Factor Burzaco – Le facteur sonne toujours trois fois

A l’occasion de la sortie de 3 , le dernier album de Factor Burzaco, l’équipe de Chromatique a décidé de joindre Abel Gilbert, le créateur et l’âme du groupe pour lui poser quelques questions. Notre curiosité est à son comble, tant l’Argentine, pays dans lequel le groupe est né (Burzaco est un quartier de Buenos Aires) paraît bien éloigné, dans sa culture, du Rock Progressif voire de celui « In Opposition ». Abel Gilbert a gentiment accepté de répondre à nos questions, en faisant l’effort de le faire dans la langue de Shakespeare, celle de Cervantes n’étant pas le fort de votre serviteur.

Chromatique : Bonjour Abel, merci de consacrer un peu de ton temps pour répondre à nos questions. Peux-tu nous parler de la création de Factor Burzaco et de tes influences musicales ?
Abel Gilbert
: J’ai créé Factor Burzaco en 2004, après avoir passé dix années sans avoir écrit une seule note de musique ; je traversais en effet une crise personnelle. Je ne me sentais pas pleinement satisfait des choses que je créais dans le domaine de la musique contemporaine que je m’imposais. Or, un jour, le hasard m’amène à ré-écouter « InThe Court Of The Crimson King  » de King Crimson, album que j’avais laissé de côté depuis 1980 jugeant à l’époque ce genre musical trop futile. Je me remis à aimer cette musique qui m’avait permis de me construire dans mon adolescence (je me suis rendu compte du tort que j’avais eu durant toutes ces années à sous-estimer ce genre musical au profit de la « musique académique »). Ce fut un choc de retrouver ces sentiments qui m’avaient transporté dans ma jeunesse ; une véritable révélation ! C’était ce genre de choses que désormais, je voulais écrire. Il ne s’agissait pas pour moi de reproduire ce qui avait été fait par le passé, mais de me servir des ingrédients du rock pour les inclure dans ma propre musique. Cependant, je ne me considère pas comme un musicien de rock, bien que le rock ait contribué à forger mon caractère, ma personnalité. J’y trouve une force que je n’ai jamais trouvée dans aucun autre style musical. J’aime l’idée que la musique de Burzaco ne soit pas identifiable. Quel genre de musique fait Burzaco ? Parfois quelque chose qui se rapproche de la musique contemporaine, parfois du rock, mais la frontière est floue.

La musique de Factor Burzaco est complexe, as-tu appris la composition musicale ?
J’ai étudié la composition durant plusieurs années. Actuellement, j’enseigne la composition en musique électroacoustique à l’Université Nationale de Quilmes .

On ne te voit jamais crédité sur la liste des musiciens, pourquoi ne joues-tu d’aucun instrument ?
Je ne trouve pas d’intérêt à jouer de la guitare ou du piano, car d’autres sont beaucoup plus talentueux que moi. Mon rôle aujourd’hui tout comme hier est celui de compositeur et de producteur. Je participe également au mixage des albums. Sur 3 Pedro Chalkho le guitariste avec qui j’ai co-écrit deux morceaux s’est montré excellent co-producteur. Je suis fier des musiciens qui ont participé aux deux albums précédents, mais je trouve qu’avec la formation actuelle, je suis arrivé à une très grande qualité technique et artistique. Tous ces artistes sont également mes amis. Cela rend nos relations de travail encore plus intenses et aussi plus faciles.

Comment travailles-tu quand tu composes ?
J’écris au préalable toute la musique, mais je finalise la composition lorsque les musiciens sont derrière leur instrument et travaillent les morceaux. Les musiciens me permettent grâce à leurs qualités techniques et artistiques, lorsqu’ils jouent, de finaliser et d’arranger mes compositions.

Peux-tu nous parler de l’enregistrement de l’album ?
Cet album a été enregistré pour la première fois en un temps record en seulement quatre mois. Cela a été possible grâce à la qualité et à l’implication de chaque musicien qui a étudié et répété les morceaux avec une grande conscience professionnelle.

Carolina semble être un élément important dans la musique de Factor Burzaco ?
Sans Carolina, Factor Burzaco ne serait pas ce qu’il est. Nous nous entendons vraiment très bien. La preuve en est qu’habitant loin l’un de l’autre, nous arrivons à répéter et à nous comprendre pour élaborer les morceaux par téléphone ! Ma confiance en Carolina est totale. Elle sait parfaitement ce qui est bon pour Factor Burzaco. Au bout de seulement quelques séances d’enregistrement, elle arrive à obtenir des résultats surprenants. J’ai eu aussi beaucoup de chance d’avoir pu co-produire et arranger certaines compositions de son album solo, Lomas .

Quel genre de musique écoutes-tu actuellement ?
J’écoute tous les styles musicaux. Durant mon adolescence, j’écoutais des groupes tels que King Crimson, Van Der Graaf Generator, Henry Cow, Genesis. Par la suite, comme je l’ai dit plus haut, j’ai délaissé ce style musical au profit de la musique classique dans laquelle je voyais à l’époque une supériorité par rapport au rock. Je pris enfin conscience que des groupes comme les Beatles ou les Kinks avaient laissé sur moi une empreinte indélébile. Je rajouterais des artistes comme Fausto Romitelli, Gerard Grisey, Stravinsky, Steve Reich, Gentle Giant, les premiers albums de King Crimson, Caetano Veloso and Luis Alberto Spinetta. Luis Alberto Spinetta, est à mes yeux l’un des plus grands musiciens argentins des quarante dernières années. Spinetta puise son inspiration du rock, mais sa musique va bien au-delà de tous les genres connus. Son talent est comparable à celui de Caetano Veloso voire même au-delà. Sa musique mériterait d’être mieux connue en Europe. J’avoue qu’après l’amour inconditionnel que je voue aux Beatles, Spinetta restera une référence éternelle pour moi. Il est décédé début 2012. J’ai écrit LAS en sa mémoire.

