Flower Kings – Le changement dans la continuité

Avant même d’être qualifié de « super-groupe », Transatlantic ressemble surtout à une réunion de musiciens hyperactifs. Fier représentant de ces addicts à la création, Roine Stolt nous parle aujourd’hui de Desolation Rose, dernier album en date des Flower Kings et digne successeur d’un Banks of Eden qui avait marqué les esprits pour un retour du groupe au plus haut niveau.

Chromatique : Une pause de cinq ans puis deux albums en deux ans, Roine, sois honnête, quel type de champignon ou de fleur magique as-tu mangé durant cette pause?
Roine Stolt : (rires) En fait, je crois que cela devait arriver un jour ou l’autre. Il me semble que l’année prochaine nous fêterons les vingt ans du groupe, et cela me semble normal qu’il y ait des hauts et des bas, des moments où tu te sens extrêmement créatif et d’autres où cela ne vient pas. Enregistrer des albums, les jouer en live, répéter ce cycle encore et encore, se produire dans les mêmes salles, interpréter les mêmes morceaux…tu peux perdre l’envie de le faire. Dans ce cas, je pense que la chose à faire est de s’arrêter, de stopper la routine. Et pour moi, cela signifiait pouvoir enfin trouver du temps pour d’autres projets. Au final j’ai fait un album et une tournée avec Transatlantic, trois albums avec Agents of Mercy, et un avec 3rd World Electric (plus orienté rock fusion). Chacun a pu se concentrer sur d’autres choses, et ce fut une situation très saine pour tout le monde.

Quelles sont tes méthodes pour trouver de nouvelles sources d’inspiration, te renouveler ?
Sincèrement, je ne sais pas. Des fois cela vient, d’autres fois non. Lors de ces cinq dernières années, nous avons tous continué à être créatifs, chacun de notre côté. Nous n’avons en aucun cas arrêté de faire de la musique. Pour moi, une journée, une semaine ou un mois lambda consiste majoritairement à être créatif, que cela soit par l’écriture de la musique, le jeu en live ou l’enregistrement en studio… C’est une attitude, un état d’esprit complètement naturel pour ma part. Je ne me vois absolument pas me poser quelque part à simplement lire des bouquins ou faire quoi que ce soit d’autre, car la musique est une part réellement très importante de ma vie. Si tu te mets à faire toujours les mêmes choses avec les mêmes personnes, comme dans n’importe quel boulot je suppose, parfois tu t’en lasses et tu en essayes un autre. Il me semble que c’est un comportement très humain.

Tu es donc désormais de retour « au bureau » si l’on peut dire. J’ai cru comprendre que le processus de composition avait été légèrement modifié pour Desolation Rose, peux-tu nous en parler ?
Quelque part c’était mon idée, de trouver de quelle manière nous pouvions faire les choses de façon un peu différente cette fois-ci. J’espérais que cela puisse aboutir à une musique également différente. Cela dit, je ne pense pas être la personne la plus indiquée pour dire si nous y sommes effectivement parvenus…mais au moins nous avons essayé (rires) ! L’idée était d’arriver au studio avec des démos non finalisées, très « brutes », sans réels débuts ni fins ; pour certaines, nous n’avions que quelques idées de mélodies vocales. Nous sommes arrivés chacun de notre côté avec des éléments divers et variés, des rythmiques, des riffs… Laisser les choses un peu plus ouvertes a permis de donner plus de place à chaque membre pour s’exprimer, et non plus seulement réinterpréter mes chansons ou celles de Jonas à la manière d’un cover band. Chacun a réellement besoin de venir avec ses propres idées, ses suggestions de réarrangement des morceaux pour les finaliser, les recréer en quelque sorte.

C’est peut-être pour cela que l’on trouve bien plus de titres sur Desolation Rose que sur Banks of Eden ?
Oui, peut-être !

Il m’a semblé comprendre que vous avez en partie composé et enregistré l’album au même moment, cette nouvelle méthode a-t-elle pris plus longtemps que prévu ?
En fait, nous ne sommes pas allés en studio « à l’aveugle », nous avions échangé pas mal d’idées via internet au préalable, ce qui une fois en studio nous a permis d’embrayer rapidement sur la mise en place des différentes parties. Mais lorsque nous avions terminé les parties principales et étions capables de les jouer ensemble en studio, en condition live, il nous manquait encore les paroles, quelques sons de clavier ou de guitare. Nous avons pu faire cela une fois de retour chez nous, ainsi que les choeurs. Au final, cela nous a pris environ dix jours pour poser les parties principales en studio, et pour être franc, nous n’avions pas les moyens de rester plus longtemps (rires). C’était vraiment un superbe studio, ce qui a un coût. Cela nous a permis d’enregistrer quasiment deux albums, si l’on compte les huit bonus tracks de l’édition limitée et deux autres morceaux qui n’ont pas fini sur disque. Le fait d’avoir été très créatifs sur cette période nous a laissé le temps de finaliser les choses dans nos home studios respectifs, et de continuer ainsi à expérimenter tranquillement à la maison. On peut donc dire que tout cela nous a pris un peu plus de temps que pour le précédent album, mais finalement pas tant que ça.

