Festival Crescendo

08/11/2016

Esplanade du Concié - St Palais sur Mer

Par Thierry de Haro

Photos: Thierry de Haro

Site du groupe :

Evènement incontournable de tout amateur de rock progressif et de ses dérivés, le festival Crescendo est devenu au cours du temps – dix-huitième édition déjà ! – un lieu de retrouvailles entre amis assidus de cet endroit magique, mais aussi le théâtre de rencontres entre nouveaux passionnés, tant l’agencement et ce côté ‘familial’ favorisent les discussions. D’un point de vue musical, on apprécie autant de venir retrouver en prestations live des groupes que l’on a pu écouter durant l’année dans son salon, que de découvrir de nouvelles formations, dont on avait peu – voire jamais – entendu parler auparavant …

Jour 1 : Jeudi 18 Août 2016
Si l’on doit désigner quel est l’ordre de passage le plus difficile, c’est probablement le groupe qui ouvre le Crescendo qui est le plus mal loti. Parce qu’au démarrage du festival, le public n’est pas toujours présent – autant ‘physiquement’ pour un jeudi à 17 heures – que ‘mentalement’ pour ceux qui, sur place, sont pour la plupart accaparés par le plaisir des retrouvailles entre ami(e)s. L’oreille se fait alors plus distraite, même si l’appel de la musique la raccroche par moments à la scène, instinct oblige. C’est dans cette ambiance conviviale et joyeuse que les Italiens de Basta ! entament leur premier show à l’étranger. Ils proposent au public un rock-jazz-prog virevoltant, dont le tempo est assuré par Damiano Bondi et son melodica – sorte de petit clavier ‘à vent’ aux faux airs d’accordéon – et par la clarinette basse d’Andrea Tinacci. La guitare n’est pas en reste, venant apporter ses relents métalliques au service d’une rythmique saccadée et haletante, propulsant le discours musical aux limites d’un jazz parfois free, que l’on aurait mixé avec du Canterbury. Par exemple, avec « Schiacciasassi », les riffs acérés font place à une ambiance évoquant le Gong des seventies alors que le dernier titre, « l’Uomo cannone », se partage davantage entre jazz et musique folklorique. L’ensemble paraît parfois un peu confus sur une première écoute, mais le propos est riche et fait de Basta ! un groupe intéressant, et bien entendu, ‘à suivre’ …
Place est faite désormais à Telescope Road, que certains festivaliers présents sur place depuis plusieurs jours ont pu apprécier lors des concerts ‘Festival Off Crescendo’ organisés dans la région avec, cette année, la participation de Franck Carducci et de son groupe. Les avis positifs de ‘ceux qui les ont déjà vus’ sont confortés par une prestation en tous points remarquables, entre rock, flamenco, country-folk américain, musiques orientalisantes ou indiennes, rythmes syncopés ou ambiances apaisées. Un voyage à travers les continents et les émotions, desservi par trois musiciens hors pair, que les habitués avaient déjà vus sur la scène de Saint-Palais sur Mer (Alain Chiarazzo avec ‘Eclat’ et William Kopecky / David Lillkvist avec ‘Pär Lindh Project’). Et sans aucun doute, la première grande révélation de ce festival !
Le temps d’une pause restauration sur place, et les Belges de The Wrong Object assènent leur jazz-fusion avant-gardiste, mettant une fois de plus en avant l’éclectisme des programmateurs du festival. Le répertoire ravit en premier lieu les nombreux fans de Zappa – dont les influences sont plus qu’évidentes – mais aussi ceux de l’école canterburienne incarnée par Soft Machine, voire ceux d’un jazz contemporain plus ‘traditionnel’, imprégné par les solis de saxophone. Une musique très riche et variée, qui a le mérite de secouer les neurones pour les déposer parfois en des terres inconnues, mais toujours balisées (Zappa, King Crimson, …).
Les Anglais d’IO Earth semblent avoir emmené leur public dans leurs bagages. Un show impeccablement bien huilé, efficace et ‘rentre-dedans’, entre AOR et metal symphonique. Dave Cureton assure le spectacle et virevolte sur la scène, alors que Linda Odinsen apporte sa touche féminine dans ce ‘monde de brutes’. Les passages ‘orientalisants’ semblent les plus appréciées si l’on regarde les réactions d’un public largement conquis, que le groupe va amener avec bonheur au-delà des douze coups de minuit. Néanmoins, petite ombre au tableau : un son poussé à bout et bien trop fort pour nos oreilles (le groupe était venu avec son propre ingénieur du son, qui apparemment avait du mal à passer de la théorie à la pratique d’un lieu ordinairement plutôt paisible). Qu’importe, cette première journée est annonciatrice d’un festival très prometteur !

