Agent Fresco – Interview de Þórarinn Guðnason

A l’occasion de leur tournée européenne, qui suit la sortie de leur album Destrier, les Islandais d’Agent Fresco ont posé leurs valises au Klub, à Paris, pour un concert à la fois intimiste et survolté. Þórarinn Guðnason, dit Tóti, le guitariste-claviériste-arrangeur-compositeur du groupe, est revenu pour Chromatique sur la genèse de l’album et un état des lieux de l’étonnante scène musicale islandaise.

L’Islande est un pays d’à peine plus de trois cent mille habitants, qui regorge pourtant d’artistes iconiques et originaux comme Bjôrk, Sigur Rós ou encore Sólstafir. Peux-tu nous en dire un peu plus sur la scène musicale islandaise ?
C’est une scène qui est très ouverte. Il y a certes peu de gens et donc peu de groupes, mais une grande diversité musicale et tous les genres se mélangent. Par exemple, nous avons déjà joué avec des groupes de hip-hop. Il n’y a pas vraiment d’argent à se faire avec la musique, alors chacun fait ce qui lui plaît et n’essaye pas de faire de pop formatée qui rapporte. Pas de grands labels en Islande, que des petits locaux.

En parlant de mélange des genres, Agent Fresco présente une grande diversité musicale. Mais quelles sont vos influences principales ?
Elles viennent de partout, car on peut trouver de la beauté dans tous les genres musicaux. Je pense que je suis très influencé par la musique classique, et nous avons tous une formation en jazz. Arnór, notre chanteur, a également étudié le chant lyrique.

Comment le groupe s’est-il formé ?
Nous nous sommes tous rencontrés pendant notre formation musicale, même si nous formons un mélange assez étrange et détonnant. Nous n’avions jamais entendu Arnór auparavant, nous savions qu’il chantait et nous lui avons juste demandé s’il voulait rejoindre le groupe. Il a écouté ce que nous faisions, ça lui a beaucoup plu et nous avons accroché tout de suite. Nous avons monté le groupe à Reykjavik, même si je viens moi-même du nord de l’Islande. Arnór a grandi au Danemark avant de réemménager en Islande.

A quelles difficultés se heurtent les groupes qui veulent percer dans un pays comme l’Islande ?
C’est effectivement assez difficile. Il y a quand même un certain nombre de lieux pour jouer, ou du moins il y en avait auparavant. Avec le développement du tourisme en Islande, de nombreux hôtels ont été construits et beaucoup de salles de concert ont fermé. Ce qui est ridicule, car les touristes viennent pour la culture, et ces hôtels la détruisent. Mais il reste quand même une belle énergie, la culture y est vibrante.

Avant Destrier, vous aviez sorti A Long Time Listening il y a cinq ans. Qu’avez-vous fait pendant tout ce temps ?
Nous avons beaucoup joué. J’ai écrit la plupart des parties instrumentales jusqu’en 2013, que nous avons quasiment toutes enregistrées dans la foulée. Mais Arnór a eu des problèmes avec les paroles, il n’y arrivait pas. Il essayait d’écrire mais il a eu de graves soucis personnels, il a dû lutter contre une spirale infernale d’émotions négatives, de colère, ça a été très dur pour lui comme pour nous. Cependant, au final, quelque chose de très beau en a émergé. Je pense que nous en avons tous beaucoup appris.

Tu en as déjà touché quelques mots, mais peux-tu nous décrire le processus créatif derrière Destrier ?
J’ai donc écrit la plupart des parties instrumentales, puis Arnór a écrit la partie chant et les paroles. Nous avons un fonctionnement assez différent, je pense, de la majorité des groupes de rock qui créent ensemble en salle de répétition. Nous avons une façon de fonctionner qui se rapproche de l’écriture du classique même si ce n’est pas ce que nous faisons.

Y a-t-il un thème, un concept qui sous-tend l’album ?
En effet. Il y a des paroles fortes, des idées et concepts musicaux auxquels nous faisons référence tout au long de l’album, comme à son début par exemple : des séries harmoniques qui refont surface ça et là tout au long des morceaux. Je trouve cela vraiment beau, j’aime beaucoup exploiter ce concept. Au niveau des paroles, beaucoup d’entre elles parlent de vivre avec sa colère, gérer son anxiété. C’est évidemment un thème très personnel pour Arnór, cela l’a aidé à travailler sur ses émotions. Cela se ressent beaucoup tout au long de l’album selon moi.

A la lumière de ces éléments, pourquoi avoir appelé l’album Destrier ? Et quelle est la signification de la pochette, cette femme au visage caché par les flammes ?
Le titre se réfère aux chevaux de guerre, qui sont dressés pour, dont le seul but était de foncer dans la bataille et mourir, ce qui reflète bien toutes ces idées de colère, d’angoisse, de guerre contre soi-même. La pochette représente le même état d’esprit : les flammes qui recouvrent le visage représentent ces émotions, cette colère qui te submergent, te consument, t’étouffent et contrôlent toutes tes pensées.

E
n prenant un peu de recul par rapport à la sortie de l’album, quels sont tes retours sur la façon dont il a été reçu et perçu ?
C’est tout bonnement incroyable ! Pour le premier album, on n’avait pas de label pour distribuer au-delà de l’Islande, aucun agent en Europe. On a essayé d’avoir des retours sur le disque par nous-même, mais c’est difficile de le faire par ses propres moyens. Seules quelques personnes en Europe avaient entendu parler de nous, mais là, on a des bons retours de partout, c’est incroyable, ça nous permet de tourner. On va essayer de faire plus de sets acoustiques, on aime beaucoup ça. On en a fait pas mal en Islande, avec un swing quartet. Je trouve que cela permet de mieux mettre en valeur l’émotion qui se dégage, les paroles des chansons. C’est une toute autre atmosphère.

Vous êtes au cœur d’une grande tournée, ce qui n’aurait pas été possible avec le premier album comme tu l’indiquais. Quel est le profil type d’un amateur d’Agent Fresco ?
Notre audience est très diversifiée. Il y a des personnes de tout âge, de tout milieu qui viennent nous écouter. C’est peut-être pour cela qu’il est compliqué de nous apposer un label en matière de type musical ! Notre musique attire un vaste spectre d’auditeurs.

Vous allez tourner avec Coheed and Cambria en Allemagne en 2016. Comment cela s’est-il organisé ? Comment avez-vous pu être mis en relation avec ce groupe, dont le style musical est très différent du vôtre ?
C’est grâce à nos managements respectifs, d’où l’importance d’avoir un bon agent ! C’est une immense opportunité pour nous de pouvoir tourner avec un groupe de cette importance. On a vraiment hâte d’y être, on va pouvoir toucher encore plus de gens !