The Pineapple Thief – Magnolia, pour toujours

Dévoué corps et âme à son groupe, Bruce Soord n’a eu de cesse de persévérer album après album sur la voie d’un rock progressif moderne, flirtant régulièrement avec la pop. Les sacrifices et la volonté sans faille de ce leader discret ont fini par porter leurs fruits, le groupe ayant finalement pu signer sur l’emblématique label KScope jusqu’à sortir en 2012 un « All the Wars » plus direct, à la production léchée. Deux jours avant la sortie de son successeur, « Magnolia », nous avons rencontré le chanteur-guitariste pour un entretien sincère et chaleureux.

Chromatique : Parlons un peu de All The Wars, votre album précédent. Ce fût un succès critique et commercial, et il semblerait même que vous vendiez plus d’albums qu’avant, alors que l’industrie du disque s’écroule et que le piratage a encore de beaux jours devant lui. Considérez-vous cela comme de la reconnaissance, ou le début d’une nouvelle ère ?
Bruce Soord : C’est une excellente question. Je pense que la scène progressive est assez unique en son genre. Beaucoup de fans aiment encore acheter et détenir le produit physique ; ils aiment le packaging et KScope a le don de faire des produits que les gens aiment posséder « physiquement ». Mais tu as raison en même temps : si on était dans les années quatre-vingt, combien d’albums vendrait-on ? On ne peut pas le savoir. Je pense cependant qu’il y a une forme de renaissance dans l’acte d’acheter de la musique. Les ventes de vinyles s’accroissent, par exemple. On ne peut pas savoir, mais même les jeunes générations qui ont grandi avec le téléchargement achètent de la musique. C’est plutôt encourageant, ce sont de bonnes nouvelles.

Etre signé par KScope a été une étape majeure dans votre développement artistique, en vous offrant plusieurs opportunités. La dernière en date est une collaboration avec Jonas Renkse de Katatonia sur l’album Wisdom of Crowds. Etait-ce le projet d’un seul album, ou prévoyez-vous de le développer ?
La question est intéressante parce que, sur cet album, Jonas a débarqué à la toute fin : il est venu dans mon studio en Angleterre juste pour chanter. Mais ça s’est super bien passé et, quand j’ai joué avec Katatonia en début d’année 2014, on a parlé de refaire un album de Wisdom of Crowds qui serait une vraie écriture collaborative. J’ai écrit le premier avec quelqu’un qui travaillait chez KScope, mais le prochain, ça sera vraiment Jonas et moi.

Ce qui donnera quelque chose de différent.
Exactement ! On ne sait pas ce que cela va donner, c’est la beauté de la chose !

Tu viens de terminer une longue période de remastering de ta discographie. Quel effet cela a-t-il eu sur la perception que tu as de ta propre musique ?
C’était étrange, parce que tu n’écoutes d’habitude pas tes vieux morceaux. Et remonter aussi loin, je pense que ça m’a donné à réfléchir sur l’écriture du nouveau matériel.

Ce n’est pas un peu difficile, voire douloureux, d’écouter ses anciennes créations, alors même que l’on pense avoir progressé ?
Je pense comme un artiste. Quand je termine l’écriture d’un album, je me dis « bon, voilà, ça fait partie de l’ensemble de mes créations », je pense déjà à la suite sans trop m’attarder dessus. Donc, dès qu’un album est fini, je le range dans le back catalogue, en quelque sorte.

Mais est-ce que cela a malgré tout influencé l’écriture du nouvel album, d’une certaine façon ?
Oui, et aussi parce qu’on a un nouveau batteur, qui a réécouté tout le back catalogue avec moi. Il y avait d’ailleurs tout un tas de morceaux que j’avais écrits et complètement oubliés ! On va en jouer quelques-uns en live. Et je me suis souvenu de choses pour lesquelles je suis bon et que j’avais peut-être oubliées ! Sur le nouvel album on trouve donc plus de guitares et de travail sur les différentes strates de mélodies.

Parlons du remplacement que tu as fait sur la tournée de Katatonia, en tant que guitariste et chanteur. Qu’est-ce que cela fait, de ne pas être le responsable et de jouer avec un autre groupe ?
C’était tellement relaxant de ne pas être responsable de tout ! Etre frontman, c’est une grosse responsabilité. Tandis que là, je pouvais simplement grimper dans le bus de la tournée, rattraper du temps de sommeil, prendre ma guitare, jouer sur scène et hop ! Fini, retour dans le bus pour me détendre. C’était génial, j’ai adoré.

Tu le referais ?
Oui peut-être, sur une tournée acoustique. Je pense que pour la version métal du groupe, ils auront un line up permanent. Mais on ne sait jamais ! La tournée s’est très vraiment bien passée ; il ne faut jamais dire jamais.