Jour 2 : Vendredi 19 Août 2016
La journée démarre avec Audio’M, groupe des Pyrénées Orientales dont le batteur n’est autre que Marco Fabbri, transfuge de The Watch, venu comme à son habitude en toute décontraction partager ces moments de fraternité qu’offre le festival. Le groupe propose un set extrêmement convivial et sympathique – agrémenté par une viole de Gambe, instrument peu commun sur les scènes ‘rock’. Les passages instrumentaux sont particulièrement appréciés tant la force progressive qui s’en dégage renvoie la partie la moins jeune du public à ses références seventies. Certaines parties chantées sont parfois un peu justes – le maniement de la langue anglaise et l’accent du Sud ne faisant pas toujours bon ménage – mais la prestation d’Audio’M reste largement positive et intéressante.
Changement de plateau et une vraie inquiétude côté météo, car d’épais nuages gris s’amoncèlent au-dessus du site. C’est d’autant plus dommageable pour les musiciens de Light Damage, que certains fans ont fait le déplacement de Belgique – d’autres ont programmé leurs congés autour de ce festival … bref, un cortège impressionnant de suiveurs du groupe sont là, pour LE concert de l’année de nos amis belgo-luxembourgeois. Et le Crescendo va faire son Woodstock, avec sa pluie incessante qui s’abat sur une partie non négligeable de la scène, dès l’entame du set. Les conditions sont déplorables – ce qui est d’autant plus rageant que les compos de Light Damage sont brillantes et les musiciens excellents. Et elle procure, malgré les ‘galères’ du groupe (seul Fred Hardy sautille sur l’avant-scène, défiant les lois de la gravité sur sol trempé) le bonheur d’une foule restée en grand nombre sous la pluie … et qui sera récompensée ! Car au final, comme tout un symbole, un rayon de soleil viendra pointer le bout de son nez. Espérons les revoir dans des conditions moins humides … peut-être lors d’un autre Crescendo, qui sait ?
Les péruviens de Flor De Loto entrent alors sur scène, que les bénévoles du site ont essayé d’assécher tant bien que mal – grand bravo à eux ! Les Sud-américains nous balancent un rock ‘d’hommes’ bien heavy – et un peu linéaire, il faut l’avouer – entre Angra et Iron Maiden ! Leur prestation sera entrecoupée en plusieurs occasions, les plombs sautant à maintes reprises probablement en raison de l’humidité ambiante et persistante sur les lieux. Néanmoins, une partie du public semble apprécier cette débauche d’énergie et se retrouve devant le stand du groupe pour acquérir quelques souvenirs musicaux du passage contrarié des Péruviens.
La soirée se termine dans le psychédélisme ‘barré’ de My Brother The Wind, le groupe de Nicklas Barker (guitariste d’Anekdoten). Un titre, c’est une demi-heure minimum, parfois plus, et basé sur un rythme envoûtant autour duquel s’enroulent les improvisations sonores à n’en plus finir. C’est ‘Katmandu Revival’, ‘Space’ à tous les étages et grande quiétude face au temps qui passe … et face à l’Océan. On est ‘zen’ – même si l’épaisse grappe de public perd ses raisins peu à peu – et la soirée se termine dans la torpeur d’une nuit devenue étoilée et annonciatrice d’une belle journée pour la dernière ligne droite.