Il semblerait que les paroles soient très sombres et abordent des sujets politiques, peux-tu expliquer les thématiques de l’album ? Y a-t-il une sorte de concept ?
Je suppose qu’on peut appeler cela un concept, nous avons tenté de créer une sorte de trame cohérente. C’est un peu comme au cinéma, tu crées une ambiance, et tu as envie de la garder pour au moins une soixantaine de minutes. Pour l’album bonus il y a une certaines diversité, un mix entre des chansons plus légères et d’autres plus sombres, mais pour l’album principal c’était mon idée de suivre cette trame, qui a du sens pour moi. Pour l’auditeur je ne sais pas (rires). Dark Fascist Skies part de l’idée que ce qu’il se passe en ce moment dans de nombreuses parties du globe ressemble a une prise de contrôle des gouvernements. Lorsque l’on va en Angleterre ou aux Etats-Unis il y a toujours un processus énorme mis en place pour te contrôler, toi, ton identité, mais également ton passé. Tout cela, mais également les caméras de surveillance, me dérange et me fait peur à la fois. Il me semble que les autorités sont très au fait de nos vies, nos habitudes, nous poussent à utiliser au maximum la carte bleue plutôt que le liquide. Si jamais ils le voulaient, ils pourraient nous effacer complètement. Le film « Enemy of the State » traitait assez bien le sujet. Vient ensuite la question de savoir si c’est un « bon » ou un « mauvais » contrôle. De savoir si l’effet est positif sur la criminalité ou non. Mais si pour une raison ou pour une autre, une mécanique fasciste venait à émerger ici ou là, les conséquences pourraient s’avérer néfastes. C’est simplement un petit signal d’alerte que j’envoie, car les choses pourraient un jour ne plus être telles qu’elles sont actuellement.

Le nouveau batteur Felix Lehrmann semble s’être parfaitement intégré au groupe ; que vous a-t-il apporté de neuf, comment décrirais-tu sa personnalité musicale ?
Tout d’abord, on pourrait dire qu’il est le musicien le plus « professionnel » du groupe, pas en terme de capacités, mais plus du fait qu’il joue toute l’année. Une bonne année, entre la cinquantaine de concerts pour Flower Kings et une vingtaine pour Transatlantic, je joue environ soixante-dix concerts par an. Les bonnes années, Felix, lui, joue environ deux cents fois !!

Mais Flower Kings est désormais sa priorité?
Je dirais qu’il voit probablement Flower Kings comme son groupe principal, mais c’est également une sorte de freelance. Il vient de Berlin, et joue avec des formations hip-hop, jazz, pop, fait des sessions studios, part de temps à autres en tournée dans le monde entier. Il est encore jeune, n’a pas d’enfants, et peut donc tourner quasiment toute l’année. Il a la vie qu’il désire, et possède un réseau de musiciens qui veulent travailler avec lui, c’est donc naturellement ce qu’il fait. Concernant sa contribution à Flower Kings, il ajoute un peu de « tranchant » à l’ensemble je dirais, un aspect plus heavy assez rafraîchissant. Le point positif étant sa versatilité, car il possède la capacité de s’adapter à tout style de jeu. La mixture fonctionne parfaitement. Grâce à lui, nous avons désormais le Flower Kings dont je rêvais à l’origine. Une personne qui frappe ses peaux avec puissance et passion, mais sait également par instants adoucir le jeu. J’espère vraiment qu’il restera dans notre formation, et d’après ce qu’il m’a dit, il s’éclate vraiment avec nous. Au final, nous sommes son seul réel groupe, le reste du temps, il est en quelque sorte « embauché ». Je pense qu’il se sent appartenir à une entité et il le désirait ardemment, n’ayant jamais été dans une formation au sens propre auparavant.

Au regard de vos douze albums, dans quel domaine penses-tu que vous ayez le plus évolué ? Et que penses-tu devoir encore améliorer au cours des prochaines années ?
C’est une question difficile… Evidemment, nous avons toujours envie de nous améliorer d’album en album, mais il faut également prendre conscience que nous sommes tous prisonniers de nos limites (en tant que compositeurs, interprète ou chanteur par exemple). Et il y a également le groupe en tant que tel, l’entité que nous formons. Il faut également prendre en compte les limites de notre succès, au sein d’un style, le rock progressif, qui lui-même connaît des limites. Nous ne sommes plus dans les années soixante-dix, lorsque Emerson lake & Palmer ou Yes pouvaient jouer dans des stades, ce n’est plus envisageable.

