enfin, on peut prendre n’importe quel disque aujourd’hui et le comprendre différemment de ce qu’il était au moment de sa sortie, avant qu’il ne devienne un élément constitutif de la norme. Ce qui veut dire qu’avec le temps, on ne parvient plus à l’imaginer autrement ; c’est en fait ce qui s’est passé avec les Beatles et mes parents : pour eux c’étaient des rebelles, ils avaient les cheveux longs, et je ne pouvais pas comprendre ça quand j’étais enfant ! C’était des gens cool à mes yeux, et plutôt sympas, pas des rebelles.

Bien sûr, mais même si le groupe se réinvente, on constate tout de même un fil conducteur d’album en album. Le plus évident dans celui-ci c’est le lien avec Remedy Lane. Il me semble qu’on entend des bouts de « Ending Theme » à la fin du dernier morceau du nouvel album, non ?
Oui, absolument ! En fait, Remedy Lane était autobiographique, et In The Passing Light of Day aussi. D’ailleurs j’ai pensé un moment l’intituler Remedy Lane II, mais nous en avons parlé et on a décidé de ne pas le faire, pour plusieurs raisons. L’une d’entre elle était que nous voulions qu’il soit évalué pour ce qu’il est, pas pour autre chose. On me parle tellement de The Perfect Element Part II (nota bene : l’album Scarsick, en fait), et du troisième volet (nota bene : pas encore existant), et je ne me sentais pas prêt à me lancer encore dans une telle entreprise. Malgré cela, les albums sont effectivement entrelacés, et certaines chansons font même référence à des événements qui sont déjà décrits dans Remedy Lane, dans « Meaningless » par exemple. C’est pour ça, cela me semblait naturel d’aller au bout de l’idée dans le dernier morceau, puisque la mélodie s’en rapproche, et ramener ça à Remedy Lane, rendre la référence complètement évidente.

Justement, au sujet de « Meaningless », qui est un excellent morceau, vous avez décidé de mettre Ragnar en avant sur le chant, ce qui était une très bonne idée à mon sens. Vos deux voix s’associent à merveille ! Quand avez-vous décidé de cela ? Est-ce que le groupe serait prêt à proposer cela plus souvent, peut-être en concert ?
Oui, c’est mon intention en tout cas. Pour les concerts que nous avons pu faire pour l’instant, je lui ai laissé « Undertow » et certaines parties de « Beyond the Pale ». En fait, à chaque fois que j’ai l’impression que la musique correspondrait à sa voix et que ça serait stupide de ne pas le faire, je le fais. Ce serait bête, quand on a ce talent au sein du groupe, de ne pas l’utiliser. C’est un outil formidable, tout comme les autres outils que chacun nous incarnons. Pour ce morceau en particulier, tout vient de Ragnar. Il m’a envoyé quelques démos, parmi lesquelles un morceau m’a frappé, et je me suis dit qu’il fallait sa voix. Une fois que je l’avais entendu, j’étais tellement habitué à entendre sa voix dessus que je n’avais même pas envie de me rajouter dessus à l’origine… mais on m’a convaincu de le faire quand même.
Il faut peut-être que l’on amène ce genre de changement lentement… nous avons des fans qui sont très tolérants mais jusqu’à un certain point. Il y a toujours un côté conservateur au sein des fans.

Tu veux dire que certains de vos fans ne voudraient pas que quelqu’un d’autre que toi chante ?
Daniel – Des fans m’ont supplié de ne pas faire chanter Ragnar, ce qui est totalement con à mon sens. Ça m’enrage, pour être honnête. Je suppose que c’est parce qu’il vient d’un style musical qui ne leur correspond pas, que ce sont des progueux très conservateurs… je ne sais pas vraiment, mais j’ai reçu des messages à ce sujet, lu des commentaires. Pour moi c’est évidemment un atout d’avoir sa voix au sein du groupe, et un talent que je souhaite définitivement utiliser à bon escient. Mais on va essayer d’amener ça doucement.

Tu parles du groupe, ce qui m’amène à la question suivante : les paroles, les histoires viennent de toi sur le nouvel album, mais à quel moment intervient-il au final ?
Pour cet album, Ragnar et moi avons tout composé et enregistré, y compris la basse et les synthés pour les démos. Les autres sont arrivés assez tard dans le processus, mais c’est différent sur tous nos disques en fait. Je pense que là, ça s’est fait comme ça par nécessité ; tout le monde était assez occupé et dispersé, il aurait été compliqué de tous nous réunir. Et si on commence à enregistrer et que l’on est cinq, et que la fois d’après il en manque trois, ça devient difficile d’avancer correctement. Si on est simplement deux, ça devient plus simple, et il n’y a pas besoin de laisser des gens derrière pendant le processus. Mais c’est également très différent d’un point de vue créatif. C’est comme à l’école, quand on travaille sur un projet à quatre ; très rapidement, on se retrouve à seulement deux qui travaillent effectivement. Mais si on commence à deux, tout se passe bien. Je pense que c’est une des raisons. Et puis c’est plus simple quand on est deux ; plus on est nombreux, plus on s’expose à des failles je dirais. C’est bien d’avoir un partenaire puisqu’on peut échanger des idées, mais si on est très nombreux, il y a trop d’opinions, et cela rallonge le processus avant l’enregistrement d’une démo. Si on est juste deux, on peut faire ça rapidement, l’enregistrer, et puisque tous les membres du groupes sont multi-instrumentistes, on est bien plus efficace comme ça.