La musique de Factor Burzaco, de par sa complexité, s’adresse à un public restreint. Trouve-t-elle un auditoire en Argentine ? Est-il difficile de trouver des lieux pour vous produire ?
En décembre dernier, Factor Burzaco a joué au centre expérimental du Teatro Colon à Buenos Aires. Le groupe s’est produit trois soirs d’affilée devant une salle pleine. Notre retour sur scène a répondu aux attentes de ceux qui croyaient que Factor Burzaco n’était devenu qu’un souvenir, une sorte de légende urbaine car nous n’avions pas donné de concert depuis 2006. Je ne pense pourtant pas que notre musique intéresse beaucoup de gens ici. Les albums sont vendus essentiellement à l’étranger et pratiquement aucune vente ne se fait à Buenos Aires. Nous ne recevons aucune aide, le théâtre dans lequel nous avons joué et qui est pourtant du domaine public, ne nous a pas dédommagés des frais occasionnés par l’organisation du concert. C’est toujours très difficile pour nous de jouer devant un public car nous n’avons pas assez d’argent pour louer de tels lieux et nous offrir les services d’un ingénieur du son dans le cadre d’une tournée. Si nous voulions tout de même nous lancer dans l’aventure, le prix des billets d’entrée serait trop élevé et nous n’aurions que trop peu de spectateurs. Par conséquent, nous préférons centrer nos efforts sur la production d’albums.

Peux-tu nous décrire le business de la musique en Argentine aujourd’hui ? Existe t-il une scène progressive ?
Je ne pense pas qu’il existe une scène progressive en Argentine. Mes collègues ou amis évoluent dans le champ de la musique contemporaine ou expérimentale. Cependant, je peux te parler des musiciens qui jouent dans Factor Burzaco et qui ont également leurs propres projets musicaux. Facundo Negri et Pedro Chalkho ont créé un groupe, IDAEA, et sont sur le point de terminer leur premier album. Facundo et Sebastian Preit qui jouent du Hammond dans 3 et du piano sur scène ont créé EPN trio. Leur double album est extraordinaire. Facundo, en plus d’être un musicien virtuose, est un excellent compositeur. Pedro Chalkho est co-producteur, et compositeur de quelques morceaux du dernier album de Factor Burzaco. On peut également l’entendre en invité dans l’album de l’EPN trio. C’est un musicien vraiment talentueux. IDAEA est sûrement de toutes les formations précitées celle que l’on peut le plus facilement classer dans le genre «  rock progressif  ».
Le Nonsense vocal ensemble quant à lui est peut être le meilleur groupe vocal d’Argentine aujourd’hui. Leur album, dans lequel ils interprètent des œuvres de Ligeti et Berio n’a rien à envier à ce qui se fait en Europe. Ils ont participé au morceau LAS. J’ai aussi eu la chance sur cet album, de bénéficier de la participation de Sergio Catalan un des meilleurs flûtistes de musique classique et contemporaine du moment. Il a récemment enregistré un album avec un octuor de flûtes.

Quels sont tes projets immédiats ?
Nous avons commencé l’enregistrement d’un live suite à notre concert au Teatro Colon. Lors de ce spectacle, j’ai essayé de synthétiser le travail effectué sur les trois albums de Factor Burzaco mais avec différents arrangements. Ce disque inclura également deux nouvelles compositions.

As-tu quelque chose à ajouter ? Un dernier mot pour les lecteurs de Chromatique ?
Oui, j’aimerais ajouter ceci : j’aime à penser que la musique de Factor Burzaco est d’un genre mineur. Mais mineur ici doit être compris dans le sens que l’entend Deleuze : non pas celui de basse qualité, mais celui d’un genre qui est actuellement marginalisé, désavoué par une idéologie hégémonique. Je voudrais ajouter aussi que nous apprécions énormément l’intérêt que vous et vos lecteurs ont pour notre musique. C’est grâce à des magazines et webzines tels que le vôtre, que cette musique peut survivre en dehors de la logique mercantile qui prévaut de nos jours. Elle pourra continuer à vivre tant qu’elle aura un auditoire de passionnés qui nous supporteront. Ce sont vos lecteurs qui achètent nos albums. Sans eux les groupes et petits labels sont condamnés à la ruine. Notre engagement et notre challenge est de surmonter les difficultés et adversités et de ne jamais abandonner.

Merci Abel, ce fut un réel plaisir d’échanger ces quelques mots avec toi. Nous te souhaitons à toi et tes musiciens les meilleures réussites possibles dans vos projets. On n’ose pas espérer vous voir un jour vous produire dans nos belles contrées, et particulièrement au festival Rock In Opposition de Carmaux où vous auriez toute votre place, mais qui sait si un jour…