Parlons maintenant de votre prochain album. Quelle est l’idée sous-jacente derrière Magnolia, aussi bien pour la musique que pour les paroles ?
Je pense qu’il s’agit encore d’un instantané de ma vie, comme tous les autres albums. C’est tout ce que j’ai vécu. Le titre vient du grand magnolia que j’ai dans mon jardin. Au fil des ans, il est devenu un symbole de tout ce que l’on a aimé, de la famille, de ce que l’on a perdu… Je me souviens qu’une fois le magnolia était en pleine floraison – ils ont une floraison très brève – et que ma femme, qui traversait une période particulièrement triste, était assise en pleurs au pied du magnolia. Et je me souviens de cette scène, de cet arbre magnifique et de la vision tragique de cette femme. C’était bouleversant, mais c’est le genre de choses qui inspire. C’est un peu sombre, mais en même temps, il y a de la vie parce que c’est beau, parce que tu en fais quelque chose.

C’était donc le point de départ. Mais au niveau musical ?
Je voulais que ce soit plus compact. A l’écoute, je pense que l’on peut affirmer qu’il est plus concis. Je sais qu’on a grandi sur la scène rock progressive traditionnelle et que les gens vont voir la tracklist et se dire « woah, mais ce n’est pas progressif du tout ! Il n’y a pas une chanson de plus de 5 minutes !  ». Mais pour moi, si tu écoutes l’album comme un voyage, il y a tellement d’ambiances et de styles différents que ça reste progressif. Il y a une vraie progression émotionnelle.

On sent une petite touche Anathema dans votre musique, non ? Vincent Cavanagh est-il une influence pour toi ?
Ha ha, oui ! Déjà, on est sur le même label. Ensuite, je pense qu’on penche tous les deux vers les mêmes frontières de la musique progressive, vers une musique mélodique mainstream, même si cela peut paraître étrange d’utiliser ce genre d’expression. Au niveau thématique aussi, je pense qu’on est assez similaires.

D’ailleurs, l’aspect symphonique va bien avec ta musique et celle d’Anathema ! Tu avais déjà utilisé un orchestre à cordes sur All The Wars, et tu as l’air d’aimer ça puisqu’on retrouve un aspect symphonique sur Magnolia. Il y a même une trompette. Peux-tu nous en dire un peu plus sur tes expérimentations orchestrales ?
Avec All The Wars, c’était la première fois que j’ai pu travailler avec un ensemble de cordes et un arrangeur. J’ai tellement appris de cette période ! Du coup, dans le nouvel album, je pense que les cordes sont vraiment partie intégrante des morceaux. Contrairement à beaucoup de musiques rock contemporaines où, lorsque tu as un gros budget, tu peux sentir qu’ils se sont dit : « bon, on va ajouter des cordes par-dessus » – ça s’entend. Mais sur Magnolia, quand j’écrivais les chansons, j’avais les cordes en tête et je savais comment Andrew (Skeet, ndlr) ferait les arrangements, comment il travaillerait. Et en fait, quand il faisait les arrangements, je continuais à construire les chansons en les prenant en compte.

Tu n’as fait aucun arrangement ? Quelques propositions peut-être ?
J’en ai fait quelques-uns, mais très basiques. J’ai fait la plupart sur All The Wars, mais là, j’ai complètement délégué à Andrew, car je lui fais entièrement confiance. On se comprend mutuellement. J’ai lui ai délibérément laissé des chansons nues en lui disant « tiens, mets les cordes dessus, celles-là sont pour toi ». C’est lui l’expert, mais c’était tout de même un risque. Mais je lui ai fait confiance.

Mais tu lui donnais ton opinion ?
Oh, oui, évidemment !

Tu aimerais faire une tournée avec un orchestre ?
Oh que oui, mais c’est très cher ! Peut-être juste sur un seul concert. Ou dans quelques années, quand on aura vendu des millions d’albums (rires). Mais il faut qu’on en fasse un ! Il faut que l’on trouve le lieu adapté et qu’on le filme. D’autant que nous n’avons pas encore sorti de DVD.

Tu nous as un peu parlé de ton nouveau batteur, et j’aimerais revenir sur une de tes déclarations. Tu as évoqué le fait qu’il était en quelque sorte le producteur du nouvel album. C’est assez curieux que l’on puisse dire cela d’un nouveau membre, non ?
Il a tout d’abord apporté beaucoup d’énergie au groupe, et il m’a un peu rappelé comment je pouvais tirer le meilleur de moi-même. Je crois qu’auparavant j’étais peut être un peu trop pressé de poser ma guitare, et de me dire qu’une chanson était terminée. Dan m’a en quelque sorte incité à continuer le travail, à donner encore plus. C’est bien plus qu’un simple batteur si je puis dire, il nous a beaucoup apporté du point de vue purement musical, il a apporté de la fraîcheur à l’ensemble.

Ses influences sont-elles différentes des tiennes ?
Il a des influences très « anglaises » je pense, plus issues de la musique « mainstream » que progressive d’ailleurs. Mais lorsqu’il est arrivé, les chansons étaient déjà écrites, il nous a donc aidé sur les arrangements, les mélodies. Il m’a poussé a essayer plus de choses.

Et en termes de production pure, il m’a semblé lire qu’il avait son propre studio ?
Oui, effectivement, il a son propre studioen en tant que batteur , mais nous avons enregistré la plus grande partie du disque chez moi ainsi que dans un studio londonien.