Pour continuer sur l’album, j’aurais voulu qu’on parle des paroles. Elles sont, à mon sens, un des éléments les plus intéressants de la musique de Pain of Salvation, et c’est probablement l’aspect le plus constant au sein de votre évolution. Dans cette constance, on retrouve le rapport à la divinité. Comment te positionnes-tu vis à vis de cela, pourquoi penses-tu que cela continue à être aussi présent dans vos créations ?
Je suis une de ces personnes qui a toujours voulu croire mais n’y est jamais parvenu. Je pense que j’ai toujours été fasciné par le rapport de l’espèce humaine aux divinités et aux religions. Je suis absolument convaincu qu’il n’y a pas de divinité, du moins pas comme les religions essaient de la définir. Mais je suis tout autant convaincu que la religion pour l’humanité est peut-être liée à l’évolution. C’est un peu comme créer les parents que nous n’avons pas quand nous grandissons. Il m’arrive de parler avec Dieu de temps en temps, de m’excuser pour ne pas croire en lui, ou en elle. Quand notre plus jeune enfant est né, je lui ai parlé, puisqu’il est né avec une trisomie 21. Il a eu beaucoup de problèmes durant les trois premières semaines ; on les a passées à l’hôpital, pendant que nos deux autres enfants étaient à la maison avec leur grand-mère. On se battait pour qu’il puisse respirer correctement, et c’était vraiment dur. Je me souviens très bien, un de ces jour-là, je suis allé dans la salle de bain, j’ai regardé dans le miroir, et j’ai parlé à Dieu. Je lui ai dit : “je sais qu’on a une relation assez étrange, mais là tu n’es pas en train de m’aider. Tu es censé être tolérant, alors maintenant je vais te demander de me laisser te haïr un peu. Si tu es seulement la moitié de ce que les gens disent que tu es, je suis sûr que tu pourras t’en servir et rendre ça utile”. Cela m’arrive de temps en temps, d’avoir des conversations avec ce Dieu auquel je ne crois pas.
Je pense que je parle de Dieu sur l’album parce qu’à chaque fois que quelqu’un survit à quelque chose d’affreux, ou presque, les gens se tournent vers Lui et le remercient. Ces gens vivent des expériences traumatisantes, qui les changent, et soudainement ils croient en Dieu. Mais ça, je n’ai jamais réussi à le comprendre. Je suppose que ça paraît intolérant de ma part, ou alors que je manque d’imagination. Je vois les choses comme ça : donc, s’il m’arrive quelque chose de terrible, peut-être que je me mettrais à croire en Dieu. Mais après, je vais peut-être me mettre à croire au père Noël, que la terre est plate, je ne sais pas ? Je ne comprends pas, pour moi ça a toujours été impossible d’en arriver là. Je pense avoir été ouvert d’esprit, prêt à recevoir, mais non. Il fallait que j’en parle dans l’album, parce que si je ne l’avais pas fait je me serais senti malhonnête. Même si je ne crois pas en Dieu, même si je pense que l’univers est déjà en soi fondamentalement incroyable tel qu’il est.

Je pense comprendre, je crois. Pour rester sur les paroles, le morceau « Full Throttle Tribe » m’a également surpris. Sachant que Pain of Salvation est, malgré tout, un groupe, raconter une telle vision de la solitude, c’est une idée assez forte…
Quelle partie exactement ?

A la fin. Le personnage commence la chanson en expliquant qu’il est seul ; puis il a sa tribu, mais finit par redevenir seul…
Cette chanson parle en effet de mon rapport au groupe. Des raisons qui font que nous en constituons, et pourquoi on se bat pour les maintenir à flot. A l’école, je ne me suis jamais senti intégré, et je n’avais pas l’impression de pouvoir m’intéresser aux mêmes choses que les autres. Je me sentais à la fois plus jeune et plus vieux. J’étais parcouru par des pensées qui me terrifiaient que mes camarades ne semblaient pas avoir. De nos jours, j’aurais peut-être été diagnostiqué d’un léger syndrome d’asperger, ou d’un trouble du déficit de l’attention, mais on ne disait pas ce genre de choses à l’époque. J’étais toujours le type qui était trop… quelque chose, trop silencieux ou trop bavard. C’est pour ça que former un groupe, ça me semblait être ma manière à moi de former une famille, ma tribu. Etre attaché à une équipe de sport, ou à la nation, je ne l’ai jamais ressenti comme je le dis au début de la chanson. Je pouvais créer une bulle dans laquelle je pouvais réellement être moi… parce que beaucoup de musiciens sont comme ça. Dans l’industrie de la musique, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui me ressemblaient, ce qui m’a fait beaucoup de bien. Même s’il a fallu du temps et des efforts pour pousser le groupe à avancer.
Puis, la deuxième partie du morceau, je m’en souviens très bien, c’était pendant une tournée… Joan (Langell) avait déjà quitté la formation et c’était difficile pour nous tous, mais nous étions enfin en train d’arriver à un point où on se sentait à nouveau comme une famille. Et puis Johan Hallgreen nous a annoncé qu’il allait partir, qu’il ne pouvait plus tenir. Il allait faire une dernière tournée, mais il voulait rester chez lui, voir sa famille et ses enfants. Ce que je comprends parfaitement, c’est très difficile d’être dans le milieu quand on a une famille, cela prend du temps et de l’énergie et tout le bénéfice finalement n’est visible que sur scène. Ta famille, elle, ne bénéficie de rien de tout ça. Lors de cette tournée, tout en sachant que Johan allait partir, on savait aussi que Fred s’apprêtait à arrêter. Il était en pleine dépression à ce moment là, et ça a été très dur pour tout le monde. D’autant plus que je savais que j’allais voir sur Internet les fans spéculer sur les raisons de son départ. A dire que c’est difficile de bosser avec moi, si c’était ma faute puisque j’étais toujours dans le groupe. Moi, je ne peux pas partir, c’est juste qui je suis, ce que je fais. Mais j’ai aussi eu le sentiment que je n’avais aucune idée de comment repartir après ça. On était dans cette salle de concert, les fans criaient notre nom alors que j’étais sous la douche et je ne n’étais même plus sûr si Pain of Salvation existait encore… et pourtant nous allions aller sur scène, tout en sachant que nous étions en train de nous effondrer. Je me souviens m’être senti triste, et vide, et empli de doute. Mais il fallait tout de même y aller et faire plaisir à tous ceux qui nous attendaient.

