Emile Parisien Quartet / Thomas de Pourquery Supersonic

16/11/2014

Auditorium de la Cité de la musique - Strasbourg

Par Jean-Philippe Haas

Photos: Jean Isenmann

Site du groupe : https://www.facebook.com/emile.parisien.1

La programmation de Jazzdor réserve toujours de belles surprises et sa vingt-neuvième édition ne déroge pas à la règle. Ce double concert Emile Parisien Quartet / Thomas de Pourquery Supersonic à l’auditorium de la Cité de la musique a sans doute marqué durablement les esprits. Et les tympans. Philippe Ochem a eu le nez creux, une fois de plus serait-on tenté de dire, en programmant le même soir deux formations emblématiques d’un jazz français qui regarde vers l’avant, toutes deux récompensées aux Victoires du Jazz 2014. Compte-rendu d’une soirée explosive.

La chemise est un accessoire obligatoire dans le jazz. Unie ou à pois, repassée de frais ou savamment froissée, elle s’impose comme le seul vêtement autorisé en concert. Arborant un tee-shirt, le bassiste de Thomas de Pourquery, Frederik Galiay, a néanmoins eu droit à une dérogation, car la basse, après tout, c’est un instrument de rockeur, alors soit. Mais si l’étiquette vestimentaire a été respectée dans l’ensemble, il a fallu se rendre à l’évidence que celle du jazz a volé en éclats. La jeune génération veut en découdre avec ses aînés et le jazz à papa. Les deux groupes de ce soir ne se sont pas gênés pour le faire savoir.

Pour ses dix ans d’existence, le quartet d’Emile Parisien offre aux spectateurs strasbourgeois un spectacle très haut de gamme, où l’usage traditionnel des instruments est détourné sans vergogne. Pendant que Sylvain Darrifourcq maltraite son kit de toutes les manières possibles – y compris avec un cintre – et que Julien Touéry fouraille les entrailles de son piano pour en tirer des sons qu’on ne lui connaissait pas, Emile Parisien prend des poses de rappeur avec ses saxophones tandis qu’Ivan Gélugne parcourt le manche de sa contrebasse de la plus frénétique des manières. Les yeux bandés, on jurerait parfois que l’électronique s’est invitée, mais il n’en est rien : tout est produit de façon acoustique, grâce à l’inventivité des quatre musiciens qui repoussent les limites de leurs instruments. Un peu frustrant, parfois, car malgré les grandes qualités acoustiques de l’auditorium, la balance est en faveur de la section rythmique, ce qui oblige à dresser l’oreille pour entendre, sur les passages les plus nerveux, les trouvailles et circonvolutions du piano et du saxophone.

Le quartette a privilégié les titres les plus contrastés de ses deux derniers disques Chien Guêpe et Spezial Snack. Les syncopes sont incessantes, inattendues, les enchaînements improbables. Les moments de recueillement succèdent sans avertissement aux déchaînements de violence virtuose. Le swing, mis à mal, souvent étouffé, ressurgit régulièrement, malgré les assauts de la batterie façon blast beats, preuve que tout ceci est incroyablement maîtrisé. Les passages où chacun semble jouer indépendamment des autres font place sans sommation à des unissons réglés au micron près. Mais au-delà de la performance technique, du côté spectaculaire, c’est l’effet de surprise, le flot des émotions jetées sans prévenir en pâture, qui a dominé un concert d’où l’on sort épuisé de contentement.

Changement d’atmosphère avec l’arrivée du sextette de Thomas de Pourquery. Le saxophoniste-chanteur est un showman, plus extraverti que son devancier. La température monte d’un cran, le spectacle bascule dans une communion ésotérique avec des forces mystico-extra-terrestres – mise en scène de façon très « second degré » par un meneur enthousiaste et à l’évidence ravi d’être là. Les sons et autres bidouillages électroniques vintage ainsi que le chant – ou plutôt les incantations ! – sont de retour… où l’on découvre que De Pourquery dispose d’un sacré bel organe vocal. Album de l’année Thomas de Pourquery & Supersonic play Sun Ra prend ainsi sur scène les allures d’une grande fête cosmique en hommage au plus prolifique et illuminé des jazzmen.

Aux côtés du leader à la barbe généreuse , Edward Perraud, batteur épileptique possédé à la Christian Vander, assure une bonne partie du spectacle, pendant que les quatre autres musiciens font tourner une mécanique bien huilée que n’aurait pas renié le principal intéressé, décédé il y a plus de vingt ans déjà. L’humour s’allie aux compositions contrastées et bouillonnantes de Sun Ra. Quasiment aucun répit n’est laissé aux spectateurs qui ne s’attendaient probablement pas à cette déferlante sonore.

Alors, un concert de jazz où l’usage de bouchons d’oreilles aurait presque pu s’envisager ? Qu’est-ce à dire ? Hérésie ? Qui sont ces jeunes sauvageons qui viennent maltraiter tous les académismes ? Toujours est-il que les jeunes, ils étaient aussi dans les gradins, et plutôt en grand nombre ! Jazzdor rassemble, faut-il encore le répéter, et les deux formations de cette soirée sont les resplendissants témoins de la vigueur du jazz avant-gardiste français.