A l’exception de Roger Waters…
(rires) Oui évidemment, Roger Waters, et peut être dans une moindre mesure Steve Hackett, tous deux jouent des morceaux des années soixante-dix dans des salles combles. Il y a également Steven Wilson ou Opeth, Transatlantic bien sûr… Il y a une poignée de groupes à succès en activité ; certes la plupart sont encore loin de celui d’un ELP à l’époque, mais l’environnement actuel semble favorable au genre, et évolue doucement dans le bon sens. Dans notre cas, nous pouvons tourner avec Flower Kings (ou moi-même avec Transatlantic) de façon régulière, et il y a manifestement un public en demande pour ce type de musique. La plupart sont des fans de l’époque dorée bien sûr, mais les plus jeunes sont de plus en plus présents. Dans certaines parties d’Europe ou en Amérique du Sud, les fans sont plus jeunes. A l’inverse, l’âge moyen a tendance à s’élever plus nous montons vers le nord de l’Europe (Norvège, Suède…) où les fans sont plutôt des gars de mon âge, curieux de voir leurs nouveaux groupes préférés. Ils y trouvent une musique qui leur parle, issue de celle qu’ils aimaient dans les années soixante-dix.

Comment as tu trouvé la dernière tournée, avec Neal Morse? Etait-ce une sorte d’échauffement pour Transatlantic? (Ndlr : les membres de Flower Kings et Neal Morse avaient « fusionné » à l’occasion lors d’un mini-set Transatlantic)
Il me semble que tout le monde était vraiment très heureux de participer à cette tournée, et nous avons été surpris par le retour du public. Nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre. Je ne sais plus si la suggestion de cette tournée venait de la maison de disques ou de Neal, mais lorsqu’on nous l’a proposée, je pensais au départ que la précédente tournée de Flower Kings était un peu trop proche dans le temps. Neal, au même moment, ressentait un besoin urgent de partir en tournée, notamment pour promouvoir son nouvel album, mais également pour venir en Europe. Nous en avons discuté un petit peu, et au final, pourquoi pas? Dans ce cas là, nous essayons de rendre la chose un peu « spéciale ». Nous avons donc décidé, trois membres de Transatlantic sur quatre étant présents sur scène, de reprendre une heure de Transatlantic et rendre cette tournée unique. Je ne dirais pas que c’était une condition pour que nous partions en tournée, mais c’était une idée centrale. Les retours du public furent en général excellents. C’était un sacré challenge, avec beaucoup d’échanges d’instruments et de matériel entre les différents sets (ce qui a pu poser quelques problèmes de câbles notamment). Nous étions déjà en tournée il y a quelques mois à travers l’Europe, mais également au Japon et en Russie, et pour nous, en tant que Flower Kings, il a semblé que toute cette année écoulée fut un réel succès. On s’attend toujours à tomber sur LE show qui pourrait mal se passer, celui où le public pourrait ne pas être enthousiaste, mais jusqu’ici, cela s’est toujours bien passé pour nous.

Pour conclure, comment vois-tu le futur de la musique progressive, quels sont les groupes qui t’impressionnent le plus?
J’ai l’impression que la musique progressive est entrée d’une certaine manière dans la même catégorie que le jazz. A la fin des années soixante-dix, le rock progressif a déjà connu un certain déclin, certains l’ont cru mort, puis sont venus Marillion, IQ, Yes avec Big Generator et 90125 (bien que ça ne soit pas leur période la plus progressive). Depuis environ vingt ans, le genre ressort de l’underground petit à petit et est aujourd’hui en bien meilleure santé qu’il y a trente ans ! Pour répondre à ta question, il y a des groupes de jeunes, entre vingt et trente ans, influencés par le hard rock et le metal, qui incorporent des éléments issus du rock psyché ou même de la pop, et donnent un résultat intéressant. En ce moment, j’aime beaucoup District 97, un groupe américain, et aussi une formation un peu plus classique et plus proche de Flower Kings qui se nomme Haken.

Un peu plus metal cependant.
Oui, tout à fait, mais on peut déceler les racines du « classic prog » malgré tout. Et j’aime également beaucoup Jolly. C’est ce que j’écoute actuellement, mais on ne peut pas vraiment savoir jusqu’où ils iront. Je ne sais pas si tu as écouté District 97 ?

Non, c’est le seul de ta liste que je ne connaisse pas !
C’est un groupe de Chicago, il faut absolument que tu ailles voir sur Youtube ce qu’ils font ! Ils démarrent actuellement une tournée avec John Wetton aux Etats-Unis, et ça en dit long sur la qualité de leur musique ! Je n’appelerais pas cela du rock symphonique, mais il y a une sensibilité pop et metal à la fois… Ils sont juste fantastiques. Pour moi, il sont l’espoir numéro un du prog pour le futur ! Il existe bien sûr un grand nombre d’autres groupes prometteurs, par exemple, en Suède, Moon Safari ou Beardfish. Bref, il y a un avenir pour le prog rock, c’est une certitude.
Pour ce qui est de Flower Kings ou Transatlantic, on continuera tant que l’on y trouvera du plaisir et que quelqu’un nous écoutera (rires).