Nous sommes à court de temps, mais si je peux me permettre une dernière question. Peut-être voudrais-tu recommander quelques albums à nos lecteurs, ou des choses que tu as vues ou lues récemment ?
J’aimerais recommander… déjà, on est dans la période des fêtes, enfin je ne sais pas quand cette interview sera publiée, mais tout de même. Il y a quelques chansons de Noël que j’adore ; la version de « Have yourself a merry little Christmas » de Judy Garland, et puis j’écoute beaucoup « Holly Leaves and Christmas Trees », la version d’Elvis Presley. C’est assez mielleux mais il y a un passage qui rend le morceau absolument incontournable… quand la progression arrive sur l’accord mineur, c’est magnifique. Oh, et « Little Altar Boy », des Carpenters, magnifique chanson que j’ai entendue il y a quelques années, elle complète très bien ma playlist de Noël. Pour ce qui est d’albums qui m’ont plu récemment, j’ai vraiment aimé un EP de The Parlor Mob. Je ne me souviens plus du titre, il y a cinq morceaux et c’est très bon, je le recommande. (nota bene: il parle probablement d’un EP du groupe justement intitulé The Parlor Mob).

Merci beaucoup !
De rien. J’ai vraiment hâte de monter sur scène pour jouer le nouvel album !

Cela faisait un moment que Pain of Salvation n’avait pas réellement pointé le bout de son nez. Après un disque acoustique, et quelques remix, ils reviennent finalement avec un nouvel album, In The Passing Light of Day. L’occasion pour Chromatique de s’entretenir avec le leader, Daniel Gildenlöw, de discuter du groupe et surtout de philosopher sur la musique, et sur Dieu. On vous aura prévenus.


Chromatique : Depuis Be, il paraît évident que Pain of Salvation est dans une démarche d’exploration. Comment vois-tu ce nouvel opus dans cette logique évolutive, après les deux Road Salt ?

Daniel: Je pense que la plupart des genres musicaux, et peut-être tous, sont nés d’une frustration incessante. Quel que soit le genre musical dont on parle, en l’observant, on remarque qu’il est construit à son origine autour d’un désir de réinvention. C’est ça qui guide, qui pousse les pionniers du genre. C’était vrai pour le jazz, ça l’est pour le metal prog et le rock prog, c’est une manière de réorienter ce qui nous entoure, à un moment précis. Et après cette étape, une fois que le genre est finalement établi, il va attirer des personnes qui apprécieront ses sonorités, exactement comme il est à ce moment. Et c’est en fait une manière de ressentir qui est totalement contraire au processus qui a donné naissance à ce type de musique !

Si on prend les Beatles par exemple, il y a des tas de groupes qui veulent leur ressembler qui n’ont pas compris que ce qui les a poussés à créer leur musique n’est pas du tout qu’ils voulaient ressembler à un tel ou un tel. Il ne voulait ressembler à aucune autre formation, ils voulaient être uniques. Dès que l’on imite quelqu’un qui semble unique, on accomplit l’inverse. Et au fond il n’y a rien de mal à cela ! C’est simplement qu’il y a deux types de création musicale, et dans le prog aussi. Moi, je pense être dans cette première catégorie ; je suis poussé à créer par une frustration permanente et un désir de réinvention. Ce qui veut dire que les albums de Pain of Salvation seront toujours un peu… pétris de frustration, d’un désir de réinvention, et difficiles à cerner.
Beaucoup de personnes aujourd’hui observent notre discographie avec du recul et voient une forme d’unité dans les quatre premiers albums, alors que personnellement, je n’y vois pas cela. Quand nous les avons composés, ils étaient tout autant pétris de frustration, ils étaient tout autant des tentatives de réinvention et de remédiation. Mais avec le temps, enfin, on peut prendre n’importe quel disque aujourd’hui et le comprendre différemment de ce qu’il était au moment de sa sortie, avant qu’il ne devienne un élément constitutif de la norme. Ce qui veut dire qu’avec le temps, on ne parvient plus à l’imaginer autrement ; c’est en fait ce qui s’est passé avec les Beatles et mes parents : pour eux c’étaient des rebelles, ils avaient les cheveux longs, et je ne pouvais pas comprendre ça quand j’étais enfant ! C’était des gens cool à mes yeux, et plutôt sympas, pas des rebelles.