Le processus créatif est une chose relativement mystérieuse et propre à chaque musicien. Qu’est ce qui t’aide à composer, as-tu développé des « routines » d’écriture, des habitudes qui te permettent d’enclencher le processus ?
Démarrer, c’est toujours la partie la plus difficile. En général, pour moi, cela part toujours d’une guitare acoustique. Je n’ai pas besoin d’aller en studio pour ça, c’est spontané, j’ai juste à la saisir si je me sens inspiré sur le moment. Je me mets à jouer, chanter, murmurer… De temps en temps, on tombe sur un moment « magique », et la chanson se forme d’elle même. C’est là que je vais en studio.

As-tu une sorte de discipline ? Te dis-tu en te levant : « Aujourd’hui je vais jouer de 8h à 12h » ?
Non, non. J’ai seulement une discipline dans le sens où lorsque je décide d’écrire une chanson, je m’y mets, tout simplement. Apprendre à saisir l’instant où l’inspiration survient, c’est également une sorte de discipline.

Et lorsque tu saisis cet instant, est-ce que tu t’obliges à terminer la chanson quoiqu’il arrive ?
Non, pas vraiment. Ce que j’essaie, c’est d’enregistrer mon idée sur mon téléphone si j’ai une mélodie, un refrain, un couplet ou même une idée pour des paroles. Parfois, une chanson toute entière peut venir très rapidement. D’autres fois, ce sont seulement des parties distinctes qui me viennent. Et je me retrouve également de temps à autres avec d’anciennes idées qui me reviennent et fonctionnent parfaitement alors qu’auparavant ce n’était pas le cas. Tout cela n’est pas un processus « conscient », cela reste grandement improvisé, je n’ai pas vraiment de méthode d’écriture.

Tu nous as expliqué que Magnolia était probablement ton meilleur album, mais y a-t-il encore un domaine dans lequel Pineapple Thief et toi-même pouvez encore progresser ?
Il y a toujours de nouvelles choses à tester, à expérimenter. Qui plus est lorsque l’on appartient à la scène progressive. J’y pense d’ores et déjà pour la suite et, pour le moment, je pense que la prochaine étape de progression concernera le chant. Auparavant, j’étais plutôt un guitariste qui devait chanter, et à force de jouer en live, j’ai réalisé que ma voix était un instrument important.

Tu avais oublié que tu étais un chanteur ??
(rires) Oui, c’est un peu ça !! Donc améliorer le chant sera la prochaine étape.

Y a-t-il certaines collaborations avec d’autres artistes que tu aimerais développer à l’avenir ?
Travailler avec Jonas fût une très bonne expérience, nous avions beaucoup de points communs. Mais je ne pense pas vraiment à de nouvelles collaborations avant que l’occasion ne se présente d’elle-même.

Et avec Steven Wilson, si tu en avais l’opportunité ?
Evidemment ! C’est une véritable source d’inspiration, mais il m’a également beaucoup aidé depuis plusieurs années. Il m’a donné quelques astuces concernant l’industrie, la façon de progresser en live, et surtout il m’a mis en contact avec KScope. Donc oui, je lui dois quelques bières (sourire).

En parlant de conseil, si tu pouvais revenir quelques années en arrière, que dirais-tu au jeune Bruce pour prendre quelques raccourcis dans sa future carrière ?
La première chose que je lui dirais, ce serait : « Aie une confiance absolue en toi-même ». Pas seulement en studio, mais également sur scène. Ce que je regrette probablement le plus, c’est mon développement en tant que frontman, la difficulté que j’ai pu éprouver à simplement me faire confiance. A mes débuts, j’avais un trac terrible avant de monter sur scène. Bon, désormais, après dix albums, cela va beaucoup mieux (sourire). Tu montes sur scène, si tu plais au public tant mieux, sinon ce n’est pas bien grave. Mais cette confiance, je n’ai pu l’acquérir qu’avec l’expérience, je n’ai pas pris le chemin le plus court mais j’y suis arrivé. La seule chose que je conseillerais réellement à quelqu’un, ce serait de ne jamais, jamais abandonner. On a souvent l’occasion de se poser des questions sur soi-même, de manquer d’énergie pour aller de l’avant… Mais il faut simplement aimer la musique, et faire les choses, ne jamais s’arrêter !

Le fait de tourner intensivement après chaque album pour espérer vivre de sa musique semble être une obligation de nos jours, te sens-tu prisonnier de ce « cycle »?
Non pas du tout ! Je me dis juste qu’à chaque fin d’enregistrement d’album ou de tournée, j’éprouve l’envie de souffler, de m’arrêter. Mais la nécessité, le besoin d’écrire revient immédiatement, et je n’ai aucune pression de la part du label.

Pour conclure, quel album as-tu le plus écouté cette année ?
Question difficile ! Celui que j’ai probablement le plus écouté ces temps-ci est le dernier Opeth. Je sais que leur facette la plus heavy et les growls peuvent manquer à certains de leurs fans, mais personnellement j’ai commencé à réellement apprécier lorsqu’ils se sont mis à chanter (rires) .

Interview réalisée avec la participation d’Elisabeth Parnaudeau