Anathema

01/12/2015

Eglise St Eustache - Paris

Par Thierry de Haro

Photos: Thierry de Haro

Site du groupe : http://www.anathema.ws/

Setlist :

The Lost Song, Part 2 - Untouchable, Part 1 - Untouchable, Part 2 - Thin Air - Dreaming Light - Deep - One Last Goodbye - Ariel - Temporary Peace - The Beginning and the End – Glory Box (Portishead) - Running Up That Hill (Kate Bush) - Anathema - Are You There ? - Distant Satellites - A Natural Disaster - Fragile Dreams - Another Brick in the Wall Part 2 (Pink Floyd)

La fabrique à rêves …

Le bouche à oreille reste l’un des moyens de communication les plus efficaces à travers les époques. Parfois, il mène aux théories les plus fumeuses … mais lorsqu’il se confirme – comme ce fut le cas à l’annonce, l’été dernier, d’un concert acoustique d’Anathema en l’église Saint Eustache – il peut conduire les heureux possesseurs du divin sésame vers le chemin du paradis.

Cinq cents privilégiés s’étaient hâtés sur le parvis de cet imposant édifice, où le maître des lieux s’était déplacé en personne pour accueillir les fidèles du groupe de Liverpool – se réjouissant de la jeunesse de l’auditoire. Nous comprîmes, ne serait-ce que par les tenues vestimentaires, qu’il était différent du public habituel, et que pour la plupart des présents, il s’agissait d’un véritable baptême : un concert de rock dans un endroit habituellement dédié au culte religieux – une expérience probablement inoubliable à vivre …

Après quarante-cinq minutes d’attente, ouverture des portes … pour y découvrir l’immensité et la beauté d’une nef majestueuse, se terminant sur un chœur surplombé par un orgue imposant, qu’un Rick Wakeman en guest n’aurait sans doute pas épargné. Mais que nenni, point d’invités ce soir – et c’est dans une ambiance quasi recueillie à peine troublée d’applaudissements sages, que Vincent et Danny, deux des frères Cavanagh, ainsi que l’incroyable Lee Douglas, entament la partie 2 de « The Lost Song ». Apparaissent alors les premiers dressages de poils – aisselles comprises – qu’on prise en des circonstances pareilles : nos tremblements furtifs expriment le bonheur de traverser des instants musicaux si purs, prolongés par les voix sublimes de Lee et Vincent .

Si les Anglais sont surpris en début de set de la relative retenue du public – se demandant si la solennité du lieu n’en est pas la raison – l’ambiance va vite monter d’un cran dès les premiers accords de « Thin Air », titre qui leur a permis d’augmenter conséquemment le nombre de leurs fans. A tel point que Danny demande de ne pas applaudir en début de morceau, ayant ses boucles à enregistrer en frappant de ses mains sur la caisse de sa guitare. La majorité de leurs interprétations du soir est ainsi rythmée d’une manière aussi épurée qu’efficace.

« Dreaming Light » pourrait être la quintessence de cette alchimie acoustique. Lee Douglas est une étoile qui scintille dans l’ambiance tamisée d’un chœur d’église qu’elle enveloppe de sa grâce. Chacune de ses interventions provoque une mise en fonction du système lacrymal qu’une respiration profonde arrive à contenir. Vincent vient y apposer sa voix chaude et complémentaire. Ils déclinent à l’unisson les titres d’un répertoire qui, dans les grandes lignes, ressemble à celui offert au public lors de l’excellent Universal, album live précédent exécuté avec un orchestre classique. Nous vivons une vraie cure de jouvence, bonifiée par l’insertion de titres hors répertoire, tels « Glory Box », figure de proue de Portishead dans les années quatre-vingt dix – mais surtout « Running Up That Hill » de Kate Bush, qui retrouve une seconde jeunesse dans sa version acoustique reprise par Danny Cavanagh, alors seul sur scène.

L’inhibition de départ a disparu, la foule semble s’être approprié l’immensité de l’espace, et la communion avec le trio est totale. Danny donne une nouvelle fois l’impulsion nécessaire pour l’un des sommets du concert : « Anathema », titre enlevé en diable (bien que le terme ne soit pas le mieux choisi en ces lieux …), provoque désormais une participation active de l’assistance. Tout le monde s’est levé et frappe dans ses mains pour accompagner le groupe, visiblement aussi heureux de partager ces instants inoubliables.

Nous confesserons bien quelques imperfections : un début à contre temps pour « Ariel » – Lee partant un peu plus vite que la musique – ou l’impossibilité, en raison d’un problème technique, de jouer un titre des Beatles, en avant-dernier rappel. Mais peu importe, la soirée est vraiment magique, et ce n’est pas le dernier morceau, un « Another Brick In The Wall (part 2)  » relativement dispensable, qui refroidira l’enthousiasme ambiant d’un public conquis.

Après presque deux heures de concert qui paraissent trop courtes – une première partie d’une heure quinze à laquelle se rajoutent quarante-cinq minutes de rappels – les lumières se rallument. Les cinq cent personnes, conscientes qu’elles viennent de vivre un moment exceptionnel et unique, se dirigent la mine réjouie vers la sortie. Elles peuvent désormais s’enfoncer dans la nuit parisienne, la tête pleine de rêves …