Bien sûr, mais même si le groupe se réinvente, on constate tout de même un fil conducteur d’album en album. Le plus évident dans celui-ci c’est le lien avec Remedy Lane. Il me semble qu’on entend des bouts de « Ending Theme » à la fin du dernier morceau du nouvel album, non ?
Oui, absolument ! En fait, Remedy Lane était autobiographique, et In The Passing Light of Day aussi. D’ailleurs j’ai pensé un moment l’intituler Remedy Lane II, mais nous en avons parlé et on a décidé de ne pas le faire, pour plusieurs raisons. L’une d’entre elle était que nous voulions qu’il soit évalué pour ce qu’il est, pas pour autre chose. On me parle tellement de The Perfect Element Part II (nota bene : l’album Scarsick, en fait), et du troisième volet (nota bene : pas encore existant), et je ne me sentais pas prêt à me lancer encore dans une telle entreprise. Malgré cela, les albums sont effectivement entrelacés, et certaines chansons font même référence à des événements qui sont déjà décrits dans Remedy Lane, dans « Meaningless » par exemple. C’est pour ça, cela me semblait naturel d’aller au bout de l’idée dans le dernier morceau, puisque la mélodie s’en rapproche, et ramener ça à Remedy Lane, rendre la référence complètement évidente.

Justement, au sujet de « Meaningless », qui est un excellent morceau, vous avez décidé de mettre Ragnar en avant sur le chant, ce qui était une très bonne idée à mon sens. Vos deux voix s’associent à merveille ! Quand avez-vous décidé de cela ? Est-ce que le groupe serait prêt à proposer cela plus souvent, peut-être en concert ?
Oui, c’est mon intention en tout cas. Pour les concerts que nous avons pu faire pour l’instant, je lui ai laissé « Undertow » et certaines parties de « Beyond the Pale ». En fait, à chaque fois que j’ai l’impression que la musique correspondrait à sa voix et que ça serait stupide de ne pas le faire, je le fais. Ce serait bête, quand on a ce talent au sein du groupe, de ne pas l’utiliser. C’est un outil formidable, tout comme les autres outils que chacun nous incarnons. Pour ce morceau en particulier, tout vient de Ragnar. Il m’a envoyé quelques démos, parmi lesquelles un morceau m’a frappé, et je me suis dit qu’il fallait sa voix. Une fois que je l’avais entendu, j’étais tellement habitué à entendre sa voix dessus que je n’avais même pas envie de me rajouter dessus à l’origine… mais on m’a convaincu de le faire quand même.
Il faut peut-être que l’on amène ce genre de changement lentement… nous avons des fans qui sont très tolérants mais jusqu’à un certain point. Il y a toujours un côté conservateur au sein des fans.

Tu veux dire que certains de vos fans ne voudraient pas que quelqu’un d’autre que toi chante ?
Daniel – Des fans m’ont supplié de ne pas faire chanter Ragnar, ce qui est totalement con à mon sens. Ça m’enrage, pour être honnête. Je suppose que c’est parce qu’il vient d’un style musical qui ne leur correspond pas, que ce sont des progueux très conservateurs… je ne sais pas vraiment, mais j’ai reçu des messages à ce sujet, lu des commentaires. Pour moi c’est évidemment un atout d’avoir sa voix au sein du groupe, et un talent que je souhaite définitivement utiliser à bon escient. Mais on va essayer d’amener ça doucement.

Tu parles du groupe, ce qui m’amène à la question suivante : les paroles, les histoires viennent de toi sur le nouvel album, mais à quel moment intervient-il au final ?
Pour cet album, Ragnar et moi avons tout composé et enregistré, y compris la basse et les synthés pour les démos. Les autres sont arrivés assez tard dans le processus, mais c’est différent sur tous nos disques en fait. Je pense que là, ça s’est fait comme ça par nécessité ; tout le monde était assez occupé et dispersé, il aurait été compliqué de tous nous réunir. Et si on commence à enregistrer et que l’on est cinq, et que la fois d’après il en manque trois, ça devient difficile d’avancer correctement. Si on est simplement deux, ça devient plus simple, et il n’y a pas besoin de laisser des gens derrière pendant le processus. Mais c’est également très différent d’un point de vue créatif. C’est comme à l’école, quand on travaille sur un projet à quatre ; très rapidement, on se retrouve à seulement deux qui travaillent effectivement. Mais si on commence à deux, tout se passe bien. Je pense que c’est une des raisons. Et puis c’est plus simple quand on est deux ; plus on est nombreux, plus on s’expose à des failles je dirais. C’est bien d’avoir un partenaire puisqu’on peut échanger des idées, mais si on est très nombreux, il y a trop d’opinions, et cela rallonge le processus avant l’enregistrement d’une démo. Si on est juste deux, on peut faire ça rapidement, l’enregistrer, et puisque tous les membres du groupes sont multi-instrumentistes, on est bien plus efficace comme ça.

