Gong + Magma

18/01/2015

Les Tanzmatten - Sélestat

Par Jean-Philippe Haas

Photos: Nicolas Holtzer

Site du groupe : www.magmamusic.org

Setlist :


Set-list Gong : This Revolution - You Can’t Kill Me – Occupy - I've Bin Stoned Before/Mister LongshanksO Mother - The Eternal Wheel Spins - Oily Way - Outer Temple - Inner Temple - When God Shakes Hands with the Devil - Master Builder Tropical Fish - Dynamite
Set-list Magma : Köhntarkösz - Ëmëhntëhtt-Rê

Lorsque les trajectoires de deux légendes de la musique des années soixante-dix se croisent quelque part dans la plaine d’Alsace, on peut s’attendre à passer un moment exceptionnel ou, au contraire, à éprouver à une cuisante déception. Mais ce soir, les promesses ont été tenues : les fans des deux groupes, qui n’ont pourtant pas ou peu d’atomes crochus, n’oublieront probablement pas ce concert, l’une des plus belles affiches qu’ait connue la région ces dernières années.

La salle de concert du superbe centre des Tanzmatten de Sélestat affiche complet, ce qui fait huit cents personnes ayant fait le déplacement pour l’événement. L’ambiance est bon enfant, les styles vestimentaires et les âges aussi divers que variés. Quelques odeurs suspectes flottent au-dehors, mais la bière est le carburant principal de cette soirée, accompagnée parfois d’un hamburger local fourni par le marchand ambulant du coin.

Le spectacle de Gong démarre pile à l’heure, ce qui prend au dépourvu quelques spectateurs – dont nous-mêmes -, peu habitués à la ponctualité des artistes en France. Les animations psychédéliques très seventies projetées sur grand écran donnent le ton du concert : détendu, ludique, basé davantage sur l’enthousiasme que sur la performance technique. Pendant une grosse heure, Gong enchante le public par des compositions très variées, allant du proto (ou post) punk au jazz en passant par le rock psychédélique et progressif. L’album dernier-né I See You, et bien évidemment le légendaire et fondateur Camembert électrique sont mis à l’honneur. Si pas un des membres originels n’est de la partie, l’esprit de Gong est présent plus que jamais. Kavus Torabi, Fabio Golfetti, Ian East, Dave Sturt et Cheb Nettles rendent hommage au grand absent de la soirée, Daevid Allen – 77 ans, s’il vous plaît – qui se remet tranquillement d’un cancer.

On constate avec plaisir que la jeunesse est fort bien représentée dans les premiers rangs de la fosse, et qu’elle apprécie à sa juste valeur la musique débridée de Gong. Le groupe distille bonne humeur et énergie par l’intermédiaire du fantaisiste Kavus Tobabi. Celui-ci annonce d’ailleurs que c’est son anniversaire et que jouer avec Magma, son groupe favori, est pour lui le plus beau des cadeaux. La foule essaie bien d’entonner un « happy birthday », mais le sémillant guitariste/chanteur se hâte d’enchaîner. Quelques minutes plus tard, c’est déjà l’heure du rappel (« Dynamite »), mais à l’issue de cette courte prestation la foule est consciente d’avoir assisté à un moment rare.

Avec Magma, la sobriété est de retour, et les premiers rangs prennent quelques années au passage. On ne rigole pas avec Magma, le recueillement et la modération du public sont de rigueur. Les deux derniers titres de la trilogie « Köhntarkösz Anteria »/ « Köhntarkösz » /» Ëmëhntëhtt-Rê » sont joués, et quels titres ! Radicalement différent de celui qui vient de le précéder, le show, rôdé au Triton les jours précédents, est réglé au millimètre; on sent qu’il n’y a aucune place pour l’improvisation. Les spectateurs sont hypnotisés ou ennuyés, en transe ou dubitatifs, mais l’emprise de la performance est évidente. Les musiciens sont plongés corps et âmes dans cette grande ronde cosmique, chacun à sa manière : extravertis (Christian Vander, Benoît Alziary) ou concentrés sur leur instrument (Jérémie Ternoy, Philippe Bussonnet, James Mac Gaw). Le chant, grand point fort du spectacle, met en lumière la complémentarité entre Hervé Aknin, charismatique, Stella Vander et Isabelle Feuillebois, beaucoup plus réservées mais totalement maîtresses de leur art.

Le public tente des applaudissements lors des accalmies, mais reste hypnotisé par la performance et se manifeste surtout à la fin des titres. C’est une ovation pour Magma lorsque s’achève « Ëmëhntëhtt-Rê » et que les spectateurs peuvent enfin se lâcher complètement. Le groupe revient brièvement pour la présentation des musiciens, sur fond, semble-t-il, d’un extrait de « Mekanïk Destruktïw Kommandöh ».

Plus que jamais, Magma montre qu’il est toujours l’un des acteurs principaux des musiques avant-gardistes et qu’il n’a rien perdu de sa fougue et de sa créativité. Qui aurait cru, alors que seuls des artistes consensuels, soutenus ou sponsorisés remplissent encore les salles, qu’un duo d’expérimentateurs jusqu’au-boutistes surgis du fin fond de l’âge d’or du rock attirerait encore plusieurs centaines de spectateurs dans la petite ville de Sélestat ? Les programmateurs des Tanzmatten y ont cru, et cette foi, au même titre que le courage qui va avec, méritent un grand coup de chapeau.