Jour 3 : Samedi 20 Août 2016
Vide-grenier dans les environs à la recherche de nouveaux vinyles pour les uns, baignade et repos pour les autres, marchés de Saint-Palais sur Mer pour les derniers, chacun gère son temps libre comme il l’entend, pour se retrouver en général autour d’un bon repas en fin de matinée. Puis vient le temps de migrer vers le site, et il va sans dire que le samedi est généralement la journée la plus prometteuse. Cette année 2016 ne déroge pas à la règle, et, en ce qui concerne l’auteur de ces lignes, Anaïd, le premier groupe, va être une véritable révélation ! Leur premier album est pourtant sorti il y a trente ans ! Mais Libertad, le dernier, n’est que le troisième d’un groupe qui a repris vie il y a trois ans seulement, autour d’Emmanuelle, la mère, Jean-Max, le père et Alexis, le fils … sans oublier la fille au merchandising ! Une histoire de famille où seul Ludovic à la basse n’a pas de filiation avec les autres membres. Et quel groupe ! Les Charentais d’adoption déroulent leur univers Zeuhl autour de la voix exceptionnelle d’Emmanuelle Lionet, arrachant quelques larmes aux amateurs du genre. D’autres y sont moins sensibles – notamment ceux à qui la musique de Magma ou Offering ‘parle’ beaucoup moins. Une fois encore, on ne pourra que louer l’éclectisme des organisateurs de la programmation, notamment quand ils offrent à certains une joie aussi intense, liée au passage d’Anaïd (Ils avaient déjà ‘fait le coup’ l’année dernière avec André Balzer et Atoll).
Herba d’Hameli, groupe catalan de Barcelone, prend le relais et assène un rock progressif classique très seventies, où le son du mellotron vient se superposer aux guitares, où les tons vintages sont mis en avant par l’apport du moog et de la flûte. On pense à Premiata Forneria Marconi et par moments à Focus ou à Caravan, avec quelques incursions dans l’univers jazz-prog : l’écoute est des plus agréables et bon nombre de festivaliers se laissent séduire par l’achat de leur dernier album, Interiors, afin de perpétuer les bons moments passés en compagnie du groupe. Nous arrivons alors sur la dernière ligne droite du Crescendo 2016 … et quel programme nous attend ! Ni plus ni moins que deux formations auréolées par leur récent passage au ‘Night Of The Prog’ du Loreley, qui reste à ce jour le plus grand festival de prog d’Europe !
Tout d’abord, Seven Steps To The Green Door. Comment qualifier la musique du groupe, tant elle est riche et diversifiée ? Les Allemands nous invitent ce soir à écouter – ou découvrir – un répertoire pioché dans leurs trois derniers albums. Le magnifique The Book aura la part belle avec cinq titres, dont le superbe enchaînement « Prologue – The Empty Room », qui ouvre le concert et met d’entrée en lumière les variations de style imprimées par nos cinq musiciens où d’un monde jazzy, pop et prog, on passe allègrement à des fulgurances électriques où s’invitent les headbangers, avant d’enchaîner à nouveau sur une pop de qualité qui n’est pas sans rappeler l’univers de groupes comme Everything But The Girl (pour n’en citer qu’un). On passe ainsi allègrement de « my Lovely Mr singing Club », titre très roots dans la plus pure tradition jazz (Marek Arnold s’avère particulièrement en verve au saxophone) à « Last Lullaby », qui mêle rythmes dansants et accrocheurs à un prog de grande qualité. Ce groupe est une autre grande révélation du festival, tant par la maîtrise de sa prestation scénique que par la valeur de ses compositions, et nul doute que la barre vient d’être placée très haut – ce n’est d’ailleurs pas un applaudimètre fourni qui va contredire ces propos.
Il est alors presque 22 heures et le dernier changement de plateau s’opère pour la tête d’affiche de ce festival, Anekdoten. On ne présente plus les Suédois, sur la route depuis plus de vingt ans, mais dont les apparitions sur le sol français sont plus que rares. Comble de bonheur, cette année, pas de déluge annoncé pour la ‘dernière’ (les festivaliers se souvenaient encore avec humour du final apocalyptique de l’édition 2015 sous des trombes d’eau cisaillées par des éclairs qui venaient se jeter dans l’Océan, sans doute hallucinés par les reprises fantastiques de Led Zeppelin par Crazy World). Ou plutôt un déluge sonore, tel que le groupe suédois sait si bien les livrer en concert, alternant psychédélisme étourdissant et envolées planantes, égrenant leurs différents albums – la part belle étant faite à leur petit dernier, Until All the Ghosts Are Gone et à Gravity , probablement le meilleur d’entre eux. Pas de répit, car dès l’entame, nos cinq musiciens ont choisi le puissant « Monolith » et son tempo ravageur pour prendre le public à la gorge. Durant les deux heures de concert (bien trop courtes), ils raviront une foule qui ne diminue pas, et qui aura l’occasion de vivre un des plus grands moments du Crescendo avec une version de « Gravity » d’une vingtaine de minutes, ahurissante et génialissime, nous transportant vers l’extase suprême que peuvent nous renvoyer des groupes comme Anathema par exemple, dans leurs inspirations célestes – à tel point que, plusieurs semaines après, certaines personnes présentes à ce concert évoquent encore ces instants uniques. Difficile de faire mieux – voire impossible – pour clôturer une édition qui une nouvelle fois confirme bien que le Crescendo est la ‘boule à facettes’ du prog tant la richesse de sa programmation ne se dément pas. Vivement l’année prochaine !