Pour continuer sur l’album, j’aurais voulu qu’on parle des paroles. Elles sont, à mon sens, un des éléments les plus intéressants de la musique de Pain of Salvation, et c’est probablement l’aspect le plus constant au sein de votre évolution. Dans cette constance, on retrouve le rapport à la divinité. Comment te positionnes-tu vis à vis de cela, pourquoi penses-tu que cela continue à être aussi présent dans vos créations ?
Je suis une de ces personnes qui a toujours voulu croire mais n’y est jamais parvenu. Je pense que j’ai toujours été fasciné par le rapport de l’espèce humaine aux divinités et aux religions. Je suis absolument convaincu qu’il n’y a pas de divinité, du moins pas comme les religions essaient de la définir. Mais je suis tout autant convaincu que la religion pour l’humanité est peut-être liée à l’évolution. C’est un peu comme créer les parents que nous n’avons pas quand nous grandissons. Il m’arrive de parler avec Dieu de temps en temps, de m’excuser pour ne pas croire en lui, ou en elle. Quand notre plus jeune enfant est né, je lui ai parlé, puisqu’il est né avec une trisomie 21. Il a eu beaucoup de problèmes durant les trois premières semaines ; on les a passées à l’hôpital, pendant que nos deux autres enfants étaient à la maison avec leur grand-mère. On se battait pour qu’il puisse respirer correctement, et c’était vraiment dur. Je me souviens très bien, un de ces jour-là, je suis allé dans la salle de bain, j’ai regardé dans le miroir, et j’ai parlé à Dieu. Je lui ai dit : “je sais qu’on a une relation assez étrange, mais là tu n’es pas en train de m’aider. Tu es censé être tolérant, alors maintenant je vais te demander de me laisser te haïr un peu. Si tu es seulement la moitié de ce que les gens disent que tu es, je suis sûr que tu pourras t’en servir et rendre ça utile”. Cela m’arrive de temps en temps, d’avoir des conversations avec ce Dieu auquel je ne crois pas.
Je pense que je parle de Dieu sur l’album parce qu’à chaque fois que quelqu’un survit à quelque chose d’affreux, ou presque, les gens se tournent vers Lui et le remercient. Ces gens vivent des expériences traumatisantes, qui les changent, et soudainement ils croient en Dieu. Mais ça, je n’ai jamais réussi à le comprendre. Je suppose que ça paraît intolérant de ma part, ou alors que je manque d’imagination. Je vois les choses comme ça : donc, s’il m’arrive quelque chose de terrible, peut-être que je me mettrais à croire en Dieu. Mais après, je vais peut-être me mettre à croire au père Noël, que la terre est plate, je ne sais pas ? Je ne comprends pas, pour moi ça a toujours été impossible d’en arriver là. Je pense avoir été ouvert d’esprit, prêt à recevoir, mais non. Il fallait que j’en parle dans l’album, parce que si je ne l’avais pas fait je me serais senti malhonnête. Même si je ne crois pas en Dieu, même si je pense que l’univers est déjà en soi fondamentalement incroyable tel qu’il est.

Je pense comprendre, je crois. Pour rester sur les paroles, le morceau « Full Throttle Tribe » m’a également surpris. Sachant que Pain of Salvation est, malgré tout, un groupe, raconter une telle vision de la solitude, c’est une idée assez forte…
Quelle partie exactement ?

A la fin. Le personnage commence la chanson en expliquant qu’il est seul ; puis il a sa tribu, mais finit par redevenir seul…
Cette chanson parle en effet de mon rapport au groupe. Des raisons qui font que nous en constituons, et pourquoi on se bat pour les maintenir à flot. A l’école, je ne me suis jamais senti intégré, et je n’avais pas l’impression de pouvoir m’intéresser aux mêmes choses que les autres. Je me sentais à la fois plus jeune et plus vieux. J’étais parcouru par des pensées qui me terrifiaient que mes camarades ne semblaient pas avoir. De nos jours, j’aurais peut-être été diagnostiqué d’un léger syndrome d’asperger, ou d’un trouble du déficit de l’attention, mais on ne disait pas ce genre de choses à l’époque. J’étais toujours le type qui était trop… quelque chose, trop silencieux ou trop bavard. C’est pour ça que former un groupe, ça me semblait être ma manière à moi de former une famille, ma tribu. Etre attaché à une équipe de sport, ou à la nation, je ne l’ai jamais ressenti comme je le dis au début de la chanson. Je pouvais créer une bulle dans laquelle je pouvais réellement être moi… parce que beaucoup de musiciens sont comme ça. Dans l’industrie de la musique, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui me ressemblaient, ce qui m’a fait beaucoup de bien. Même s’il a fallu du temps et des efforts pour pousser le groupe à avancer.
Puis, la deuxième partie du morceau, je m’en souviens très bien, c’était pendant une tournée… Joan (Langell) avait déjà quitté la formation et c’était difficile pour nous tous, mais nous étions enfin en train d’arriver à un point où on se sentait à nouveau comme une famille. Et puis Johan Hallgreen nous a annoncé qu’il allait partir, qu’il ne pouvait plus tenir. Il allait faire une dernière tournée, mais il voulait rester chez lui, voir sa famille et ses enfants. Ce que je comprends parfaitement, c’est très difficile d’être dans le milieu quand on a une famille, cela prend du temps et de l’énergie et tout le bénéfice finalement n’est visible que sur scène. Ta famille, elle, ne bénéficie de rien de tout ça. Lors de cette tournée, tout en sachant que Johan allait partir, on savait aussi que Fred s’apprêtait à arrêter. Il était en pleine dépression à ce moment là, et ça a été très dur pour tout le monde. D’autant plus que je savais que j’allais voir sur Internet les fans spéculer sur les raisons de son départ. A dire que c’est difficile de bosser avec moi, si c’était ma faute puisque j’étais toujours dans le groupe. Moi, je ne peux pas partir, c’est juste qui je suis, ce que je fais. Mais j’ai aussi eu le sentiment que je n’avais aucune idée de comment repartir après ça. On était dans cette salle de concert, les fans criaient notre nom alors que j’étais sous la douche et je ne n’étais même plus sûr si Pain of Salvation existait encore… et pourtant nous allions aller sur scène, tout en sachant que nous étions en train de nous effondrer. Je me souviens m’être senti triste, et vide, et empli de doute. Mais il fallait tout de même y aller et faire plaisir à tous ceux qui nous attendaient.

