Philip Glass

06/06/2016

Kulturværftet - Elseneur

Par Raphaël Dugué

Photos: Split art

Site du groupe : http://www.philipglass.com/

Setlist :

Music in Twelve Parts, Metamorphosis Two, Mad Rush

La venue de Philip Glass au festival Click d’Elseneur était un évènement à ne pas manquer pour la Chromateam d’autant plus qu’il était dans la petite ville côtière danoise pour y interpréter Music in Twelve Parts, pierre angulaire des musiques minimalistes, ainsi que pour y donner une conférence sur ses collaborations cinématographiques.

Le festival Click est un évènement pluridisciplinaire regroupant concerts, ateliers scientifiques et performances artistiques autour d’une thématique. Cette année, c’est le mythe de Dédale qui est à l’honneur, un thème qui sied à merveille à la musique du compositeur américain . Oeuvre monumentale d’une durée d’environ trois heures trente, Music in Twelve Parts est interprétée par le Philip Glass Ensemble depuis sa création dans les années soixante-dix. Inspirée par les musiques hindoues, Music in Twelves Parts est l’une des oeuvres les plus radicales de Glass. En délaissant la mélodie, il fait de la répétition son principe unique. Le concert débute à 19 heures dans un ancien entrepôt du port d’Elseneur, dont le toit laisse passer la lumière naturelle, changeante au fil des passages de nuages. Elle va peu à peu s’atténuer au cours de la soirée. Difficile de rêver d’un meilleur écrin pour la musique de Glass.

Dès les premiers instants de la première partie, le public nombreux se retrouve plongé dans le labyrinthe de l’oeuvre de Glass. Les six musiciens de l’ensemble (deux pour les bois, deux pour les claviers, une vocaliste soprano et Glass lui-même à l’orgue électrique) sont parfaitement en place dans une partition exigeante faite de contrepoints qui ne tolèrent pas les erreurs. Après un premier mouvement calme et doux, la suite sera nettement plus rythmée et exaltante. Les parties s’enchaînent sans aucune pause pendant la première heure du concert. Il y aura tout de même trois entractes au long de la soirée afin de ménager les musiciens et leur public. Tout au long de la soirée la musique évolue par touches subtiles, les boucles ont beau se répéter, elles sont toujours changeantes et progressives.

Être confronté à la musique de Glass, c’est ressentir un sentiment d’universalité, comme faire face à un océan dont les courants plus ou moins forts, plus ou moins profonds circulent dans une immensité infinie. En s’affranchissant des conventions de rythme et de mélodie, Glass retrouve le caractère mythique des musiques orientales. Ses battements ne sont que les très lointains échos des ondes gravitationnelles du Big Bang à la naissance de l’univers.

À chaque entracte, le public applaudit de plus en plus fort les musiciens et, au fil de la soirée, les personnes présentes dans le hall 14 du Kulturværftet se retrouvent dans une sorte de transe. Certains sont allongés au pied de la scène les yeux fermés. D’autres sont rivés sur les mains des claviéristes hypnotisés par les arabesques qu’elles décrivent. Enfin, après avoir débuté plus de quatre heures auparavant, il est temps pour l’ensemble de jouer les dernières notes de Music in Twelves Parts. Malgré les petites erreurs qu’on pardonne aisément tant la partition est complexe, les six musiciens ont accompli une performance mémorable et donné au public une expérience tout à fait fascinante.

Le lendemain, le hall 14 fait peau neuve et les gradins installés temporairement pour le concert de la veille font place à une vaste étendue qui accueille les performances artistiques et ateliers scientifiques. Au milieu du hall, un espace a été prévu pour une conférence avec Philip Glass. Il y évoque ses collaborations avec les réalisateurs de cinéma. On apprend notamment que Glass souhaite débuter la composition au plus tôt dans le processus de création. Il considère que Woody Allen (Le Rêve de Cassandre) et Martin Scorsese (Kundun) sont les seuls réalisateurs d’Hollywood avec lesquels il a travaillé qui soient vraiment intéressés par la musique. Entre ses interventions, le musicien joue deux morceaux en solo au piano, Metamorphosis two et Mad Rush. Si son interprétation n’est pas aussi vivace que celle qu’il a enregistrée sur disque il y a quelques années, elle possède une gravité et une profondeur nouvelle. L’artiste en profite pour expliquer que Mad Rush est une pièce qu’il a composée pour orgue avant de lui préférer le piano (pour les curieux, une version jouée à l’orgue se trouve sur l’album Analog paru en 2006). Après une heure d’échanges et de musique, Philip Glass salue son public, on regrette seulement qu’il n’ait pas eu le temps d’évoquer son travail sur la trilogie des Qatsi(Koyaanisqatsi, Powaqqatsi, Naqoyqatsi trois films expérimentaux de Godfrey Reggio).

À 79 ans, Philip Glass a montré qu’il est encore toujours pertinent tant dans sa musique que dans son interprétation. Music in Twelve Parts est un formidable exemple de ce que Glass a écrit de meilleur, beaucoup de son oeuvre découle d’ailleurs directement de ses explorations qu’il a entreprises avec cette composition. Au delà, la venue de l’artiste américain rappelle son influence incomparable dans la musique ou le cinéma en général. À Elseneur, la ville d’Hamlet, personnage principal d’une histoire sans cesse réinventée et mythe aux thématiques fondatrices, la musique de Philip Glass a pris toute sa mesure.