Nous sommes à court de temps, mais si je peux me permettre une dernière question. Peut-être voudrais-tu recommander quelques albums à nos lecteurs, ou des choses que tu as vues ou lues récemment ?
J’aimerais recommander… déjà, on est dans la période des fêtes, enfin je ne sais pas quand cette interview sera publiée, mais tout de même. Il y a quelques chansons de Noël que j’adore ; la version de « Have yourself a merry little Christmas » de Judy Garland, et puis j’écoute beaucoup « Holly Leaves and Christmas Trees », la version d’Elvis Presley. C’est assez mielleux mais il y a un passage qui rend le morceau absolument incontournable… quand la progression arrive sur l’accord mineur, c’est magnifique. Oh, et « Little Altar Boy », des Carpenters, magnifique chanson que j’ai entendue il y a quelques années, elle complète très bien ma playlist de Noël. Pour ce qui est d’albums qui m’ont plu récemment, j’ai vraiment aimé un EP de The Parlor Mob. Je ne me souviens plus du titre, il y a cinq morceaux et c’est très bon, je le recommande. (nota bene: il parle probablement d’un EP du groupe justement intitulé The Parlor Mob).

Merci beaucoup !
De rien. J’ai vraiment hâte de monter sur scène pour jouer le nouvel album !

Cela faisait un moment que Pain of Salvation n’avait pas réellement pointé le bout de son nez. Après un disque acoustique, et quelques remix, ils reviennent finalement avec un nouvel album, In The Passing Light of Day. L’occasion pour Chromatique de s’entretenir avec le leader, Daniel Gildenlöw, de discuter du groupe et surtout de philosopher sur la musique, et sur Dieu. On vous aura prévenus.


Chromatique : Depuis Be, il paraît évident que Pain of Salvation est dans une démarche d’exploration. Comment vois-tu ce nouvel opus dans cette logique évolutive, après les deux Road Salt ?

Daniel: Je pense que la plupart des genres musicaux, et peut-être tous, sont nés d’une frustration incessante. Quel que soit le genre musical dont on parle, en l’observant, on remarque qu’il est construit à son origine autour d’un désir de réinvention. C’est ça qui guide, qui pousse les pionniers du genre. C’était vrai pour le jazz, ça l’est pour le metal prog et le rock prog, c’est une manière de réorienter ce qui nous entoure, à un moment précis. Et après cette étape, une fois que le genre est finalement établi, il va attirer des personnes qui apprécieront ses sonorités, exactement comme il est à ce moment. Et c’est en fait une manière de ressentir qui est totalement contraire au processus qui a donné naissance à ce type de musique !

Si on prend les Beatles par exemple, il y a des tas de groupes qui veulent leur ressembler qui n’ont pas compris que ce qui les a poussés à créer leur musique n’est pas du tout qu’ils voulaient ressembler à un tel ou un tel. Il ne voulait ressembler à aucune autre formation, ils voulaient être uniques. Dès que l’on imite quelqu’un qui semble unique, on accomplit l’inverse. Et au fond il n’y a rien de mal à cela ! C’est simplement qu’il y a deux types de création musicale, et dans le prog aussi. Moi, je pense être dans cette première catégorie ; je suis poussé à créer par une frustration permanente et un désir de réinvention. Ce qui veut dire que les albums de Pain of Salvation seront toujours un peu… pétris de frustration, d’un désir de réinvention, et difficiles à cerner.
Beaucoup de personnes aujourd’hui observent notre discographie avec du recul et voient une forme d’unité dans les quatre premiers albums, alors que personnellement, je n’y vois pas cela. Quand nous les avons composés, ils étaient tout autant pétris de frustration, ils étaient tout autant des tentatives de réinvention et de remédiation. Mais avec le temps, enfin, on peut prendre n’importe quel disque aujourd’hui et le comprendre différemment de ce qu’il était au moment de sa sortie, avant qu’il ne devienne un élément constitutif de la norme. Ce qui veut dire qu’avec le temps, on ne parvient plus à l’imaginer autrement ; c’est en fait ce qui s’est passé avec les Beatles et mes parents : pour eux c’étaient des rebelles, ils avaient les cheveux longs, et je ne pouvais pas comprendre ça quand j’étais enfant ! C’était des gens cool à mes yeux, et plutôt sympas, pas des rebelles.

Bien sûr, mais même si le groupe se réinvente, on constate tout de même un fil conducteur d’album en album. Le plus évident dans celui-ci c’est le lien avec Remedy Lane. Il me semble qu’on entend des bouts de « Ending Theme » à la fin du dernier morceau du nouvel album, non ?
Oui, absolument ! En fait, Remedy Lane était autobiographique, et In The Passing Light of Day aussi. D’ailleurs j’ai pensé un moment l’intituler Remedy Lane II, mais nous en avons parlé et on a décidé de ne pas le faire, pour plusieurs raisons. L’une d’entre elle était que nous voulions qu’il soit évalué pour ce qu’il est, pas pour autre chose. On me parle tellement de The Perfect Element Part II (nota bene : l’album Scarsick, en fait), et du troisième volet (nota bene : pas encore existant), et je ne me sentais pas prêt à me lancer encore dans une telle entreprise. Malgré cela, les albums sont effectivement entrelacés, et certaines chansons font même référence à des événements qui sont déjà décrits dans Remedy Lane, dans « Meaningless » par exemple. C’est pour ça, cela me semblait naturel d’aller au bout de l’idée dans le dernier morceau, puisque la mélodie s’en rapproche, et ramener ça à Remedy Lane, rendre la référence complètement évidente.

Justement, au sujet de « Meaningless », qui est un excellent morceau, vous avez décidé de mettre Ragnar en avant sur le chant, ce qui était une très bonne idée à mon sens. Vos deux voix s’associent à merveille ! Quand avez-vous décidé de cela ? Est-ce que le groupe serait prêt à proposer cela plus souvent, peut-être en concert ?
Oui, c’est mon intention en tout cas. Pour les concerts que nous avons pu faire pour l’instant, je lui ai laissé « Undertow » et certaines parties de « Beyond the Pale ». En fait, à chaque fois que j’ai l’impression que la musique correspondrait à sa voix et que ça serait stupide de ne pas le faire, je le fais. Ce serait bête, quand on a ce talent au sein du groupe, de ne pas l’utiliser. C’est un outil formidable, tout comme les autres outils que chacun nous incarnons. Pour ce morceau en particulier, tout vient de Ragnar. Il m’a envoyé quelques démos, parmi lesquelles un morceau m’a frappé, et je me suis dit qu’il fallait sa voix. Une fois que je l’avais entendu, j’étais tellement habitué à entendre sa voix dessus que je n’avais même pas envie de me rajouter dessus à l’origine… mais on m’a convaincu de le faire quand même.
Il faut peut-être que l’on amène ce genre de changement lentement… nous avons des fans qui sont très tolérants mais jusqu’à un certain point. Il y a toujours un côté conservateur au sein des fans.

Tu veux dire que certains de vos fans ne voudraient pas que quelqu’un d’autre que toi chante ?
Daniel – Des fans m’ont supplié de ne pas faire chanter Ragnar, ce qui est totalement con à mon sens. Ça m’enrage, pour être honnête. Je suppose que c’est parce qu’il vient d’un style musical qui ne leur correspond pas, que ce sont des progueux très conservateurs… je ne sais pas vraiment, mais j’ai reçu des messages à ce sujet, lu des commentaires. Pour moi c’est évidemment un atout d’avoir sa voix au sein du groupe, et un talent que je souhaite définitivement utiliser à bon escient. Mais on va essayer d’amener ça doucement.

Tu parles du groupe, ce qui m’amène à la question suivante : les paroles, les histoires viennent de toi sur le nouvel album, mais à quel moment intervient-il au final ?
Pour cet album, Ragnar et moi avons tout composé et enregistré, y compris la basse et les synthés pour les démos. Les autres sont arrivés assez tard dans le processus, mais c’est différent sur tous nos disques en fait. Je pense que là, ça s’est fait comme ça par nécessité ; tout le monde était assez occupé et dispersé, il aurait été compliqué de tous nous réunir. Et si on commence à enregistrer et que l’on est cinq, et que la fois d’après il en manque trois, ça devient difficile d’avancer correctement. Si on est simplement deux, ça devient plus simple, et il n’y a pas besoin de laisser des gens derrière pendant le processus. Mais c’est également très différent d’un point de vue créatif. C’est comme à l’école, quand on travaille sur un projet à quatre ; très rapidement, on se retrouve à seulement deux qui travaillent effectivement. Mais si on commence à deux, tout se passe bien. Je pense que c’est une des raisons. Et puis c’est plus simple quand on est deux ; plus on est nombreux, plus on s’expose à des failles je dirais. C’est bien d’avoir un partenaire puisqu’on peut échanger des idées, mais si on est très nombreux, il y a trop d’opinions, et cela rallonge le processus avant l’enregistrement d’une démo. Si on est juste deux, on peut faire ça rapidement, l’enregistrer, et puisque tous les membres du groupes sont multi-instrumentistes, on est bien plus efficace comme ça.

Pour continuer sur l’album, j’aurais voulu qu’on parle des paroles. Elles sont, à mon sens, un des éléments les plus intéressants de la musique de Pain of Salvation, et c’est probablement l’aspect le plus constant au sein de votre évolution. Dans cette constance, on retrouve le rapport à la divinité. Comment te positionnes-tu vis à vis de cela, pourquoi penses-tu que cela continue à être aussi présent dans vos créations ?
Je suis une de ces personnes qui a toujours voulu croire mais n’y est jamais parvenu. Je pense que j’ai toujours été fasciné par le rapport de l’espèce humaine aux divinités et aux religions. Je suis absolument convaincu qu’il n’y a pas de divinité, du moins pas comme les religions essaient de la définir. Mais je suis tout autant convaincu que la religion pour l’humanité est peut-être liée à l’évolution. C’est un peu comme créer les parents que nous n’avons pas quand nous grandissons. Il m’arrive de parler avec Dieu de temps en temps, de m’excuser pour ne pas croire en lui, ou en elle. Quand notre plus jeune enfant est né, je lui ai parlé, puisqu’il est né avec une trisomie 21. Il a eu beaucoup de problèmes durant les trois premières semaines ; on les a passées à l’hôpital, pendant que nos deux autres enfants étaient à la maison avec leur grand-mère. On se battait pour qu’il puisse respirer correctement, et c’était vraiment dur. Je me souviens très bien, un de ces jour-là, je suis allé dans la salle de bain, j’ai regardé dans le miroir, et j’ai parlé à Dieu. Je lui ai dit : “je sais qu’on a une relation assez étrange, mais là tu n’es pas en train de m’aider. Tu es censé être tolérant, alors maintenant je vais te demander de me laisser te haïr un peu. Si tu es seulement la moitié de ce que les gens disent que tu es, je suis sûr que tu pourras t’en servir et rendre ça utile”. Cela m’arrive de temps en temps, d’avoir des conversations avec ce Dieu auquel je ne crois pas.
Je pense que je parle de Dieu sur l’album parce qu’à chaque fois que quelqu’un survit à quelque chose d’affreux, ou presque, les gens se tournent vers Lui et le remercient. Ces gens vivent des expériences traumatisantes, qui les changent, et soudainement ils croient en Dieu. Mais ça, je n’ai jamais réussi à le comprendre. Je suppose que ça paraît intolérant de ma part, ou alors que je manque d’imagination. Je vois les choses comme ça : donc, s’il m’arrive quelque chose de terrible, peut-être que je me mettrais à croire en Dieu. Mais après, je vais peut-être me mettre à croire au père Noël, que la terre est plate, je ne sais pas ? Je ne comprends pas, pour moi ça a toujours été impossible d’en arriver là. Je pense avoir été ouvert d’esprit, prêt à recevoir, mais non. Il fallait que j’en parle dans l’album, parce que si je ne l’avais pas fait je me serais senti malhonnête. Même si je ne crois pas en Dieu, même si je pense que l’univers est déjà en soi fondamentalement incroyable tel qu’il est.

Je pense comprendre, je crois. Pour rester sur les paroles, le morceau « Full Throttle Tribe » m’a également surpris. Sachant que Pain of Salvation est, malgré tout, un groupe, raconter une telle vision de la solitude, c’est une idée assez forte…
Quelle partie exactement ?

A la fin. Le personnage commence la chanson en expliquant qu’il est seul ; puis il a sa tribu, mais finit par redevenir seul…
Cette chanson parle en effet de mon rapport au groupe. Des raisons qui font que nous en constituons, et pourquoi on se bat pour les maintenir à flot. A l’école, je ne me suis jamais senti intégré, et je n’avais pas l’impression de pouvoir m’intéresser aux mêmes choses que les autres. Je me sentais à la fois plus jeune et plus vieux. J’étais parcouru par des pensées qui me terrifiaient que mes camarades ne semblaient pas avoir. De nos jours, j’aurais peut-être été diagnostiqué d’un léger syndrome d’asperger, ou d’un trouble du déficit de l’attention, mais on ne disait pas ce genre de choses à l’époque. J’étais toujours le type qui était trop… quelque chose, trop silencieux ou trop bavard. C’est pour ça que former un groupe, ça me semblait être ma manière à moi de former une famille, ma tribu. Etre attaché à une équipe de sport, ou à la nation, je ne l’ai jamais ressenti comme je le dis au début de la chanson. Je pouvais créer une bulle dans laquelle je pouvais réellement être moi… parce que beaucoup de musiciens sont comme ça. Dans l’industrie de la musique, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui me ressemblaient, ce qui m’a fait beaucoup de bien. Même s’il a fallu du temps et des efforts pour pousser le groupe à avancer.
Puis, la deuxième partie du morceau, je m’en souviens très bien, c’était pendant une tournée… Joan (Langell) avait déjà quitté la formation et c’était difficile pour nous tous, mais nous étions enfin en train d’arriver à un point où on se sentait à nouveau comme une famille. Et puis Johan Hallgreen nous a annoncé qu’il allait partir, qu’il ne pouvait plus tenir. Il allait faire une dernière tournée, mais il voulait rester chez lui, voir sa famille et ses enfants. Ce que je comprends parfaitement, c’est très difficile d’être dans le milieu quand on a une famille, cela prend du temps et de l’énergie et tout le bénéfice finalement n’est visible que sur scène. Ta famille, elle, ne bénéficie de rien de tout ça. Lors de cette tournée, tout en sachant que Johan allait partir, on savait aussi que Fred s’apprêtait à arrêter. Il était en pleine dépression à ce moment là, et ça a été très dur pour tout le monde. D’autant plus que je savais que j’allais voir sur Internet les fans spéculer sur les raisons de son départ. A dire que c’est difficile de bosser avec moi, si c’était ma faute puisque j’étais toujours dans le groupe. Moi, je ne peux pas partir, c’est juste qui je suis, ce que je fais. Mais j’ai aussi eu le sentiment que je n’avais aucune idée de comment repartir après ça. On était dans cette salle de concert, les fans criaient notre nom alors que j’étais sous la douche et je ne n’étais même plus sûr si Pain of Salvation existait encore… et pourtant nous allions aller sur scène, tout en sachant que nous étions en train de nous effondrer. Je me souviens m’être senti triste, et vide, et empli de doute. Mais il fallait tout de même y aller et faire plaisir à tous ceux qui nous attendaient.

Nous sommes à court de temps, mais si je peux me permettre une dernière question. Peut-être voudrais-tu recommander quelques albums à nos lecteurs, ou des choses que tu as vues ou lues récemment ?
J’aimerais recommander… déjà, on est dans la période des fêtes, enfin je ne sais pas quand cette interview sera publiée, mais tout de même. Il y a quelques chansons de Noël que j’adore ; la version de « Have yourself a merry little Christmas » de Judy Garland, et puis j’écoute beaucoup « Holly Leaves and Christmas Trees », la version d’Elvis Presley. C’est assez mielleux mais il y a un passage qui rend le morceau absolument incontournable… quand la progression arrive sur l’accord mineur, c’est magnifique. Oh, et « Little Altar Boy », des Carpenters, magnifique chanson que j’ai entendue il y a quelques années, elle complète très bien ma playlist de Noël. Pour ce qui est d’albums qui m’ont plu récemment, j’ai vraiment aimé un EP de The Parlor Mob. Je ne me souviens plus du titre, il y a cinq morceaux et c’est très bon, je le recommande. (nota bene: il parle probablement d’un EP du groupe justement intitulé The Parlor Mob).

Merci beaucoup !
De rien. J’ai vraiment hâte de monter sur scène pour jouer le nouvel album !